La sonde Rosetta poursuit depuis maintenant 10 ans une comète qui répond au doux nom de Churyumov-Gerasimenko (67P/CG pour les intimes). À ce jour, nous ne savons que peu de choses sur les comètes (forme, taille, composition…) et rien sur leur intimité. C’est pourquoi l’atterrisseur embarqué de Rosetta, Philae, a pour mission de photographier le panorama et d’analyser le sol de 67P/CG. La sonde s’est réveillée en janvier après plusieurs années d’hibernation dans l’espace, suivi de Philae, mi-avril. Le dernier Mardi de l’Espace du CNES a été l’occasion de revenir avec deux experts sur toutes les actualités relatives à Rosetta et à son rendez-vous prévu avec la comète.
Seulement quelques heures après le réveil de Philae, l’atterrisseur embarqué sur la sonde Rosetta, les invités du Mardi de l’espace du 15 avril 2014, Jean-Pierre Bibring (CNRS) et Philippe Gaudon (CNES), nous rassurent sur le fonctionnement de ses instruments : l’atterrisseur s’est réveillé cette nuit en pleine forme. Mais le chemin pour « percer le mystère de la comète » est encore semé d’embuches.
La mission Rosetta est ce que Paul de Brem, journaliste scientifique et animateur de la soirée, appelle « la plus belle aventure d’exploration spatiale ». C’est pour sûr un défi technologique qui a rempli le Café du Pont Neuf. Amateurs, scientifiques, habitués des Mardis et adeptes d’exclusivités étaient tous réunis pour avoir les premières informations sur le réveil de Philae, mais également pour connaître la suite des événements et mieux comprendre les enjeux de la mission Rosetta.
Y'a du monde ! #CnesTweetup pic.twitter.com/CDTiP7cj6o
— Arnaud Demay (@A_Demay) 15 Avril 2014
« Première fois qu’un engin humain va se placer en orbite autour d’une comète. Première fois qu’un engin humain va se poser sur une comète pour l’étudier. Première fois que l’on va pouvoir suivre l’évolution de la comète lorsqu’elle va se rapprocher du Soleil, rappelle Paul de Brem. » Tout le monde l’a bien compris, cela fait beaucoup de premières fois pour la (pas si) jeune Rosetta. Au-delà des prouesses techniques (et pas des moindres : atterrissage sur un objet en mouvement à faible attraction gravitationnelle, notamment), la mission tend à répondre à LA question : quel rôle auraient joué les comètes dans l’apparition de la vie sur Terre ?
Les invités Jean-Pierre Bibring et Philippe Gaudon nous ont éclairés sur la question. Le premier, chercheur en astrophysique embarquée au CNRS, tente de mieux comprendre l’évolution du système solaire. Son laboratoire a eu pour mission de développer les instruments d’observation (caméras) de l’orbiteur et de l’atterrisseur. Quant à Philippe Gaudon, il est chef de projet CNES à Toulouse et responsable de la « partie atterrissage » de Philae. Son équipe au SONC, centre d’opération et de navigation scientifique français, a conçu les piles et les batteries de Philae, ainsi que le système de communication entre l’atterrisseur et l’orbiteur. Lorsque Rosetta sera assez proche de la comète, c’est-à-dire à une dizaine de kilomètres, ils participeront au choix du site d’atterrissage en concertation avec trois autres centres de l’ESA : le DLR à Cologne, l’ESOC à Darmstadt, l’ESAC à Villafranca del Castillo. Il ne leur restera alors plus qu’à calculer la trajectoire d’atterrissage, une toute petite responsabilité, en somme.
Philae, un laboratoire de la taille d’un réfrigérateur
Dans la nuit du lundi 14 avril, une grande partie des instruments de Philae ont été réveillés. Nos deux chercheurs ont d’ailleurs apporté une petite surprise pour bien entamer la soirée : les premières prises de vue de Philae. Philippe Gaudon, présent à Toulouse lors de la réception des images, précise : « il a fallu 40 minutes pour recevoir sept images, même si les caméras n’ont que peu de pixels, car le débit entre l’orbiteur Rosetta et la Terre est très faible. ». Cependant le résultat est à la hauteur des attentes. Le système présente une bonne optique et fonctionne bien. Nous voilà soulagés.
