L'amitié et la critique : une recomposition du voyage de Miguel Abensour à la terra incognita de la pensée de l'amitié
- Authors
- Publication Date
- Oct 07, 2022
- Source
- HAL-Descartes
- Keywords
- Language
- French
- License
- Unknown
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Abstract
L'expression « pensée critique » est devenue un lieu commun, avec des contours pourtant tout à fait ambigus, où convergent intentions académiques, institutionnels et, grosso modo, politiques assez dissemblables. Dans certains contextes, la pensée critique semble signaler la valeur discernable d'une activité dont le rôle n'est jamais tout à fait assuré. La critique énonce, en ce sens, le caractère d'une pensée qui est capable de dialoguer et, en plus, d'interagir avec son présent politique. Dans d'autres contextes, la critique énonce plutôt une attitude, voire un esprit, très souvent associée à la méfiance et à la suspicion comme réactions qui émergent de la des-inscription de la pensée, en tant qu'activité de production du sens, des repères des anciennes certitudes. Or, que ce soit que nous comprenons par pensée critique une disposition particulière, un attribut politique ou une attitude spécifique, l'ambiguïté et les tensions que cette activité réveille semblent émaner d'une même source : la pensée critique signale le lieu frontalier qui s'entend entre l'exercice de la pensée et la dimension politique. Sur cette base, cette thèse propose une recomposition du sens de la critique dans l'œuvre de Miguel Abensour qui, sur le cadre de son projet philosophique politique critico-utopique, revient sur ce conflit pour y entrevoir une nouvelle source pour la pensée politique. Selon cette recherche, dans la cartographie de ce projet, le sens de la critique devient le résultat d'une recomposition de la relation entre l'activité de la pensée, l'élucidation des conditions d'intelligibilité post-totalitaire des « choses politiques » et l'exploration des utopies, en tant que noms d'une expérience politique de l'émancipation. Chacune de ces dimensions exprime, effectivement, une intervention particulière du sens de la critique, en déterminant son contenu et les conditions de sa mise en œuvre. Le contenu critique de la pensée découle donc de la configuration d'un certain cadre, d'un lieu, qui rend possible la rencontre, la communication et l'entre-connaissance entre ces dimensions, chacune comprise comme une expérience particulière de la pensée politique. Ainsi, afin de recomposer ce dialogue, cette thèse se sert de la notion abensourienne de l'amitié comme la boussole d'un voyage dont l'itinéraire se place dans l'imbrication entre l'activité de la pensée et la vie politique. De cette façon, l'amitié apparaît comme le nom d'une expérience qui communique l'ensemble de ces différentes dimensions de l'œuvre de Miguel Abensour avec le sens de la critique, en servant de lien entre leurs différences. La recomposition de ce voyage nous conduit à une formulation primaire de la critique, dont le foyer se situe dans l'opposition qu'Étienne de la Boétie nous présente de l'amitié contre la tyrannie. Dans ces coordonnées, la détermination de l'amitié comme une expérience liée, d'une façon inhérente, à l'émancipation de la servitude amène l'exercice de la critique sur deux fronts. D'un côté, il situe la critique dans une relation directe à une pratique de résistance à la domination, en disposant son activité comme une expérience de recomposition et de réhabilitation des liens humains. Nous explorons cette dimension de la critique, comme expérience amicale de la vie-ensemble, à partir de la pensée utopique de Pierre Leroux qui fait du « nom de l'amitié » le foyer d'un projet solidaire de transformation sociale. D'un autre côté, le sens émancipatoire de l'amitié nous oblige aussi à l'analyse de la spécificité contemporaine de la domination, en comprenant l'avènement des mouvements totalitaires comme la source d'une disruption radicale de notre horizon politique. Nous répondons à cette interpellation à partir de la lecture abensourienne de la pensée d'Hannah Arendt, qui redécouvre le nom de l'amitié en tant qu'expérience de résistance face à la tentative totalitaire de destruction totale de la vie politique.