Les projets visant l’insertion de pratiques artistiques dans les prisons ont toujours été considérés comme positifs mais aucune étude scientifique ne l’avait démontré. Pour la première fois, l’étude du projet bénévole "Good Vibrations" permet d’estimer l’impact d’un projet musical sur le long terme dans des milieux carcéraux. Les premiers résultats de cette étude menée en Grande-Bretagne montrent que le projet musical favorise la confiance en soi, améliore les interactions sociales des participants avec leur entourage et les incite parfois à rechercher de nouvelles opportunités d’éducation et de formation. Ces résultats mettent en avant les bénéfices dans les prisons de projets culturels et pourraient améliorer la réinsertion des détenus dans la société.
Le milieu carcéral : un microcosme de tension, de violence et d’ennui
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Une initiative du Département de la culture et de l’éducation de Grande-Bretagne
En 2005, en Grande-Bretagne, le Département de la Culture, des Médias et du Sport, le Département de l’Education et de la Formation ainsi que le Conseil des Arts commandaient un rapport bibliographique sur l’impact des Arts en milieu carcéral [1]. Ce rapport préconisait l’étude à long terme des participants aux projets et de leurs encadrants carcéraux pour estimer l’impact réel des projets culturels.
"Good Vibration" est un projet initié par un organisme de charité, "le Firebird Trust", dont l’objectif est d’inspirer et d’élever les individus au-travers de la création musicale.
Le projet Good Vibrations Gamelan
Le projet "Good Vibrations Gamelan" intervient dans 24 prisons anglaises. Les bénévoles y organisent des cours de Gamelan, un instrument à percussion indonésien, d’une durée d’une semaine. Les cours s’adressent à des groupes de 15 à 20 détenus sans prérequis musicaux, lesquels apprennent, dans un premier temps, à jouer des morceaux traditionnels de Gamelan puis, dans un second temps, à composer de petits morceaux en groupe. A la fin du programme, les participants organisent un concert devant leurs co-détenus, les familles et le personnel carcéral.
Deux prisons, Dovegate et Grendon, prirent part à l’étude présentée. Parmi les nombreux participants aux projets musicaux, sept détenus furent longuement interviewés. Il leur a notamment été demandé de décrire leur expérience, les bénéfices qu’ils en ont tirés et les éventuels changements de comportements que le projet a pu induire. Pour parfaire l’analyse de ces résultats, les encadrants des projets musicaux ainsi que les gardiens de prison qui connaissaient les détenus avant le début du projet furent aussi interrogés à propos des changements de comportements des détenus interviewés.
Gamelan © yobink/flickr
Une échelle d’humeur comme paramètre d’étude
Le professeur David Wilson, directeur du centre pour la justice criminelle et la recherche, Laura Caulfield, maître de conférence en criminologie et Susie Atherton, ancienne assistante de recherche à l’université de Birmingham ont développé une échelle simple grâce à laquelle les participants peuvent décrire leur état d’esprit pendant la semaine du projet [2]. Cette échelle a servi à évaluer 12 états psychologiques : la colère ; l’anxiété ; l’ennui ; le calme ; la satisfaction ; la dépression ; la joie ; la solitude ; l’humeur ; la tristesse ; la timidité ; le stress. "Par exemple, pour le calme : Cette semaine je me suis généralement senti(e) calme : 1. Je désapprouve fortement 2. Je désapprouve 3. Je ne désapprouve ni approuve 4. J’approuve 5. J’approuve fortement"
Leur état psychologique durant cette semaine fut étudié avant le projet, pendant, puis 6 mois après, pour inclure dans les résultats la mémoire émotionnelle que les participants avaient gardée de cette période.
Impact à long terme des projets musicaux
Les résultats de cette étude ont confirmé l’impact positif à long terme sur le comportement et le confort des détenus. En effet, même 6 mois après le projet Good Vibrations les participants et les agents carcéraux notent une amélioration des relations entre les détenus ainsi qu’entre les détenus et leurs gardiens.
L’équipe de psychologues distinguent 4 éléments sur lesquels le projet musical a eu un impact positif :
1) Tout d’abord, les relations entre les détenus et les gardiens ayant participé ensemble au projet se sont nettement améliorées. Cela semble être lié au fait que les détenus ont pu apercevoir l’humain derrière l’uniforme. De ce fait, le gardien ne leur est plus apparu seulement comme une autorité mais aussi comme une personne humaine avec laquelle il pouvait discuter et échanger. Cette analyse est confirmée par une amélioration des relations entre les détenus du projet et les gardiens n’ayant pas participé au programme.
2) Les détenus disent avoir gagné de la confiance en eux et, de ce fait, rapportent avoir amélioré leur relations sociales avec leur entourage (famille comprise). Le gain de confiance est issu d’une part du fait d’avoir complété le programme et d’autre part du concert, qui est rapporté comme un moment de stress et d’exposition au danger apportant, après coup, un sentiment de fierté. Leur capacité à communiquer, à écouter et à travailler en groupe a subi de nettes améliorations qui ont été bénéfiques à la vie carcérale.
3) Pour de nombreux détenus, le programme Good Vibrations Gamelan est la première forme d’éducation à laquelle ils sont soumis depuis un certain temps. Un des résultats majeurs du programme est le fait que plusieurs des participants, après avoir constaté l’impact bénéfique du projet, ont activement cherché d’autres formations culturelles, intellectuelles ou professionnelles.
"Participer [au projet] m’a poussé à travailler plus dur. Je viens d’un milieu qui baigne dans l’alcool, la drogue et la violence et c’est tout ce que je connaissais. Me sentir bien de façon positive était quelque chose de nouveau… Je suis capable de faire de bonnes choses" témoignage d'un participant au projet.
4) Les psychologues du projet et les gardiens ont constaté que les bénéfices émotionnels, psychologiques et comportementaux du programme perduraient 6 mois après la fin du projet. De plus, les détenus disent ressentir moins d’ennui même 6 mois après. Leur mentalité a donc été profondément modifiée.
En conclusion, l’impact d’un projet de groupe comportant des éléments d’apprentissage et de créativité au sein d’une institution carcérale s’exprime sur plusieurs plans. Les bénéfices qui en résultent améliorent le quotidien des participants ainsi que de l’ensemble de ce microcosme rigide. Bien que la détention en prison soit très règlementée par des contraintes conformes aux peines légales infligées, l’apaisement des relations sociales au sein de ce milieu clos est un bénéfice pour tous.
Il serait notamment nécessaire d’étendre cette étude à l’impact du projet sur la vie des participants une fois leur peine achevée. En effet, tous les points de comportements sociaux qui ont été discutés sont souvent à l’origine de l’impossibilité, pour certains individus, de s’adapter à la société.
[1] Doing the arts justice: A review of research literature, practice and theory. The unit for arts and offenders applied theatre research, J. Hugues (2005). The arts in criminal justice: A study of research feasibility, A. Miles, R. Clarke (2006).
[2] Good Vibrations: The long-term impact of a prison-based music project, D. Wilson, L. Caulfield, Susie Atherton, Prison Service Journal 182 (2008). Continuing positive change in prison and the community, An analysis of the long-term and wider impact of the Good Vibrations project, L. Caulfield, D. Wilson and D. Wilkinson, Centre for Applied Criminology of Birmingham City University (2009)
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