Chemins et lieux de pèlerinage : nouvelles « valeurs sûres » du tourisme ? / Chemins et lieux de pèlerinage : nouvelles « valeurs sûres » du tourisme ?: Approche géographique du tourisme spirituel et du pèlerinage à travers le cas du Mont-Saint-Michel
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- Publication Date
- Apr 04, 2024
- Source
- Hal-Diderot
- Keywords
- Language
- French
- License
- Unknown
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Abstract
Une enquête du Pew Research Center réalisée en 2017 et publiée en 2018 révèle qu’en Europe occidentale et en matière de religion, la plupart des individus se déclarent Chrétiens (64%) mais que la part des Chrétiens pratiquants (18%) est nettement inférieure à celle des chrétiens non-pratiquants (46%) et même des personnes n’étant affiliées à aucune religion (24%). Des chiffres qui semblent paradoxaux rapportés à la croissance de la fréquentation des chemins de pèlerinage tels que celui de Compostelle. Ces chiffres traduisent cependant bien le fait que les sociétés occidentales (circonscrites ici à l’Europe de l’Ouest, aux Etats-Unis et au Canada) sont sécularisées (la croyance religieuse n’y va plus de soi) et seraient entrées, selon Charles Taylor (2011) dans ce qu’il nomme « l’âge de l’authenticité » : chacun veut devenir un être « authentique ».Comme l’explique C. Taylor, cela s’accompagne, d’une part, d’une désaffection vis-à-vis des religions instituées qui sont vues comme des carcans empêchant l’expression de la personnalité mais, d’autre part, d’un regain d’intérêt pour la spiritualité et le sacré d’une manière générale, conçus comme beaucoup plus ouverts et permettant à chacun d’être l’auteur de sa propre croyance qui sera unique et donc authentique. Persiste donc une quête de transcendance, devenue personnelle, qui se traduit par l’apparition, d’abord aux Etats-Unis puis en Europe, d’une nouvelle catégorie d’individus se définissant comme « spirituels mais non religieux » (Gueullette, 2021) et dans laquelle se reconnaîtraient 11% de la population d’Europe occidentale (Pew Research Center, 2018). Cette quête est propice à la fois à une lecture à nouveaux frais du pèlerinage et de la figure du pèlerin, telle que la fait Danièle Hervieu-Léger en soulignant que le pèlerin moderne chemine (au sens littéral du terme) en quête du sens général de sa vie ou à la recherche de la foi et non plus du fait d’une foi solidement établie au préalable (Hervieu-Léger, 1999), et à la mise en place de nouvelles formes de tourisme, pratique avec laquelle le pèlerinage partage cette dimension de quête (notamment une quête d’altérité, cf. Equipe MIT, 2002). Les motivations et les pratiques des visiteurs marchant sur les chemins de pèlerinage ou visitant des lieux sacrés sont en effet de plus en plus hybrides, évoluant sur un continuum entre l’exclusivement sacré et l’exclusivement séculier (Smith, 1992). Il devient alors opérant, nonobstant les réticences d’une partie des géographes du tourisme, de parler de tourisme religieux et/ou spirituel (Chevrier, 2021).D’autre part, l’étude des pratiques des visiteurs dans un panel de lieux de pèlerinage catholiques européens et mexicains a permis de mettre en évidence que, dans un contexte de sécularisation des sociétés se produit une dilation du sacré, révélant la possibilité d'un « sacré laïc » (Chevrier, 2016) inscrit dans certains « lieux de mémoire » (Nora, 1984) auxquels appartiennent lieux et chemins de pèlerinage. Cette nouvelle modalité du sacré s’applique de plus en plus largement (sacralisation de grands récits nationaux, du patrimoine, d’objets culturels, des pratiques sportives, etc.), générant et nourrissant ainsi de nouvelles formes de « pèlerinages séculiers » (Eade & Sallnow, 1991). Ces derniers peuvent tout aussi bien concerner des territoires et lieux auparavant exclus de l’écoumène touristique que d’autres déjà porteurs de valeurs y compris sacrée religieuse. Ce rapprochement entre quête spirituelle, pratiques de loisirs et évolution du sacré est à étudier dans le cadre d’une activité touristique de plus en plus fondée sur la recherche, par les touristes, d’expériences à vivre. Cette approche du fait et de l’espace touristique par le prisme de la sacralité reste encore aujourd’hui peu travaillée.L’étude comparative de lieux de pèlerinage se situant dans des sociétés plus ou moins sécularisées permet de faire l’hypothèse que ces nouvelles formes de tourisme concernent pour l’instant principalement des visiteurs ressortissants des sociétés occidentales sécularisées d’Amérique du Nord et d’Europe de l’Ouest, formant également une part très importante des effectifs de touristes mondiaux. Dans le même temps, les sociétés dans lesquelles le christianisme (et particulièrement le catholicisme) joue encore un rôle très important alimentent de plus en plus en les flux touristiques, permettant un élargissement international des pèlerinages. Dès lors, les lieux et chemins de pèlerinage catholiques, notamment européens, intègrent pleinement l’écoumène touristique, dont ils deviennent même des destinations de choix pour des visiteurs aux motivations et pratiques diversifiées (touristes et pèlerins).Il s’agira ici de s’interroger sur la valeur spatiale des lieux et chemins de pèlerinage catholiques dans le contexte spécifique de la sécularisation ainsi que sur l’hybridation des pratiques qui l’accompagne et la caractérise. La sécularisation, se traduisant notamment par l’effacement des marqueurs territoriaux du sacré dans l’espace, est-elle paradoxalement propice à la revalorisation des lieux et chemins sacrés, se traduisant par une forme de réinscription territoriale du sacré ? Dans ce cas, l’actuel regain de pratique des chemins et lieux de pèlerinage fait-il évoluer la valeur sacré dont ils sont porteurs ? Comment ces nouvelles modalités du sacré s’inscrivent-elles dans l’espace ? La communication traitera de cette problématique à travers le cas d’un haut-lieu de la chrétienté médiévale patrimonialisé et jouissant, comme Compostelle, d’une reconnaissance internationale : le Mont-Saint-Michel. La communication travaillera sur les chemins mais se focalisera également sur la destination, à savoir le sanctuaire lui-même, afin de cerner ce qui pousse les visiteurs à parcourir le chemin.Une approche qualitative sera ici privilégiée, se fondant sur une série d’enquêtes réalisée auprès des visiteurs du Mont-Saint-Michel ainsi que sur des entretiens avec les promoteurs touristiques et ecclésiaux du sanctuaire et de ses chemins. L’étude sera également étayée par une analyse des discours et de l’iconographie des guides touristiques.