La chimie de l’écriture chez Primo Levi ou la douleur d’exister du témoin, « une douleur à l’état pur »
- Authors
- Publication Date
- Jan 01, 2016
- Source
- Cairn
- Keywords
- Language
- French
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- Unknown
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Abstract
Dans Si c’est un homme, Primo Levi décrit les conditions qui mènent un homme à ne plus se sentir tout à fait humain et à faire du muselmann la figure ultime de la déshumanisation. Le titre même de son livre peut s’entendre comme une question que les Nazis ont imposée à l’homme lui-même. En chosifiant l’individu, en réduisant l’homme à un déchet, il aura lui-même à se répondre : « Si cette chose, c’est moi. Suis-je à même de me considérer encore comme un homme ? » À ce titre le fonctionnement du lager s’établit, selon nous, sur l’ensemble des procédés de la honte et il aboutit au mieux, au doute, au pire, à l’exclusion de soi du tableau de l’humanité et de l’espace privé de sa propre subjectivité.Dans son rêve récurrent d’Auschwitz, Primo Levi décrit l’indifférence de ses proches et du reste du monde. Cette impossibilité à recréer du lien par le récit le confronte à ce qu’il nomme « douleur à l’état pur ». En quoi l’écriture viendrait circonscrire, border, cette douleur qu’il ressent dans ce qu’il appelle sa propre « cassure », dans sa rupture avec le sens et dans le lien à l’autre ? Face à ce rêve récurrent d’Auschwitz, répétition de la désolation de l’être et surgissement d’une solitude concentrationnaire, Primo Levi trouve et retrouve la lettre, sa lettre. Une lettre qui elle seule peut donner consistance au rien, qui, elle seule, peut donner une trace, une marque au vide. Il existe des enfants qui savent jouer là où il n’y a rien. N’est-ce pas une qualité de l’enfance, une qualité de l’écrivain, du peintre ou du poète de créer à partir du vide ? Là où d’autres n’y voient rien ?