Lorsque des restrictions de coûts drastiques sont demandées à la protection sociale française, les médicaments génériques constituent un potentiel d’économie majeur. L’éducation des patients à leur sujet a toutefois encore du mal à tordre le coup au scepticisme des français quant à leur efficacité. C'est pourquoi, l’Assurance Maladie passe à la vitesse supérieure, en partenariat avec industriels et pharmaciens d’officine, pour accentuer leur pénétration du marché, et permettre de réaliser plus d’économies.« La bioéquivalence entre produit référent et générique ne signifie pas qu’il y a automatiquement une équivalence thérapeutique ».
C’est avec ces arguments qu’un rapport [1] de l’Académie de Médecine* a pris ses distances avec la politique de promotion des médicaments génériques, conduite conjointement par les autorités de santé, l’assurance maladie et les professionnels de santé en France depuis plus de dix ans. Approuvé en février dernier, ce rapport concis et documenté de sept pages nuance largement le rapport bénéfice/risque du recours systématique aux médicaments génériques et soulève une question qui a déjà fait couler beaucoup d’encre : la qualité thérapeutique des génériques est-elle parfaitement comparable à celle des princeps ?
Le principal avantage du recours aux génériques est avant tout économique. Le médicament générique est une « copie bioéquivalente » d’un médicament dont le brevet est expiré (appelé le « princeps »). Le coût de recherche et développement déjà assumé par la molécule originale ou princeps, le prix des médicaments génériques est un pourcentage du prix du médicament original, permettant ainsi une économie allant de 30 à 60%. [2]
Les médicaments génériques disponibles sur le marché français proviennent pour la plupart de groupes pharmaceutiques combinant une activité de production de génériques et de princeps en imposant les mêmes critères de qualité et appliquant le même savoir-faire. Ils font cependant l’objet d’un scepticismepersistant et mènent la vie dure aux pharmaciens d’officine qui tentent de les imposer à leurs patients.
Ces derniers mois, deux événements majeurs ont illustré la tentative des pouvoirs publics et des industriels d’inverser cette tendance : le « tiers payant contre génériques » [3] et la campagne de communication du GEMME [4].
Recours aux génériques : intérêt économique pour la protection sociale française
Une part importante des fonds de la protection sociale de notre pays est allouée à la santé. Le remboursement des médicaments représente approximativement un tiers des dépenses des soins de ville (dépenses de santé hors de l’hôpital), pour seulement 17% des dépenses de santé globales (le coût hospitalier constituant la majorité des dépenses).
Des efforts conséquents sur les prix des médicaments, des marges fabricants et distributeurs et de la liste des médicaments remboursés ont permis de limiter la progression des dépenses imputables aux médicaments. (Le coût des traitements médicamenteux remboursés est le poste de dépense présentant la plus faible progression).

- Les Français restent parmi les plus gros « consommateurs » de médicaments en Europe. Bien que cette tendance s’infléchisse, les Français affichent en moyenne une consommation 40% plus élevée que leurs voisins européens [5], avec un coût annuel de 521€ par habitant, contre 375€ en moyenne en Europe. [6]
- Les prix des médicaments en France sont sensiblement plus chers qu’ailleurs, et ce pour les princeps comme les génériques : les prix des génériques sur le marché allemand est en moyenne 25% plus bas qu’en France. [6]
Bien que les génériques aient permis des économies substantielles au cours de ces dix dernières années (10 milliards d’euros depuis 1999 et 2 milliards pour l’année 2011 d’après le GEMME [4]), la progression de leur prescription n’atteint quant à elle pas les objectifs escomptés.
Un accord national fixant des objectifs de délivrance des spécialités génériques a été signé entre les syndicats pharmaceutiques et l’assurance maladie dans le but de promouvoir la prescription des médicaments génériques. L’objectif affiché (atteindre 85% de substitution en 2012) est à ce jour loin d’être atteint.
Des efforts économiques supplémentaires demandés aux acteurs du médicament
Un rapport de l’IGAS et de l’Inspection Générale des Finances publié en juillet 2012 [6] a eu la lourde responsabilité de trouver des pistes afin d’adapter l’offre de soins pour limiter la progression des dépenses de santé et tâcher de combler le déficit persistant de l'assurance-maladie.
