Quel est le rôle des éditeurs scientifiques dans la transition vers l’Open Access ?

Place et survie des maisons d’édition de sociétés savantes.

L’importance de l’accès libre aux publications scientifiques, ou Open Access, grandit. Les éditeurs, bon gré mal gré, s’ouvrent à ce nouveau système où chacun a gratuitement accès à l’information et où le financement ne s’appuie plus sur les abonnements. Dans cette dynamique, où les petits éditeurs associés aux sociétés savantes peuvent-ils trouver leur place ?

L’importance de l’accès libre aux publications scientifiques, ou Open Access, grandit. Les éditeurs, bon gré mal gré, s’ouvrent à ce nouveau système où chacun a gratuitement accès à l’information et où le financement ne s’appuie plus sur les abonnements. Dans cette dynamique, où les petits éditeurs associés aux sociétés savantes peuvent-ils trouver leur place ?

Cet article existe aussi en anglais « What role do scientific publishers play in the transition to Open Access? ». Il a été traduit du français vers l’anglais par Timothée Froelich.

 

Le mouvement de l’Open Access -favorisant l’accès gratuit pour tous aux publications scientifiques- a clairement pris son envol en 2012. L’année 2013 aura quant à elle plutôt été marquée par la question : quel Open Access ? Deux courants majoritaires s’opposent à ce niveau : la voie verte, les archives institutionnelles, ou la voie dorée des éditeurs en Open Access. A l’occasion du Congrès Général de la Société Française de Physique, la discussion a porté entre autres sur cette dichotomie. Des éditeurs de sociétés savantes étaient présents parmi les physiciens, documentalistes et autres membres du congrès. La place des éditeurs a ainsi été abordée. Cet angle nous a semblé soulever le dialogue selon une perspective peu abordée.

 

La faute aux éditeurs de prestige ?

 

Entre la rédaction et la diffusion se trouve l'éditeur dont le rôle est de choisir une ligne éditoriale et des textes appropriés et de qualité. Source : National Library of Australie.

 

« L’édition scientifique est née au sein des sociétés savantes » a fait remarquer Bart Van Tiggelen, physicien, président du comité de publication de la SFP et membre du conseil d’administration d’EDP Sciences. De grosses entreprises commerciales comme Elsevier, Springer ou Wiley-Blackwell ont ensuite racheté un certain nombre de titres de revues. Le monopole de certaines de ces maisons d’édition a ainsi grandi avec leur influence et leur prestige jusqu’à ce que la publication d’un article dans ces revues devienne un critère quasi-obligatoire pour l’obtention de postes académiques.

 

Dans les discussions concernant l’Open Access, les éditeurs jouent le rôle du grand méchant loup. En réalité, ce sont les coûts exorbitants de certaines publications et les politiques de monopole de certaines grandes revues qui sont essentiellement visées par les critiques. La dénonciation de pratiques douteuses a par ailleurs éclaboussé les autres maisons d’édition. Les grands éditeurs scientifiques ont ruiné le business des petites maisons : ils attirent à eux les publications les plus stratégiques pour la carrière des chercheurs et l’augmentation de leurs prix des abonnements a contraint plus d’une bibliothèque académique à se désabonner des revues de niches qui s’adressent à un nombre restreint de lecteurs.

 

La proximité entre éditeurs et sociétés savantes : un gage de confiance

 

Lors du mini-colloque sur l’Edition Scientifique au Congrès de la SFP, les éditeurs étaient représentés par Jean-Marc Quilbé, président d’EDP-Sciences, une maison d’édition majoritairement détenue par la Société Française de Physique) et Jean Daillant, physicien au CEA et membre du comité de pilotage d’EPJ. Le constat était clair. Les petites maisons d’édition sont en grande difficulté financière. Faut-il pour autant s’en préoccuper répondent certains ? Si oui, comment établir un système dans lequel les petites structures d’édition ne soient pas constamment en train de lutter pour leur survie ? Quel rôle jouent-elles dans la transition vers l’Open Access ?

