Monde Arabe : sortir de l'essentialisme islamique !
- Authors
- Publication Date
- Jan 01, 2009
- Source
- Kaleidoscope Open Archive
- Keywords
- Language
- French
- License
- Unknown
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Abstract
Nous ne sommes pas guéris d'un certain orientalisme ! Celui, si bien décrit par Edward Saïd, qui tend à figer l'Autre, l'Arabe en l'occurrence, dans une identité immuable, à l'évidence éloignée de la nôtre, mais également souvent de la sienne... Nous nous trouvons alors dans un «Eux et Nous» bien plus fa-briqué que réel. Que des lectures anthropologiques distinguent la prévalence de certains traits dans les multiples aires culturelles qui couv-rent le globe, ne signifie pas qu'elles adhèrent à l'idée d'une immuabilité des sociétés qu'elles décrivent. En revanche, lorsqu'il s'agit des sociétés arabes, certains dis-cours, encore trop prégnants, en font des sociétés figées par essence. Même certains auteurs très entendus comme Bernard Lewis n'ont pas résisté à ce regard qui renvoie aux Arabes le fait que l'essence culturelle-entendons ici l'islam-est un surdéterminant de leur existence réelle. Il y aurait ainsi en ter-re d'islam (si cette expression a une quelconque signification), une façon de se comporter qui participerait exclusivement d'un corpus religieux défini pour l'essentiel il y a treize à qua-torze siècles. Il ne s'agit pas non plus de dire que le soubasse-ment religieux n'a aucune influence sur les comportements in-dividuels, encore moins que cette influence est néfaste-elle est chemin de vie pour beaucoup-, mais il paraît nécessaire de souligner que sa capacité d'imprégnation s'ajoute à d'autres influences variables selon les individus, les familles et les pays. Maxime Rodinson a ainsi nommé théologocentrisme cette attitude qui consiste à affirmer le primat de l'islam dans la conduite de ceux qui s'en réclament. Lui ne croyait pas un seul instant à cette idée que les choix personnels sont uni-quement sous l'emprise d'une stricte hétéronomie religieuse. En critiquant cette manière d'appréhender le réel arabe, il ne s'agit guère d'une position morale (encore qu'il ne faille pas s'en exonérer) mais tout simplement d'une observation des faits qui s'imposent. Et force est d'admettre que malgré les ap-parences trompeuses, les sociétés arabes changent. C'est vrai sur le plan démographique, économique et même politique, et si des pesanteurs prévalent, elles ne participent que de très loin d'une empreinte islamique. Si un élément a été montré comme la preuve irréfutable de l'incapacité du monde arabe à évoluer, c'est bien la démogra-phie. L'explosion démographique serait la preuve de l'in-fluence de l'islam dans les sociétés où il prévaut. En effet, étant donné qu'il est foncièrement nataliste, il serait un fac-teur évident de la difficile transition démographique des pays arabes. Or cette appréciation ne résiste pas à la lecture des faits, la Tunisie, par exemple, ayant achevé sa transition tandis que d'autres pays comme le Liban et l'Algérie en ont prati-quement atteint le point ultime. Au-delà de l'aire arabe, la Tur-quie et l'Iran, qui ont pratiquement achevé leur transition, amènent la preuve que l'explication religieuse ne tient pas. Il est bien admis, maintenant, que l'alphabétisation est la cause majeure de ce phénomène, particulièrement celle des filles. Comme l'ont montré Youssef Courbage et Emmanuel Todd, la survenue du seuil d'alphabétisation de 50% chez el-les est ainsi fortement corrélée avec le début de la baisse de la fécondité. Cependant des éléments peuvent interférer avec ce passage, parfois en l'accélérant, parfois en le ralentissant. Pour ces auteurs, plus qu'une spécificité du corpus islamique, ce sont plutôt des soubassements anthropologiques, souvent antéislamiques, qui expliqueraient ces délais supplémentaires dans la transition démographique. En effet, le monde arabe mais aussi perse et pakistanais est davantage patrilinéaire-il accorde des avantages aux garçons, le mâle étant privilégié-, patrilocal-les jeunes couples vivent proches des parents de l'époux-et endogame. Tout ceci explique sans doute pour partie les retards en matière de promotion féminine. En par-ticulier, le principe patrilinéaire repose sur le privilège accor-dé aux garçons, ce qui en creux disqualifie les filles. La per-pétuation de ce principe contribue donc à réduire l'accès des filles à l'alphabétisation et surtout pousse les familles à avoir des enfants, au moins tant qu'elles n'ont pas de garçon.