Les objectifs d’économies à atteindre incluent une économie prévisionnelle de 500 millions d’euros du fait de la baisse des prix et de l’augmentation de la part des médicaments génériques, ainsi qu’une économie de 300 millions annuels du fait de la baisse des prix des princeps. [6]
Cette pression supplémentaire exercée sur le prix des médicaments, princeps comme génériques, est toutefois nuancée : il est rappelé l’effort important d’investissement en recherche et développement fourni par l’industrie pharmaceutique (5 milliards d’euros annuel). De plus, cette diminution des prix sera compensée par le dynamisme du marché (forte consommation de médicaments en France). La consommation est à ce jour également en régression en France. Ce rapport précise que les « effort[s] sur les prix doi[vent] rester cohérent[s] avec la compétitivité du secteur ».
La diminution imposée des prix et des marges de tous les acteurs de la filière pharmaceutique, couplée à l’incitation du recours aux génériques, est mise en avant par le rapport de l’Académie de Médecine comme l’une des raisons potentielles des ruptures de stock croissantes en médicaments essentiels [1]. En effet, la pression exercée sur le coût des médicaments se répercute sur les procédés de fabrication et de stockage des industriels et des grossistes qui ont vu leurs marges diminuer.
Petit retour sur l’arrivée des génériques dans nos pharmacies
Attribué aux pharmaciens en 1999, le droit de substitution désigne la possibilité pour le pharmacien de remplacer le médicament princeps prescrit par le médecin par son équivalent générique, dès lors que celui-ci est inscrit au répertoire officiel de l’ANSM et que cette substitution n’entraîne pas une augmentation de dépenses pour l’Assurance Maladie.
Cependant, le médecin peut refuser la substitution du traitement de son patient en apposant de manière manuscrite sur l’ordonnance, la mention « non substituable ». Cette mention limitant la substitution est désignée comme principal obstacle à la pénétration des génériques en France par les syndicats de pharmaciens.
Un avenant à la convention liant pharmaciens et Assurance Maladie est venu s’ajouter au cadre strictement juridique. Incluant la notion de « tiers payant contre génériques » [3] précédemment cité, il dissuade les détracteurs des génériques au comptoir. Depuis le mois de juillet 2012, les patients refusant de se voir délivrer un médicament générique sont amenés à avancer les frais, ainsi qu’à transmettre eux-mêmes les documents nécessaires à leur remboursement. Ces derniers signent donc le retour de la traditionnelle feuille de soin papier et ressortiront de l’officine le portefeuille un peu plus léger qu’à l’accoutumée.
Les français n’étant que peu habitués à payer les médicaments prescrits, le taux de substitution a progressé dans toutes les régions de France. Nombreuses sont celles où le taux de substitution a enfin franchi la barre des 80 %. Pour illustration, cette augmentation estimée à 12 points a permis une économie estimée à 200 millions d’euros pour le second semestre 2012. [8]
Des patients toujours sceptiques…
Bien qu’ils soient délivrés depuis plus de douze ans en France, les médicaments génériques souffrent encore de la méfiance de certains patients. Les mesures incitatrices présentées ci-dessus sont un succès économique mais n’ont pas permis de rassurer le grand public dans un contexte où toute action de l’ANSM bénéficie d’une couverture médiatique très importante et souvent alarmiste.

A propos de l’auteur : Aurélie Kam est pharmacien, elle travaille pour l’industrie pharmaceutique et écrit ponctuellement sur des blogs scientifiques.
Références :
[1] Place des génériques dans la prescription – C.H.Menkès – Rapport de l’Académie Nationale de Médecine – Février 2012
[4] http://www.medicamentsgeneriques.info/les-generiques-en-campagne-avec-le-gemme-media/
[5] OCDE, 2009
[6] Propositions pour la maîtrise de l'ONDAM 2013, 2017, Inspection générale des affaires sociales; Inspection générale des finances –Juillet 2012
[7] http://www.medicamentsgeneriques.info/ (Site internet du GEMME)
[8] http://www.leem.org/article/chiffre-daffaires