Lutter contre le réchauffement climatique : deux innovations inspirées de la nature

Le prestigieux Lawrence Berkeley National Laboratory a récemment organisé une session scientifique ouverte à tous dans un théâtre de San Francisco. Au programme : présenter les projets les plus innovants du laboratoire, qui tentent de relever les défis énergétiques imposés par le réchauffement climatique. Sur les huit projets présentés, deux vainqueurs ex aequo ont récolté chacun 25% des votes du public : Raymond Weitekamp propose un spray transparent à vaporiser sur les fenêtres pour limiter les pertes d’énergie et Marcus Lehmann cherche à convertir l’énergie contenue dans les vagues de l’océan en électricité. Aperçu de ces deux innovations inspirées de la nature, qui ont conquis l’auditoire.

PolySpectra : Lutter contre le côté obscur des fenêtres

« 4 % de l’énergie totale des Etats-Unis est littéralement jetée par les fenêtres » s’exclame Raymond Weitekamp dès le début de sa présentation. Si les vitres laissent passer la lumière et peuvent offrir une vue imprenable, elles permettent également le passage des rayons infrarouges qui représentent à eux seuls 50% de la chaleur du soleil. De ce constat est née l’idée de créer un revêtement bloquant l’entrée des rayons infrarouges, pour limiter l’usage intensif de l’air conditionné lors des étés ensoleillés. Si une telle technologie existe déjà, son installation est très onéreuse et nécessite l’intervention de professionnels. Le chimiste Raymond Weitekamp, leader du projet polySpectra, propose une innovation : un film transparent en spray, peu coûteux, à vaporiser soi-même sur les vitres.

Une structure inspirée des ailes de papillon

La lumière visible est composée d’un ensemble de couleurs, chacune caractérisée par une longueur d’onde. Aux deux extrémités de ce spectre visible se trouvent les rayons ultraviolets, de faible longueur d’onde, et les rayons infrarouges, de grande longueur d’onde. Certains matériaux naturels, comme les ailes des papillons, réfléchissent sélectivement certaines longueurs d’ondes grâce à une structure géométrique particulière. S’inspirant de cette observation, Raymond Weitekamp et ses collaborateurs ont développé un film de structure périodique, c'est-à-dire composé de couches nanométriques qui se répètent. Lorsque l’épaisseur des couches équivaut à la longueur d’onde des rayons infrarouges, il se crée un effet de résonance qui permet aux rayons infrarouges d’être sélectivement réfléchis vers l’atmosphère alors que les autres longueurs d’onde traversent la vitre (Figure 1).

Figure 1 : Principe du film transparent réfléchissant les rayons infrarouges, à vaporiser soi-même à la surface des fenêtres. Les polymères en écouvillon contenus dans le spray s’assemblent spontanément à température ambiante et forment une structure multicouche. Par un effet de résonance entre la géométrie du film et les rayons infrarouges, ces derniers sont réfléchis et renvoyés dans l’atmosphère. Ce phénomène réduit considérablement les entrées de chaleur, sans altérer l’entrée de lumière. (Image : Edith Grosbellet)


Mais comment assembler une structure précise au nanomètre en utilisant un simple spray, au lieu de procédés de fabrication longs et coûteux ? La solution : laisser la nature faire le travail en laissant le film s’auto-assembler. Cet auto-assemblage est rendu possible grâce à l’utilisation de l’énergie de surface. Pour simplifier, il s’agit du même principe que lorsque l’on verse de l’huile dans un verre d’eau et que l’on secoue pour mélanger : l’huile hydrophobe minimise la surface de contact avec l’eau en s’assemblant spontanément (autrement dit en s’auto-assemblant) en gouttelettes. De la même façon, si l’on mélange des polymères comportant une phase hydrophobe (« huile ») et une phase hydrophile (« eau ») attachées entre elles, les polymères s’organisent spontanément en couches pour minimiser les interactions entre parties hydrophiles et hydrophobes. L’utilisation de petits polymères dits en écouvillon permet d’obtenir un film multicouche aux dimensions voulues pour réfléchir les rayons infrarouges.


A quand le spray à fenêtre ?

Il reste à Raymond Weitekamp et à son équipe un certain nombre de défis techniques à relever. Selon le scientifique, le film obtenu lors des essais est encore trop flou : la géométrie du film n’est pas encore assez précise et l’auto-assemblage doit être optimisé. Le chercheur est également conscient qu’un tel matériau devra être non polluant et respecter les normes de qualité de l’air. Bien que le projet soit encore à l’état de prototype, il n’en reste pas moins une technologie prometteuse et innovante qui permettrait de réduire jusqu’à 10% de la consommation en électricité des immeubles, notamment dans les climats chauds. Cette technologie possède par ailleurs d’autres applications pour les bâtiments. Sur le même principe, l’équipe a également créé des films qui filtrent les rayons ultraviolets et qui, appliqués tel un revêtement sur les matériaux extérieurs, pourraient limiter les dégradations dues au soleil.

