Dans la bataille qui oppose les modèles de publication en Open Access (OA) à ceux des journaux scientifiques traditionnels, l’OA ne devrait pas se contenter de prouver qu’il est aussi bien que son rival : il peut être meilleur et l’utilisation des médias sociaux peut lui donner un avantage concurrentiel. C’est ce que pensent Melissa Terras, co-directrice du centre de l’UCL pour les humanités numériques (University College London Centre for Digital Humanities), et Curt Rice, recteur adjoint en charge de la recherche à l’université de Tromsø en Norvège, chercheurs et partisans de l’OA. Par le biais de tweets, d’articles de blog et de riches débats en ligne, on peut maximiser les avantages de l’OA non seulement pour les chercheurs, mais aussi pour les revues qui publient le travail de ces derniers et pour la société en général.
Open Access + Réseaux sociaux sera le thème phare de notre soirée Open Access Week ce soir (23 octobre) à 18h à l'UPMC.
Cet article est une traduction de « “Open Access + Social Media = Competitive Advantage » disponible sur : http://blog.mysciencework.com/en/2012/05/10/open-access-social-media-competitive-advantage.html Cette traduction de l’anglais vers le français a été réalisée par Mayte Perea López.
« Dans une compétition, être aussi bon que son adversaire ne mène nulle part. Il faut être meilleur ». Les mots de Curt Rice font penser au discours d’encouragement d’un entraîneur devant son équipe avant un match, mais c’est bien de la publication scientifique en Open Access dont parle le recteur adjoint en charge de la recherche à l’université de Tromsø (Norvège) et président du Conseil d’administration de l’organisation nationale Current Research Information System in Norway. « Certains croient encore que les publications en libre accès posent des problèmes de contrôle qualité », comme si le terme « libre » voulait dire que n’importe qui peut publier ce qu’il veut. « Une grande partie des discussions ont tourné autour de ce sujet : il a fallu convaincre les chercheurs que le contrôle qualité en Open Access était aussi rigoureux que celui prévu par le système de publication traditionnel ».
Pour C. Rice cependant, résumer le débat à la question du contrôle qualité reviendrait à passer à côté du sujet. Les défenseurs de l’OA devraient plutôt mettre en avant le développement d’un système qui reprend tous les objectifs fondamentaux de publication scientifique – la critique de collègues experts et la transmission des résultats à un public d’utilisateurs varié – pour mieux les réaliser. Comment l’Open Access peut-il doubler son concurrent institutionnalisé et tenace, à savoir les revues traditionnelles prestigieuses ? La réponse se trouve peut-être dans le lien étroit qu’il entretient avec les média sociaux. Le fait de bloguer, de tweeter et de discuter publiquement de la recherche peut avoir des effets bénéfiques sur les scientifiques, les journaux et même la société, à travers l’ouverture du débat et le gain de transparence.
Tes articles tu tweeteras, les lecteurs ainsi tu gagneras
Le chercheur en humanités numériques Melissa Terras a voulu démontrer ce potentiel de Twitter et de la blogosphère pour promouvoir l’Open Access, avec une expérience qu’elle a lancée en octobre 2011. Son projet, qui consistait à promouvoir ses articles de recherche via Twitter (@melissaterras) et des billets de blog, a mis clairement en avant les avantages concrets qu’il représente pour les chercheurs, en particulier lorsqu’il s’agit d’allier Open Access et média sociaux.
Melissa Terras étant chercheur à l’UCL (University College London Centre for Digital Humanities), un certain nombre de ses publications pouvait être trouvé dans Discovery, l’archive ouverte de l’institution. Ces publications étaient accessibles à tous gratuitement, mais la plupart s’enracinaient dans l’archive, chaque document n’étant téléchargé qu’une ou deux fois (même s’il avait été publié des mois ou des années auparavant). M. Terras a décidé de rendre accessible la totalité de ses articles académiques (au nombre de 26) et de promouvoir chacun d’eux à travers Twitter en parallèle de la rédaction d’un billet de blog sur le sujet. Suite à chacune de ces mini-campagnes de communication, elle a constaté le même phénomène : une moyenne de 70 téléchargements par article, en 24 heures. « Ça n’atteint peut-être pas le niveau de diffusion des tendances virales sur internet », écrit-elle sur son blog, « mais ça montre un important regain d’intérêt ». Après un premier pic de téléchargements, l’intérêt retombait en général lentement, sur une période longue, puisque ces articles nouvellement découverts continuaient d’être mentionnés sur d’autres blogs. Aujourd’hui, les articles de Melissa Terras sont parmi les plus consultés dans la base de dépôt par rapport à n’importe quelle autre personne de son service.
« C’est bien de mettre les choses dans une base de dépôt, mais si vous n’en faites pas la promotion, vous risquez de freiner tout élan chez l’utilisateur. »
En d’autres termes, dit-elle, vous ne pouvez pas attendre à ce que de potentiels utilisateurs de votre travail de recherche se disent : « Attendez, Melissa Terras est à l’UCL ! Je me demande s’ils ont une base de dépôt ouverte dans laquelle elle se soit donné la peine de déposer son article ». Franchement, les utilisateurs ne penseront jamais de cette manière… Ce qu’ils veulent, c’est taper le titre ou les mots-clés d’un article sur Google et le voir apparaître. Point à la ligne ».
