Des natures historiques. "Renouée" avec le matérialisme spéculatif
- Authors
- Publication Date
- Jun 15, 2021
- Identifiers
- DOI: 10.4000/traces.12185
- OAI: oai:HAL:hal-04416402v1
- Source
- HAL-Descartes
- Keywords
- Language
- French
- License
- Unknown
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Abstract
Cette contribution part d'une enquête menée auprès des associations écologistes dans la forêt de la Corniche des Forts à Romainville entre novembre 2018 et mars 2019 (Guillibert et Chesnais 2019). Cette forêt et la cité Gagarine qui la surplombe étaient promises à la destruction suite au projet d'aménagement urbain d'un « éco-quartier » et d'une « île de loisirs » développé dans le cadre du « grand Paris ». Or, comme l'ont montré les écologistes, on trouve dans cette forêt une plante rhizomatique dite invasive, « la renouée du Japon » (Muratet, Muratet et Pellaton, 2017). Cette plante qui ne pousse que sur des sols hautement pollués, notamment au plomb et au cuivre, présente un intérêt ontologique évident : d'un côté, elle signale l'existence d'une nature anthropisée, historicisée et modifiée par les activités humaines, une « nature historique » donc (Cronon 1996, Cronon 2003, Moore 2015) ; mais d'un autre côté elle témoigne de la puissance d'engendrement des organismes capables d'émerger au sein des milieux les plus transformés et les plus pollués. Tout se passe comme si cette nature détruite par deux siècles d'activités extractivistes était capable de réaffirmer sa puissance ontologique, malgré et contre le mode de production capitaliste qui l'arraisonne. Cet ensauvagement qui apparaît dans « les ruines du capitalisme » permettra d'évaluer la thèse de la « troisième nature » de l'anthropologue Anna Tsing (Tsing 2017). Si l'idée d'une puissance ontologique d'un réel capable de s'autodéployer contre les activités sociales qui la détruisent est convaincante, je ferai l'hypothèse que le « matérialisme spéculatif » du philosophe Ernst Bloch (Bloch 1977, 2008) offre les moyens pour penser la dynamis de la nature sans réintroduire une philosophie étapiste de son histoire (la « première », la « seconde » puis la « troisième » nature). Ce passage par la « renouée du Japon » nous permettra de défendre la pertinence d'une philosophie matérialiste de la nature adaptée à la catastrophe écologique.