Ci-dessus : non ce ne sont pas « les essuie-glaces » de Philae, mais les panneaux solaires de Rosetta (30 mètres linéaires) dans lesquels le soleil se reflète timidement. Images prises (gauche et droite) par deux des sept caméras de l’atterrisseur.
Parmi les instruments embarqués à bord de Philae, les caméras jouent principalement deux rôles. Elles permettront tout d’abord aux scientifiques de choisir le meilleur site d’atterrissage. « Nous n’avons actuellement aucune idée du degré d’homogénéité de la comète. Nous savons qu’il y a de la glace et de la matière organique, mais pas à quelle échelle le tout est mélangé, explique Philippe Gaudon. » Puis, si Philae réussit son atterrissage (restons optimistes !), ces mêmes caméras transmettront des images du panorama de la comète, au pied de l’atterrisseur comme à l’horizon.
Qu’appelez vous matière organique : principalement de la matière contenant du carbone (pas forcément vivant donc) #CNESTweetup
— Ollivier Robert (@Keltounet) 15 Avril 2014
Sur place, Philae pourra compter sur deux sources d’énergie : ses piles pendant 1 à 2 jours et ses batteries rechargeables à l’énergie solaire. Cependant, quelques petites incertitudes planent encore… Par exemple, les scientifiques ne connaissent pas encore l’état des piles de l’atterrisseur, bien qu’ils en conservent un exemplaire dans leur laboratoire, qu’ils testent régulièrement. Ils ne savent pas non plus si l’orientation de Philae et les conditions environnementales (dégazage de la comète, formation de glace sur les panneaux) permettront de capter les rayons du soleil.
Les scientifiques ont néanmoins mis toutes les chances de leur côté en réalisant une prouesse technologique. En effet, les panneaux solaires ne peuvent fournir que 5 à 6 watts, c’est-à-dire la moitié de la puissance énergétique d’une ampoule de réfrigérateur. Cette énergie permettra à elle seule de réchauffer d’une centaine de degrés les 40 kilos d’électronique de Philae, carotter à 30 cm dans un sol potentiellement dur comme du béton, faire fonctionner les caméras, le spectromètre de masse… et j’en passe. Jean-Pierre Bibring nous rappelle qu’il a fallu « adapter les technologies à cet environnement contraint en énergie et en température. »
Ci-dessus : trois systèmes d’ancrage ont été conçus pour optimiser l’atterrissage de Philae : un propulseur (filet blanc en haut de l’appareil), deux harpons (pointes au centre du tripode) et trois pieds « tire-bouchons ».
Pour la partie critique de l’atterrissage, nous avons eu quelques informations renversantes. Si le sol est mou « comme de la crème catalane », l’atterrisseur Philae s’enfoncera. Mais si le sol est dur comme du granit, il va falloir s’agripper ! C’est pourquoi il possède trois systèmes d’ancrage au total. Dans un premier temps, le propulseur se déclenchera en vol pour plaquer Philae sur le sol de la comète pendant 30 secondes. Ensuite, deux harpons, pouvant aller jusqu’à 2,5 mètres de profondeur, vont être déclenchés. Mis sous tension, ils vont faciliter le perçage. Il ne faut pas que l’atterrisseur se soulève ! Enfin, les « tire-bouchons » du tripode de Philae s’enfonceront et empêcheront des dérapages, ou pire, un renversement.
Dernière précision. Un seul axe est maitrisé : l’axe vertical. Une roue à inertie est lancée avant la séparation qui, couplée à un gyroscope, va maintenir un axe fixe pendant toute la durée de la descente. La rotation quant à elle n’est pas du tout maîtrisée.
On a 360° d’incertitude pour l’orientation de la sonde #CNESTweetup #touvabien :)
— Ollivier Robert (@Keltounet) April 15, 2014
Le programme pour Rosetta et son passager Philae
Entre mai et juin, la sonde Rosetta sera soumise à une décélération progressive (de 3 600 km/h à 3,6 km/h) avec une série de freinages plus ou moins puissants, pour se rapprocher doucement de la comète (à 100 km en août). Puis arrivera le choix concerté du site d’atterrissage, à partir d’images plus fines de la comète. Enfin, l’atterrissage, opération délicate comme on l’aura compris, devrait avoir lieu aux alentours du 11 novembre. Il faudra pour cela assez de soleil pour alimenter Philae et un faible dégazage de la comète. Une fois la vérification du bon fonctionnement de l’atterrisseur terminée, les quatre centres de l’ESA feront une répétition générale pour être prêts le jour J.
