La semaine dernière une vidéo diffusée par la Commission Européenne pour la Recherche et l’Innovation dans un programme visant à favoriser l’intérêt des filles pour la science a fait beaucoup parler d’elle. Qualifiée parfois de scandaleuse et de machiste, elle véhicule un grand nombre de clichés. Quelques jours après la publication sur notre blog de l’article de Curt Rice sur l’impact des quotas de genre, MyScienceWork revient sur les éléments soulevés par cette polémique tout en rose, maquillage, décolletés et postures aguicheuses.
Dans notre article « L’Histoire des femmes scientifiques », Natalie Pigeard-Micaud, docteur en épistémologie et spécialiste française de la question des femmes en science, avait mentionné son aversion pour les catalogues de jouets pour enfants dans lequel la différentiation des sexes imposait des conventions de genres à nos enfants. Jeudi dernier, le 21 juin 2012, la Commission Européenne pour la Recherche et l’Innovation a lancé une campagne de communication pour favoriser l’attrait des filles pour les carrières scientifiques. Un but louable au vue de la désertion de ces filières mais les graphismes de communication sont accueillis avec froideur et mécontentement par la communauté scientifique et les défenseurs de l’égalité hommes et femmes. Le logo de la campagne réalisé par l'agence Tipik laisse sceptique mais la vidéo quant à elle a déclenché un petit scandale sur les réseaux sociaux et sur les blogs.
La vidéo en question a été retirée samedi matin mais il est toujours possible de la visualiser sur YouTube
D’après le blog « Les vendredis intellos », quelques heures après sa mise en ligne, elle aurait reçu sur YouTube 30 "J'aime", 1,093 "Je n'aime pas". Actuellement celle que nous avons visionnée a récolté 409 "J'aime", 2 866 "Je n'aime pas". Sur notre page Facebook, nos internautes sensibilisés à la problématique femmes et sciences ont ouvert la discussion et pris partis. Enfin grâce au hashtag #sciencegirlthing, vous pouvez suivre le fil de conversation qui s’est établi sur Twitter. Quasiment tout le monde s’accorde sur le fait que cette vidéo faite de talon-aiguilles, de mannequins à la limite de l’anorexie et de rouge-à-lèvres présente dès le titre rassemble un ensemble de clichés flagrants ! Elle ne dévoile en rien l’intérêt de faire de la science et ce qui en fait son attrait à savoir l’excitation de résoudre une problématique et de tenter de comprendre comment fonctionne le monde.
Les discussions qu’elle a suscitées rappellent l’ensemble des thématiques en lien avec la place des femmes en science (clichés, préjugés, maternité, vie de famille, plafond de verre etc.). Janet Stemwedel, une bloggeuse impliquée dans la dénonciation des clichés des femmes en science, revient dans un post sur la difficulté d’assumer son intérêt des sciences à l’adolescence. Nous pouvons voir cela comme un terrain préparé par ces catalogues de jouets qui, comme le dénonçait Natalie Pigeard, distinguent des boîtes de science pour les garçons, contenant des petits explosifs et des microscopes, aux boîtes pour filles qui permettent de fabriquer des savons et du maquillage. Elle évoque aussi les préjugées des scientifiques, hommes et femmes, vis-à-vis de femmes scientifiques mettant en avant leur féminité. L’équipe MyScienceWork souhaitait se joindre à ces appels luttant contre les préjugés envers les genres afin de juger de la qualité d’une personne en fonction de son travail et de ses qualités personnelles.
La vidéo publiée par la Commission Européenne nous a donc fait fortement réagir. D’abord parce qu’être une femme s’exprime de multiples façons hormis le fait d’être conformes aux exigences des magazines de mode et aux critères de beauté véhiculés par la sphère hollywoodienne. Ensuite parce qu’être scientifique ne se résume pas à porter des lunettes, une blouse blanche et se pencher sur un microscope. Faire de la recherche, c’est apprendre quotidiennement comment fonctionne le vivant de la plus petite à la plus grande échelle . C’est aussi mener une enquête en suivant une démarche scientifique qui, pas à pas, avance, dévoile un mystère. C’est un ensemble d’efforts, de frustrations, de rebondissements… Mais aussi de récompenses de la tâche accomplie et dont l’on devient le spécialiste parce que l’on y a dépensé tant d’énergie. Alors que la culture geek gagne en popularité et que la place des femmes dans les sphères scientifiques s’amplifie, un tel retour en arrière de la part de la Commission Européenne est paru comme inacceptable par de nombreux internautes.
