Pour Gérard Wajcman, Les Experts évoluent dans un monde où on peut tout savoir. Aucune chose ne peut garder un secret, pas même la mort. « Ce monde de transparence et de vérité, c'est le nôtre. Plus exactement, c'est le monde de la grande promesse de la science. » Comment l’analyse de cette série sur la police scientifique révèle des fonctionnements de la réalité et notamment la place des morts dans la quête de vérité.
Cet article existe aussi en anglais « CSI: Where objects speak the truth ». Il a été traduit du français vers l’anglais par Timothée Froelich.
Source : Licence creative commons - Flickr - Tex Texin
Gérard Wajcman, psychanalyste et maître de conférences, s’est lancé dans l’étude de la série télévisée américaine Les Experts. Il en a livré les résultats dans son ouvrage Les Experts, la Police des Morts.
Les Experts, une série qui exclue le mensonge
Cette série est fondée sur la découverte d’une vérité certaine en excluant le mensonge. Partant du principe que seules les preuves matérielles parlent, les experts de la police scientifique excluent la parole de l’ordre de la vérité. Pour les criminalistes, l’aveu n’est plus la preuve essentielle depuis la fin des années 80. Il a en effet été supplanté par le développement de la recherche de l’indice matériel. Cela a été possible grâce aux progrès technologiques qui proposent un spectre d’analyses toujours plus large pour obtenir des conclusions toujours plus précises.
Les techniciens de la police scientifique, souvent aussi enquêteurs dans les fictions comme RIS Police Scientifique, Les Experts ou Bones, placent l’objet au-dessus de l’homme, allant même jusqu’à considérer un cadavre comme une chose. Pour les médecins légistes, c’est la condition sine qua non pour réussir à lui faire raconter ce qu’il a vécu. Body of Proof est une série où l’héroïne est présentée comme un médecin légiste capable de faire parler les morts. Ce constat ne se limite pas au monde de la fiction. En effet, Perrine Rogiez-Thubert, lieutenant de police à l’identité judiciaire, la police scientifique française, raconte son quotidien dans La Parole est au Cadavre. Seules les choses et les morts parlent et disent vrai.
Les Experts est l’une des séries qui utilise le corps comme source de vérité. Lie to me est une série d’un autre genre où ce sont les gestes et les micro-expressions qui trahissent les menteurs. Pour Gérard Wajcman, « Toutes ces séries sont hantées par l’exigence de certitude, véritable obsession du puritanisme américain. » Elles montrent que la vérité finit toujours par se savoir. Ce désir de transparence se ressent aussi avec l’évolution du décor des Experts qui change au fur et à mesure des saisons : d’un laboratoire assez classique au départ, on passe à une dominance de verre partout après quelques années.
Les Experts, une série qui parle de science sans l'expliquer
Ce psychanalyste a aussi constaté que « Les Experts est une série sur la police scientifique, et donc le savoir scientifique, dans laquelle on n’apprend absolument rien ». Même si les machines montrées sont réelles et si les acteurs savent les utiliser, le spectateur, lui, ne dispose d’aucune explication. La science n’est accessible qu’à un public averti capable de décrypter les quelques séquences techniques d’un épisode et de rêver devant cette « vitrine de grand magasin ». Certains spécialistes ont ainsi pu découvrir des nouvelles technologies comme lui a confié Perrine Rogiez-Thubert tel que l’utilisation d’images 3D alors que c’était à peine arrivé sur le terrain.
« Cette série met donc la science en lumière tout en gardant un côté assez obscurantiste ».
La modernisation et la scientifisation des moyens ont permis d'améliorer l'efficacité de la police et continue de le faire. Cette évolution a conduit à une rupture, faisant passer la police « du règne des êtres au règne des choses. »
NB : Les propos de Gérard Wajcman ont été recueillis dans le cadre du colloque Police entre fiction et Non-Fiction, en mars 2013 à Paris
Pour en savoir plus :
Les Experts, la police des morts, Gérard Wajcman, éditions PUF, 2012
La Parole est au Cadavre, Le Quotidien d'un Officier de Police - Perrine Rogiez-Thubert, Demos Eds, Collection Criminologie Et Société, 2011