Nos censures au miroir de l'Index librorum prohibitorum
- Authors
- Publication Date
- Aug 01, 2016
- Source
- HAL-UPMC
- Keywords
- Language
- French
- License
- Unknown
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Abstract
L’Index romain a exercé une censure constante des publications pendant quatre siècles, à travers toute la « République chrétienne », du XVIe au XXe siècle. À la lumière de ce dispositif censorial, de son droit et de ses pratiques jurisprudentielles en matière de littérature, le présent article se propose d’interroger les réglementations contemporaines de l’expression publique. Si la parole est un acte, celui-ci n’est cependant pas de même nature que les actions physiques. Un crime ou un délit entraîne des conséquences directement dommageables et constatables pour en justifier la pénalisation. Mais les actes verbaux ne portent pas à conséquence de façon aussi directe et visible. La violence morale reste plus difficile à apprécier et à prouver que les violences physiques. La censure s’occupe ainsi d’une sphère caractérisée par des données insaisissables : la psychologie et la subjectivité, voire l’ordre social envisagé sous son versant immatériel. Le censeur de l’Index, et plus généralement tout juge de l’expression publique, présuppose les effets psychologiques ou sociaux qu’un énoncé peut avoir, à partir des caractéristiques propres à cet énoncé à défaut de connaître ses répercussions effectives sur le public, d’où la récurrence, dans les vota de l’Index, des considérations sur la séduction du style qui ajoute à la malice d’une œuvre son danger, l’affirmation que ce danger est simplement possible et qu’il concernerait seulement les publics psychologiquement vulnérables. Pourtant, et c’est l’une des singularités de l’action verbale, l’effet d’un énoncé dépend aussi des dispositions psychiques de celui qui le reçoit, de son interprétation, de son mode de compréhension. Selon un vieil axiome scolastique « quidquid recipitur ad modum recipientis recipitur » : tout ce qui est reçu, est reçu à la manière de celui qui le reçoit. La lecture n’est pas cette « opération mécanique » que critique Sartre, et en vertu de laquelle le lecteur serait « impressionné par les signes comme une plaque photographique par la lumière » . L’incertitude et la subjectivité inhérentes à l’effet d’une parole ou d’un texte expliquent les exotismes juridiques de l’Index, l’indifférence à l’intention de l’auteur, la distinction de la malice et du préjudice, l’évocation du style pour tenter de mieux saisir le degré de persuasion, les précautions des consulteurs lorsqu’ils évoquent le danger potentiel d’un livre, les dispenses d’observer l’Index pour les lecteurs mûrs, et finalement la suppression soudaine de la valeur canonique du catalogue. Toute forme d’influence ou d’incitation attribuée à un énoncé demeure en réalité tributaire de son destinataire. Pour en juger, la seule attitude rigoureuse reste la perplexité.