Pour s’approcher de la comète (déjà 10 ans de voyage !), Rosetta s’est appuyée sur les champs gravitationnels de la Terre (à trois reprises) et de Mars (une fois). C’est ce qu’on appelle « l’assistance gravitationnelle de planète ». Quelques poussées supplémentaires grâce aux ergols (carburants) de la sonde ont aussi été nécessaires.
On utilise les survols de Mars et de la Terre pour se mettre sur l’orbite définitive en gagnant de la vitesse (4 km/s) #CNESTweetup
— Ollivier Robert (@Keltounet) 15 Avril 2014
Pourquoi se poser sur une comète ?
Au-delà de quelques retombées technologiques (tests de la résistance de nouvelles technologies et de nouveaux matériaux comme les antennes de télécommunication ou les batteries), nos connaissances sur les comètes et notre système solaire en général pourraient faire un pas de géant. Et – excusez du peu – nos représentations de notre place dans l’univers, de l’histoire de notre planète et de l’apparition de la vie pourraient s’en retrouver bouleversées.
La dernière belle avancée dans la compréhension des comètes date de 1986. La comète de Halley avait été observée par la sonde Giotto. Cette première rencontre avec un noyau cométaire a montré qu’il est composé majoritairement (à 80 %) d’une glace d’eau très sombre qui absorbe 97 % de la lumière. On sait également que l’essentiel de sa matière organique, c’est-à-dire le carbone, n’est pas présent sous forme de CO2 ou CH4, mais vraisemblablement de macromolécules très absorbantes.
Giotto avait survolé quelques minutes la comète de Halley en 1986 #CNEStweetup #Rosetta http://t.co/rxPyUjyOoU
— CNES (@CNES_France) 15 Avril 2014
Pourquoi s’intéresser à la composition des comètes ? Jean-Pierre Bibring nous explique que l’on peut les voir comme des « reliques du système solaire », car elles ont « échantillonné le nuage à partir duquel tous les objets du système se sont formés ». Elles ont pris le matériau de départ pour l’emprisonner dans la glace, tout en restant assez loin du soleil afin de le conserver pendant plus de 4 milliards d’années. Ainsi, en analysant ce matériau de départ, nous pourrions comprendre l’évolution des différents objets du système solaire.
La complexité de la matière organique des comètes intrigue également les scientifiques. Ils pensent que ces objets auraient participé à l’apparition de la vie en tombant sur Terre. Les comètes auraient fourni, non seulement de l’eau, mais aussi des macromolécules de carbone très complexes et très absorbantes. La vie ne serait pas née de molécules carbonées aussi simples que CO2 ou CH4 qui se seraient progressivement complexifiées.
En gros, on vient “carotter” une comète et on résout la question sur la vie, l’univers et tout le reste. Et c’est pas #42 #CNESTweetup
— Arnaud Demay (@A_Demay) 15 Avril 2014
Philae, en analysant le sol de 67P/CG sur place, pourrait apporter des éléments de réponse à une multitude de questions : d’où vient le carbone présent sur Terre ? A-t-il été apporté par les comètes ? Sous quelle forme ? La vie s’est-elle construite à partir de carbone sous forme simple se complexifiant ou de carbone préexistant sous forme complexe ? Quelles sont les propriétés des macromolécules des comètes ? Auraient-elles participé à l’apparition de la vie sur Terre ? Est-ce que le processus d’évolution vers le vivant est propre à notre nuage ? Comment expliquer les destins variés des différents objets du système solaire, alors qu’ils sont issus du même nuage ?
Mais comme l’ont souligné nos invités : « une bonne expérience va au-delà des questions posées ». Espérons maintenant que Philae se pose et perce le mystère de la comète.
À propos de l'auteur, Clémence Coudret :
Biologiste d'origine certes. Avant tout curieuse des sciences, des techniques et des arts, et médiatrice scientifique à l'oral, à l'écrit, comme au croquis. Plus qu'une occupation, un métier à plein temps !