L’interaction lecteur-auteur-éditeur : une plus-value pour les revues Open Access
Le Dr. Terras est également très bien placée pour nous parler de la plus-value que représentent les média sociaux pour une revue Open Access prospère. En tant que rédactrice en chef de Digital Humanities Quarterly, une revue Open Access sur internet, elle considère que Twitter, en plus de permettre la diffusion d’un lien vers un nouvel article, est un excellent outil d’interaction avec le lectorat. La revue (@DHQuarterly) est suivie par 970 personnes qui donnent leur avis et partagent leurs idées, répondent aux appels à relecteurs et préviennent même l’équipe éditoriale si le serveur de la revue tombe en panne. Élargir l’offre en ligne, souvent de manière participative, donne aussi lieu à un système de publication plus abouti qui offre diverses formes de communication : débats, pages d’opinion, etc.
C’est dans ce contexte de communication ouverte et croissante entourant la recherche que Curt Rice (@curtrice), linguiste de formation, défenseur de l’Open Access et blogueur, voit le rôle que pourraient jouer les média sociaux pour favoriser l’avantage concurrentiel de l’Open Access : « Parce qu’il y a plus de débats, plus de communication, plus de revues informelles accessibles au public à propos des articles de recherche, on obtient une communauté d’internautes professionnels qui se forme autour du site de la revue ».
Une plus grande transparence profitera à tout le monde
Mais au-delà les avantages pratiques que cela implique pour les éditeurs, le Dr. Rice sent que l’utilisation, à la fois des média sociaux et de l’Open Access, rendra un service encore plus important à la science et à la société à travers une plus grande transparence. « L’évaluation par les pairs est extrêmement opaque. C’est pseudo-objectif, car les domaines sont si restreints et spécialisés » que l’anonymat que l’on prétend préserver dans le processus de publication est impossible à maintenir. « C’est peut-être dans l’évaluation par les pairs que l’effondrement du mythe de la méritocratie est le plus flagrant ». Les bons travaux ne sont pas toujours publiés et souvent personne ne sait expliquer pourquoi. [Le système] allie opacité et subjectivité, il s’agit d’un terrible mélange ! ». Selon lui, le fait de changer ce système profiterait aux sciences et à la société. Les réactions individuelles n’en resteraient pas moins subjectives, mais elles seraient au moins visibles pour la communauté.
C. Rice cite l’exemple du débat sur la « bactérie à l’arsenic » (voir notre article « L’édition scientifique : son modèle, ses scandales»), qui a explosé sur Twitter après l’annonce de la découverte d’une forme de vie unique soi-disant capable d’intégrer de l’arsenic dans son ADN à la place du phosphore. La diffusion du communiqué de presse sur Twitter a provoqué une vague de débats entre les scientifiques sur le site de microblog. Le journaliste scientifique Carl Zimmer (@carlzimmer) s’est particulièrement investi dans ce débat. Une partie des discussions a été finalement publiée avec la recherche en question et, pour Curt Rice, il s’agit d’un grand pas en avant.
« Le débat que l’on peut suivre sur les blogs et sur Twitter représente un progrès important en termes de transparence et de pouvoir de diffusion. »
Échapper au piège du prestige de la publication
De grands progrès ont été faits pour s’orienter vers une science plus ouverte, en partie grâce à plusieurs média sociaux, mais il reste le problème du système, qui est toujours aussi conservateur. Même si les jeunes universitaires adeptes de Twitter seraient heureux de rendre leur travail accessible librement en ligne, leur carrière – leur financement et leurs futures promotions – dépend de leur capacité à publier dans les revues traditionnelles et prestigieuses. Comment peut-on espérer échapper un jour à ce système ? Une solution descendante consisterait à exiger, en échange de financements, que les résultats de la recherche soient accessibles librement dans une archive ouverte pour des organismes comme l’INSERM. Dans une approche ascendante, les scientifiques pourraient apprendre à accorder le même prestige aux revues OA qu’aux revues traditionnelles. Il faut savoir cependant que cela va prendre du temps, dans la mesure où chaque nouvelle revue doit faire ses preuves. Melissa Terras explique que plusieurs années de publication de contenus de haute qualité et de relecture rigoureuse par les pairs ont été nécessaires à Digital Humanities Quarterly pour prouver son sérieux. Faire en sorte que les chercheurs reconnus montrent l’exemple en publiant dans une nouvelle revue OA constitue une bonne entrée en matière, mais « le fait de devoir rendre des comptes sur les média sociaux, ça aide… La discussion est généralement plus instantanée et il est plus facile de joindre, d’approcher et de contacter les gens ».
Grâce aux média sociaux sur lesquels chacun doit rendre des comptes, l’Open Access devient encore plus ouvert : un avantage unique par rapport au système traditionnel de publication scientifique. Certains points concernant le modèle économique de l’OA doivent encore être clarifiés (qui se chargera par exemple de payer les frais de traitement des articles : les auteurs ? Les bibliothèques ? Les doyens des universités ?), mais cette question n’est pas insurmontable et une fois que les problèmes seront réglés, les bénéfices de l’OA seront perçus au-delà des sciences de laboratoire, jusque dans les sciences humaines et sociales, la blogosphère et plus encore.
Articles connexes :
Les nouveaux outils numériques pour la recherche http://blog.mysciencework.com/2012/03/26/nouveaux-outils-numeriques-pour-la-recherche-scientifique.html
Advances in Open Access à la Nature Publishing Group http://blog.mysciencework.com/en/2012/04/17/advances-in-open-access-a-la-nature-publishing-group.html
L’Open Access: vers une nouvelle pratique de la communication scientifique http://blog.mysciencework.com/2011/07/06/l%E2%80%99open-access-vers-une-nouvelle-pratique-de-la-communication-scientifique.html
Pour en savoir plus :
Open Access in Science: MyScienceWork on Scoopit http://www.scoop.it/t/open-access-in-science
Scientific Social Networks: MyScienceWork on Scoopit http://www.scoop.it/t/scientific-social-network