Ben Young Landis, bloggeur et communiquant professionnel des sciences, essaie dans un post « In defense of science girl thing » de comprendre pourquoi les responsables de la communication de cette campagne ont validé cette vidéo. Il évoque l’état d’esprit dans lequel beaucoup d’entre nous sommes passés lors de l’adolescence, à savoir une réflexion sur soi-même et l’image que les autres ont de nous ainsi que l’intérêt grandissant des filles pour les garçons et vice-versa. Les campagnes de communication dont l’objectif est d’inciter les jeunes à envisager des carrières scientifiques se heurtent à une barrière difficilement franchissable. Le choix d’une carrière professionnelle est en effet rarement le sujet de préoccupation central de l’esprit d’un adolescent. L’objectif de cette vidéo était-il donc de « normaliser » la science. De montrer que l’on peut s’intéresser à son apparence et aux membres du sexe opposé tout en menant une carrière en science ?
Nathalie Pigeard évoquait en ce sens le fait que les femmes scientifiques qui servent de modèle aux jeunes générations ont été idéalisées. Marie Curie la première est présentée dans la majorité des ouvrages comme une femme prête à tout sacrifier, enfants, mari, santé, pour ses recherches scientifiques. Elle étudiait et travaillait dans des conditions misérables et insalubres qui eurent raison de sa santé. De quoi donner envie de se lancer dans une carrière scientifique ! On évoque parfois aussi la « masculinisation » des femmes scientifiques, leur manque de féminité, leur rudesse trop affirmée. Les femmes mises en avant par la Fondation L’Oréal-UNESCO For Women in Science sont un exemple assez équilibré de modèles de femmes. Elles sont présentées sous leur meilleur jour esthétique bien entendu mais font preuve d’une réelle passion pour leurs études. Elles sont sympathiques, savent se rendre abordables et concilient souvent avec brio vie de famille et vie professionnelle. Nous avons pu en rencontrer quelques unes. Ces échanges avec elles nous ont montré que c’était avant tout des chercheurs passionnés mais aussi des femmes épanouies.
Dans un post publié hier, Tom Roud, bloggeur du c@fé des sciences, dénonce cette vidéo « manifestement vaine et sexiste » mais évoque aussi l’impact mitigé de grosses campagnes de communication visant à pallier la désaffection des femmes et des étudiants pour les carrières scientifiques. En effet, quel peut-être l’effet sur un adolescent confronté au monde complexe qui l’entoure de ce genre de campagne à gros budget ? Les réels freins qui s’opposent au choix de carrières scientifiques sont bien décrites par Tom Roud : difficulté de mener une carrière en science, tant au niveau des défis intellectuels que des obstacles dus au recrutement, difficultés de concilier vie de famille, vie de couple, et succession de postdoctorats à l’étranger.
L’agence de communication à l’origine de cette vidéo s’appelle Emakina qui l'a réalisé pour un coût de 102 000 euros. Cette vidéo fait malheureusement suite à une autre vidéo diffusée par la commission européenne. Sur inspiration du film Kill Bill, « The more, the stronger » devait inciter de nouveaux pays à rejoindre l’UE. Elle a été qualifiée de raciste, non sans raison. Encore un bel échec et qui avait été mené par une autre agence de communication appelée Mostra. Définitivement la commission européenne a du mal à s’entourer des bons partenaires média…
La question des femmes en science est un sujet complexe. Il a fait l’objet d’une forte prise de conscience et de nombreux projets ont été menés pour tenter d’inverser la tendance. Dans un post publié sur MyScienceWork blog, Curt Rice, vice-président de l’université de Tromsø (Norvège), questionnait l’impact des quotas de genre pour favoriser l’équité. Néanmoins la fin ne justifie pas les moyens. S’il faut amener les femmes à considérer plus facilement les études et carrières scientifiques c’est en leur dévoilant le réel potentiel de ces filières, leur intérêt et l’impact positif que leur qualité de femmes peut y amener en termes de diversité des points de vue et des approches. Les études scientifiques ouvrent des voies de carrières à fort impact dans les ensembles de décisions, la R&D etc. Ces professions doivent êtres ouvertes à tous, la diversité des genres et des individus est une richesse inégalable face à un monde complexe et en constante mutation.
Enfin voici une vidéo suggérée dans un tweet de Joanne Manaster @sciencegoddess
Joanne Manaster est bloggeuse. Passionnée de science, elle n’hésite pas à mettre aussi en avant son ancienne carrière de mannequin. Voici ce que sa jeune fille de 16 ans aurait dit après avoir visionné la vidéo de Science : It’s a girl thing : « C’est sensé attirer les femmes vers la science ? Je pense que cela intéressera plutôt les HOMMES #Sciencegirlthing »
En savoir plus :
Article Wikipédia sur la chronologie de la place des femmes en science https://fr.wikipedia.org/wiki/Chronologie_de_la_place_des_femmes_dans_les_sciences
« Science: It’s a girl thing! » : polémique autour d’une vidéo de la Commission jugée « sexiste » https://www.lacomeuropeenne.fr/