Les mécanismes de déclenchement de la mort des cellules tumorales suscitent un grand intérêt dans le monde de la recherche sur le cancer. Certaines approches s’appuient sur un déclencheur biochimique – une molécule administrée aux patients censée activer la mort programmée des cellules malades –, mais leur action ne se limite pas à la région où se trouve la tumeur et ne dure pas forcément assez longtemps dans l’organisme. Une solution possible à ces deux problèmes pourrait résider dans l’utilisation de nanoparticules ciblant les récepteurs de mort des cellules cancéreuses ; des aimants permettent de choisir où et quand ces particules seront activées. Dans une nouvelle étude, ce système non-invasif a été utilisé pour activer la mort cellulaire d’un vertébré vivant : une première.
Cet article est une traduction de « A Magnetic Switch for Cancer Cell Death » disponible sur : http://blog.mysciencework.com/en/2012/10/11/a-magnetic-switch-for-cancer-cell-death.html Cette traduction de l’anglais vers le français a été réalisée par Mayte Perea López.
Une équipe de chercheurs en Corée du Sud a fait un grand pas en avant dans l’utilisation des aimants pour traiter le cancer en ciblant les cellules tumorales. Beaucoup d’efforts sont investis dans le développement de composés permettant de tuer ces cellules, mais ceux-ci manquent souvent de précision concernant la zone à traiter et le moment d’activation : les médicaments exercent leurs effets nocifs sur tout le corps, ou la substance thérapeutique se décompose avant de pouvoir agir sur la cible visée. Dans une étude publiée en ligne le 7 octobre 2012 dans la revue Nature Materials, le groupe montre non seulement que l’utilisation de nanoparticules magnétiques permet de déclencher la mort des cellules tumorales in vitro, mais aussi que l’action de ces mêmes particules peut être contrôlée avec précision par des aimants in vivo, chez le poisson-zèbre.
La partie magnétique du système est composée de particules d’oxyde de zinc et de fer (Zn0.4 Fe2.6 O4) de 15 nanomètres de diamètre. L’élément qui permet de cibler les tumeurs est un anticorps spécifique du récepteur de mort 4 (DR4) présent sur certaines cellules du cancer du côlon. Lorsqu’il est activé, ce récepteur enclenche l’apoptose, soit la mort programmée de la cellule, un processus naturel qui permet au corps de se débarrasser des cellules malades ou âgées. L’apoptose est neutralisée dans le cas des cellules cancéreuses, ce qui permet à ces dernières de proliférer de manière incontrôlée.
L’équipe dirigée par Jeon-Soo Shin et Jinwoo Cheon, du Yonsei University College of Medicine, ont lié les nanoparticules magnétiques (NPM) à l’anticorps (Ac) ciblant le DR4 et les ont introduites dans des cultures de cellules cancéreuses du côlon. En l’absence d’un champ magnétique, les complexes Ac-NPM se sont répartis uniformément sur la surface des cellules. Afin d’activer le système, les chercheurs ont placé 2 aimants à 200 micromètres de distance l’un de l’autre pour générer un champ magnétique de 0.64 Tesla entre eux. Ce champ magnétique, qui a été appliqué aux cellules cancéreuses en culture, se concentrait sur une zone d’un micromètre. En activant le magnétisme des particules, les complexes Ac-NPM liés aux récepteurs de mort se concentrent en petits groupes sur la surface de la cellule. C’est cet agrégat de DR4 qui envoie le signal pour déclencher l’apoptose.
d’une cellule sont activées par l’utilisation d’aimants
(Copyright: Nature Publishing Group)
Les chercheurs ont confirmé qu’un signal d’apoptose avait effectivement été envoyé en cherchant la présence de caspase-3, une molécule qui est activée pendant ce processus. L’apoptose en tant que telle a été mesurée par la coloration des cellules du cancer du côlon ; lorsque la membrane de la cellule est endommagée à la suite du processus apoptotique, les cellules prennent une couleur bleue. Un traitement par champ magnétique de 4 heures, en utilisant divers niveaux de concentration de complexes Ac-NPM, a permis de détruire de 20 à 65 % des cellules cancéreuses.
Application du principe in vivo
Ces expériences in vitro ont montré la capacité du système de nanoparticules magnétiques à détruire les cellules. En fait, une technique similaire avait été développée en 2008 par Robert J. Mannix et al. ; c’est le fait d’être parvenu à contrôler les nanoparticules dans l’organisme d’un vertébré vivant qui représente réellement une avancée dans l’étude réalisée par l’équipe sud-coréenne.
L’apoptose, en plus de débarrasser le corps des cellules vieilles ou endommagées, a un rôle à jouer dans le développement : certaines cellules produites sont destinées à disparaître progressivement dans une sorte de processus d’ « élagage », à mesure que l’organisme prend sa forme adulte. Dans cette étude, les chercheurs se sont intéressés au développement du poisson-zèbre pour tester leur capacité à contrôler in vivo les particules déclenchant l’apoptose, dans l’espace comme dans le temps. La similitude génétique entre le récepteur signalant l’apoptose chez le poisson-zèbre et le DR4 humain en faisait un choix pertinent, et les complexes anticorps-nanoparticules magnétiques correspondants ont été produits chez le poisson-zèbre pour réaliser l’expérience.
« Une représentation schématique du système magnétique entraînant un signal d’apoptose dans des cellules in vitro et chez le poisson-zèbre. Les NPM se lient dans un premier temps aux récepteurs de mort, puis l’agrégat résultant de l’application d’un champ magnétique ciblé déclenche un signal apoptotique extrinsèque. Le magnétisme appliqué à l’agrégat de récepteurs de mort entraîne la mort des cellules in vitro mais aussi des changements morphologiques du poisson-zèbre in vivo » (Copyright: Nature Publishing Group)
Des embryons de poisson ont reçu des injections de complexes Ac-NPM au stade de leur développement unicellulaire, puis ils ont été traités avec un champ magnétique allant jusqu’à 0,5T. L’apoptose activée magnétiquement s’est traduite par des changements dans leur développement, entraînant une courbure anormale de la queue : plus le champ magnétique était fort, plus l’angle de courbure était grand. Les auteurs de l’étude observent qu’« une queue courbée est considérée comme l’un des signes les plus caractéristiques d’apoptose » ; la présence d’agrégats de NPM et de la molécule apoptotique témoin caspase-3 dans la queue a corroboré ces conclusions.
Bien qu’ils « se limitent à » compléter de précédentes recherches, ces résultats représentent un cap important par le fait que l’étude a été réalisée sur un organisme vivant. Si les nanoparticules et un système magnétique non-invasif sont capables d’enclencher l’apoptose dans le développement du poisson-zèbre, il est possible d’envisager que cette méthode soit tout aussi efficace pour contrôler la portée et le moment d’activation du processus de mort cellulaire des cellules cancéreuses humaines.
Pour en savoir plus :
Cancer : les mécanismes http://www.inserm.fr/thematiques/cancer/dossiers/cancers-les-mecanismes
Nanoparticles: size and charge matter http://www.sciencenews.org/view/generic/id/36709/title/Nanoparticles_size_and_charge_matter
Cell death (apoptosis) – A to Z http://www.cancerresearchuk.org/cancer-info/utilities/atozindex/atoz-cell-death
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