 

Bart van Tiggelen soulignait que « La Commission Européenne soutient l’implication d’éditeurs professionnels dans le processus » car, grâce au peer-review (révision des textes par les pairs), ils garantissent la qualité des articles. C’est un filtre de qualité qui est parfois mis en défaut mais qui fonctionne la plupart du temps. Jean‐Marc Quilbé, d’EDP Sciences, ajoutait que « les sociétés savantes donnent une vraie caution morale. Elles sont un vrai « plus » pour un éditeur. Il semble difficile de faire une revue en dehors des sociétés savantes. » (extrait du compte-rendu de la table-ronde)

 

Financement de l’édition

 

La presse comme l’édition n’ont pas attendu l’ère du numérique pour souffrir de modes de financements précaires. Dans les deux cas, quasiment aucun modèle commercial n’a réussi à remplacer le soutien financier de l’Etat, le mécénat ou l’apport de capitaux par des investisseurs. Aujourd'hui, les sociétés savantes peuvent-elles soutenir les coûts des éditeurs ? « En discutant avec Springer, on voit bien que l’idéal pour que l’Open Access Gold fonctionne est une discussion avec les institutions pour un financement direct des revues, » confirme Jean Daillant. « Mais EDP Sciences et les éditeurs français manquent de soutien des institutions […]. La France, [contrairement à la Grande-Bretagne], est importatrice nette d’information scientifique et souhaite avant tout réduire le coût de ses achats à l’international. Elle va ainsi essayer de produire elle‐même sa propre information pour son propre usage. »

 

Préserver les éditeurs scientifique ?

 

Le Royaume-Uni a choisi la voie de l’Open Access Gold alors que de nombreux états soutiennent plutôt la voie verte. « L'Angleterre possède une grosse industrie de la publication scientifique qu'elle souhaite préserver, » affirmait un participant.

 

En effet, le Green Open Access, ou utilisation d’archives institutionnelles, court-circuite la distribution commerciale en donnant l’accès aux publications. Les éditeurs et tout le système d’édition devront donc s’adapter à terme. « C’est là qu’intervient la période d’embargo qui peut préserver l’éditeur, notamment en SHS, » modère Christine Berthaud, directrice du CCSD. Dans un premier temps après la publication, l’éditeur pourra commercialiser l’accès aux publications. Après la période d’embargo, le texte tombe en accès libre et gratuit.

 

Jean-Marc Quilbé a répondu en présentant son analyse, chiffres à la clef. « Nous pensons que les abonnements vont continuer à baisser lentement puis sans doute plus vite jusqu’à une certaine stabilisation. L’idée est de garder ce modèle économique le plus longtemps possible et de créer en parallèle de nouveaux titres en Open Access Gold, qui pourraient par la suite prendre le relais. On envisagera au cas par cas les passages de revue au Gold (ou pas), on pourra faire des spin‐off de revues, c’est-à-dire de nouvelles revues à partir d’une sous‐rubrique d’une revue sous abonnement. »

 

De nouveaux modes d’édition

 

La transition vers l’Open Access est aujourd’hui engagée. Un indicateur de cela est le rachat ou la création de revue en Open Access par tous les éditeurs scientifiques traditionnels, y compris les plus grands qui souhaitent anticiper l’évolution inéluctable du système de diffusion des résultats de la recherche. La voie verte est préférée dans de nombreux endroits. Le rôle important des éditeurs n’est pour autant pas nié. Voie dorée ou voie verte, un filtre de qualité des articles doit être conservé.

 

De nouveaux modes d’édition sont alors proposés. Le CCSD est par exemple en train de mettre en place la plateforme Episciences.org. Elle permettra de procéder à un peer-reviewing des articles disponibles dans les archives ouvertes pour une nouvelle méthode d’édition scientifique à moindre coût. Les éditeurs comme EDP Sciences envisagent eux-mêmes de nouveaux modes de peer-reviewing et de nouveaux formats de publications.

 

Via l’open Access Gold ou via de nouveaux modes d’édition, ne va t-on pas tout simplement récréer de nouveaux éditeurs au sein des communautés scientifiques ? « Vous avez des expertises poussées pour faire de la science. Laissez les professionnels faire l’édition de texte, » réagit Jean‐Marc Quilbé. Mettre les grands éditeurs et ceux des sociétés savantes dans le même panier serait effectivement une erreur. Si la voie est ouverte vers l’Open Access, on constate que de nombreuses questions complexes restent encore à trancher.

 

Documents relatifs à la table-ronde Edition Scientifique lors du Congrès de la SFP :

Compte-rendu du mini‐colloque : Évolution de l’édition scientifique.

Les supports de présentations des intervenants.