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CalWave : Utiliser l’énergie des vagues

« 1,3 gigawatts sont nécessaires pour couvrir les besoins électriques de San Francisco, combien faut-il d’éoliennes et de panneaux solaires pour rendre la ville auto-suffisante en énergie ? » Si le début de la conférence rappelle les problèmes de maths de l’école primaire, la solution proposée par Marcus Lehmann est aussi innovante qu’inattendue. Il s’agit de rajouter dans l’équation une énergie prometteuse mais inexploitée : les vagues du Pacifique.

Capturer l’énergie des vagues en s’inspirant de la nature

Selon l’ingénieur en mécanique et leader du projet CalWave, les avantages d’une telle ressource sont multiples. L’énergie contenue dans les vagues est 30 fois plus importante que celle contenue dans le vent (environ 30 kilowatts par mètre de côte pour les vagues). Par rapport aux énergies solaires et éoliennes, les vagues sont une énergie stable, qui subit moins de variations journalières et peut être prédite jusqu’à 15 jours en avance !

Une fois de plus, la technologie proposée par les scientifiques est inspirée de Mère Nature. Ils ont observé que lorsque les fonds marins proches du rivage sont composés de boue et de sable, les vagues sont très rapidement atténuées (Figure 2). En effet, la boue du fond marin se déplace à l’arrivée de la vague et se comprime, absorbant ainsi l’énergie du mouvement de l’eau.

Figure 2 : Dans le Golfe du Mexique, l’interaction avec la boue du fond marin proche du rivage entraîne une forte atténuation des vagues (à droite de la photo). Photo de 1998, issue de « Airborne Data Acquisition and Registration (ADAR) ». (Adapté de K.T.Holland et. al., Continental Shelf Research 29 (2009) 503–514).


C’est ce principe qu’utilisent Marcus Lehmann et son équipe dans un premier prototype réalisé en 2014. Dans une cuve contenant un dispositif qui permet de créer des vagues artificielles, les scientifiques ont placé une large membrane flexible, ou tapis, reposant sur des pistons. Sous l’effet de la vague et des pressions différentielles qui s’exercent sur le tapis, celui-ci se met à onduler, comme illustré dans la Figure 3. Le mouvement du tapis induit l’atténuation de la vague en surface et permet de comprimer tour à tour les pistons qui soutiennent le dispositif. Le mouvement des pistons entraîne alors un moteur qui génère de l’électricité, qui peut alimenter les foyers proches du rivage.


Figure 3 : Principe de l’absorption de l’énergie de la vague par un tapis sensible à la pression. Une vague est engendrée artificiellement dans la cuve de l’expérience. Sous l’effet des modifications de pression, le tapis ondule et transmet le mouvement à des pistons qui entraînent un moteur, produisant ainsi de l’électricité. Le tapis ayant absorbé l’énergie de la vague, celle-ci s’atténue rapidement. (Image : Edith Grosbellet)


Alimenter 50 millions de foyers américains en électricité

50% de la population des Etats-Unis vit à moins de 50 km des côtes. Selon le Département Américain de l’Energie, les vagues pourraient alimenter 50 millions de foyers américains en électricité. Le système étant submergé, il est prévu pour résister aux intempéries climatiques et ne présente aucune pollution visuelle des rivages. Sa réalisation et sa localisation sont aussi étudiées pour ne présenter aucun danger de collision avec les bateaux ou les animaux marins. L’équipe CalWave a été récemment sélectionnée parmi les finalistes du prix US Wave Energy, après avoir réussi un test concluant d’un prototype à l’échelle 1/50e à l’Université de l’Iowa. Les scientifiques sont maintenant en train de tester un prototype à l’échelle 1/20e à l’Université du Maine. Marcus Lehmann conclut : « Compte tenu de la grande densité en énergie des vagues, seule une faible proportion de la côte californienne sera occupée par le système. Sa localisation par rapport au rivage laissera également aux vagues le temps de se reformer avant de s’échouer sur les plages ». Les surfeurs peuvent donc dormir sur leurs deux oreilles.


Retrouvez en vidéo tous les projets innovants de la conférence San Francisco Cleantech Pitchfest :


Crédit image bannière : "Blue Morpho" - Tom Hilton/Flickr, CC-BY 2.0