Récemment, le professeur Floyd Romesberg et son équipe ont réussi la prouesse d’insérer des composants de synthèse dans une séquence d’ADN. Appelés “X-Y”, ces éléments sont les premiers à être conçus par l’Homme pour être ajoutés à l’alphabet de la génétique. Pourquoi est-ce si important ? Tout cet emballement médiatique ne serait-il pas en train de nous monter à la tête ?
This article was originally published in English: Hold your genetically-modified-“X-Y” horses (Translation/traduction : Pierre-Sofiane Kadri)
Flickr (by MIKI Yohshihito)
Beaucoup de mes amis, en particulier les non-scientifiques, m’ont demandé ce que je pensais de la découverte des lettres X et Y. Il y en a même un qui a tenté de me convaincre que c’était “la plus grande réussite scientifique de notre temps”, sans réellement avoir les connaissances pour argumenter un tel point de vue. Cela peut se comprendre : les médias ont beaucoup parlé ces derniers mois de l’insertion de ces matériaux de construction artificiels dans une séquence d’ADN. Le professeur Floyd Romesberg et son équipe ont développé cette technique impressionnante au Scripps Research Institute à San Diego, en Californie. Si la méthode ressemble plutôt à un nouveau type de modification génétique, elle n’est pas aussi “exotique” que ce qu’ont décrit certains journalistes (c’est Romesberg lui-même qui le dit !), il vaudrait donc mieux prendre un peu de recul sur la question pour ne pas s’emporter trop vite.
L’idée de base : X-Y
L’ADN, ce code source du vivant, se compose d’une suite de “bases”. Ces bases, ou nucléotides, se lient entre elles pour former une séquence d’ADN, qui va pouvoir être lue par n'importe quel type de cellule, un peu comme le Morse du vivant. Toute forme de vie sur Terre est constituée des quatre composants de l’ADN, qu’on appelle A, T, C et G. Ces bases vont par paire dans l’ADN, où se forment des couples A-T et C-G. Il s’agit d’un moyen relativement simple de stocker l’information, qui rend possible un nombre incroyablement élevé de combinaisons et est assez sophistiqué pour être à l’origine de la diversité du vivant.
Romesberg et son équipe ont réussi à introduire deux nouvelles bases d’origine synthétique, X et Y, dans les cellules d’une bactérie E. coli, (presque) sans effet sur leur cycle de vie normal. Leur article, publié dans la prestigieuse revue Nature, démontre qu’il est possible de construire une séquence d’ADN comportant une paire X-Y (à côté de milliers de paires constituées des quatre bases “naturelles”), qui peut être transmise aux générations suivantes de bactéries. Une différence qui a son importance, les chercheurs ont conçu les bases X-Y pour qu’elles se lient grâce à des liaisons hydrophobes, différentes des liaisons hydrogène qui existent entre les nucléotides qui se forment naturellement. Ce que Romesberg et son équipe ont accompli est fantastique, ils ont ajouté de nouvelles lettres à l’alphabet du vivant !
D’ailleurs, si l’appellation “X-Y” vous a surpris autant que moi, pour sa proximité évidente avec la paire de chromosomes mâles, sachez que ce nom a été inventé par les médias, et non par Romesberg ou son équipe. Le chercheur a précisé dernièrement dans une interview que le vrai nom est 5/6NaM, même si X-Y est bien parti pour rester dans toutes les mémoires.
X-Y : une bonne nouvelle
Premièrement, personne ne savait si c’était vraiment possible. Jusqu’à présent, Mère Nature a toujours fait en sorte de créer des organismes plus efficaces (à défaut d’être parfaits) que ceux que nous avons pu produire. La question était notamment de savoir si l’ADN ne contient que 4 bases parce que c’est la façon la plus efficace (voire la seule) pour stocker l’information biologique. Ces travaux montrent que ce n’est peut-être pas la seule possibilité. Deuxièmement, l’ADN est un peu comme un livre de recettes à l’usage des cellules et de tout ce qu’elles peuvent produire ; cette technique pourrait (c’est pas demain la veille) être utilisée pour développer des organismes capables de produire des substances utiles à la médecine, voire de NOUVELLES substances qui n’existent pas encore. En ce sens, sans prendre en compte les problèmes d’éthique, les possibilités seraient infinies...
X-Y : un très bon coup
Et c’est reparti, la science a une fois de plus permis de faire une (INCROYABLE!) découverte, OUAIIS ! Le battage médiatique n’est en rien surprenant. Les articles et reportages à ce sujet fleurissent sur le web ainsi qu’à la télévision. Mais ce show médiatique pourrait-il également être lié au fait que l’article décrivant ces travaux de recherche a été publié à quelques jours du lancement officiel de SYNTHORX, l’entreprise de biotechnologie qui en est dérivée ? Très bon timing et bonne pub pour SYNTHORX, qui va avoir besoin de convaincre aussi vite que possible de l’intérêt d’investir dans cette découverte pour les développements à venir, et il y a sans aucun doute du pain sur la planche à ce sujet ! En réalité, c’est probablement lorsqu’elle est bien financée que la biotechnologie est convertie le plus rapidement en applications vraiment utiles.
La science, et c’est merveilleux, joue un rôle très important dans notre société, même si les médias en font parfois un peu trop. Soyons réalistes : la recherche de qualité prend du temps. Il va falloir trimer pendant longtemps avant que quelque chose de vraiment utile ne découle de tout ça. C’est bien pour cette raison qu’on ne décerne les prix Nobel aux scientifiques que plusieurs décennies après leur découverte inédite, parce qu’on est juste incapables de savoir à quel point quelque chose va être utile à l’avenir. Si toute cette attention est bien méritée au regard de la quantité et de la qualité du travail scientifique qui a mené à cette découverte, nous n’en connaîtrons pas les débouchés avant longtemps. On n’est donc pas près de rencontrer un petit homme gris à l’ADN sauce “X-Y” (pas tout de suite en tout cas !).