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Locus Solus, remix : Amerika la dérive

Authors
  • Regnauld, Arnaud
Publication Date
Jan 01, 2018
Source
Hal-Diderot
Keywords
Language
French
License
Unknown
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Abstract

Paru en 2014 à l’occasion du centenaire du roman de Raymond Roussel, Locus Solus, se présente d’emblée non comme la traduction proprement dite de l'ouvrage éponyme, mais comme une postproduction réalisée à partir de divers outils de traduction automatique trouvés en ligne. Or, loin de se contenter d’entrer en résonance avec le texte de Roussel, Mark Amerika émaille son œuvre de commentaires intrusifs, jusqu’à faire proliférer les notes de bas de page pour expliciter sa démarche traductive, laquelle s'inscrit dans le sillage de son travail sur Marcel Duchamp et Guy Debord dont il revendique l’héritage « remixologique »... Or, il faut savoir que, même s'il possède une solide culture littéraire et théorique (mais aussi touristique, voire psychogéographique) touchant à ce qui se pense et s'écrit en France, Mark Amerika ne maîtrise nullement le français — ou comment traduire les livres que l’on a pas lus… La question de la traduction en tant que processus créatif est centrale dans l’entreprise de Mark Amerika, lequel n’hésite pas à convoquer Benjamin à la note 55 pour justifier l’impropriété de sa traduction de Roussel dont l’adéquation au sens de l’original lui échappe totalement : « Again, it’s impossible for me to know how close my auto-translation is able to capture the literary meaning being conveyed in the original, but this not necessarily a bad thing and relates to other translators’ experiences even if my own process stretches what is an appropriate translation beyond the point of no return. For example, Walter Benjamin, after translating Baudelaire, writes, “[n]o translation would be possible if it strove with its total being for similarity with the original ».De fait, cette version de Locus Solus ne cesse d'interroger le statut de l'auteur-traducteur et son rapport herméneutique à une langue d’autant plus étrangère qu’elle échappe à toute saisie sémantique pour revêtir le statut d’une partition (d’où la métaphore récurrente des riffs pour désigner les passages figurant en italiques dans le texte), exécutée de manière semi-aléatoire par un traducteur composite, né du couplage de l’homme et de la machine. Le recours à des outils de traduction automatique, loin d'entraîner une désubjectivation ou un effacement du traducteur pris dans les boucles récursives d’un dispositif qui le met en réseau, réaffirme au contraire un parti-pris hypersubjectif qui s'apparente à celui de la dérive urbaine pratiquée par les situationnistes, dérive appareillée, au fil (et parfois à contrefil) d’un texte source dont elle déborde les marges en le mettant en crue au gré d’un programme de lecture semi-aléatoire, assurant ainsi sa survie.Le redoublement du titre latin, Locus Solus, déplacé dans un autre contexte linguistique, est déjà un acte de traduction paradoxal qui s’affiche dans le refus même de traduire le latin, refus qui marque à la fois la filiation avec le texte source, mais qui donne à lire aussi, dans une certaine mesure, comme une répétition mécanique à la manière du « Quichotte de Pierre Ménard » cher à Borges, qui se dédouble néanmoins d’un sous-titre révélateur : Locus Solus (An Inappropriate Translation Composed in a 21st Century Manner). Il s’agit donc bien d’une traduction inappropriée. Mais en quel sens ? Du point de vue sémantique, il est évident que ce texte à la dérive prend parfois le large, mais le recours systématique à la traduction automatique soulève également la question de l’appropriation du texte par le traducteur, c’est-à-dire de son autorité, tant au sens où l’on entend le contreseing qu’il appose sur le texte étranger qu’en tant qu’il est autorisé à produire une telle traduction. Il conviendra donc d’interroger cette inappropriation/impropriété à partir du dédoublement qui traverse l’idiome anglais, mais renvoie aussi, on le verra, au procédé qui préside à la composition des textes de Roussel.

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