Le Rouge et le Vert :

découvrez la chronique chromatique de Noël

Pourquoi donc, chaque année à Noël, décorons-nous consciencieusement nos maisons avec du rouge et du vert ? Certes, c’est une tradition, mais encore ? Un chimiste et historien de l’art de l’université de Cambridge nous propose une surprenante explication, fondée sur les résultats d’une étude qu’il a réalisée sur la signification des couleurs dans le monde médiéval.

Pourquoi donc, chaque année à Noël, décorons-nous consciencieusement nos maisons avec du rouge et du vert ? Certes, c’est une tradition, mais encore ? Un chimiste et historien de l’art de l’université de Cambridge nous propose une surprenante explication, fondée sur les résultats d’une étude qu’il a réalisée sur la signification des couleurs dans le monde médiéval.

Cet article est une traduction de « Medieval Roots for our Christmas Colors? The Meaning of Red & Green » disponible sur : http://blog.mysciencework.com/en/2011/12/22/red-green-medieval-meaning.html Cette traduction de l’anglais vers le français a été réalisée par Mayte Perea López.

 

J’ai enroulé mon écharpe verte autour de mon cou, je l’ai vue retomber sur mon pull rouge et je l’ai aussitôt enlevée. « Je ne peux pas sortir comme ça », me suis-je écriée. « Je ressemble à un lutin de Noël ! ». Rares sont les combinaisons de couleurs pour lesquelles l’évocation est aussi forte et immédiate. Quelle peut bien en être la raison ? Pourquoi, de toutes les couleurs qui existent, le rouge et le vert sont-ils à ce point enracinés dans notre culture qu’ils incarnent précisément cette fête d’hiver ?

Spike Bucklow, de l’université de Cambridge, a peut-être une réponse à cette question. Son hypothèse est élaborée à partir de l’étude qu’il a réalisée sur une forme particulière d’art religieux de l’époque médiévale. Chimiste de formation, le Dr. Bucklow a mis ses compétences au service de la restauration d’œuvres d’art, au Hamilton Kerr Institute du Fitzwilliam Museum de l’université. Depuis 2009, il travaille sur un projet d’étude et de restauration des jubés datant du XIVe au XVIe siècle. Les jubés sont des structures en bois qui s’élèvent dans une église entre la nef et le chœur. Sculptés au Moyen Âge, ils sont richement décorés avec des images de saints ou de donateurs locaux et suivent tous le même schéma chromatique : les parties en rouge succèdent aux parties en vert. Le motif changeait si peu d’un jubé à l’autre que S. Bucklow s’est dit qu’il devait y avoir une explication à cela.

 

Un jubé médiéval en rouge et vert, couleurs symboliques de NoëlUn jubé médiéval, en rouge et en vert
 

Comprendre la fonction occupée par les jubés pourrait nous éclairer sur la signification de ces couleurs. Spike Bucklow explique que les jubés délimitent une frontière à l’intérieur de l’église : entre la nef où le public profane se livrait à diverses activités qui n’étaient pas forcément liées au culte, comme la vente de bière, et une zone plus sacrée où s’élevait l’autel et où chantait le chœur. « C’est une frontière spatiale, mais qui marque également une différence en termes de sainteté. C’est aussi une frontière spirituelle ». Une telle délimitation ne représente pas forcément une séparation, s’empresse-t-il d’ajouter. « Nous avons tendance à penser systématiquement en termes de hiérarchie, alors que les frontières visent seulement à rendre une chose spéciale par rapport aux autres. Tout est une question de perspective ». Un hôte qui, d’un côté, demande à une personne de « ne pas entrer », peut de l’autre côté faire du lieu ainsi délimité une destination très recherchée.

Se déplacer dans une église d’ouest en est, en partant de la nef pour rejoindre l’autel, constitue à la fois un voyage dans le temps et une traversée spirituelle d’un lieu peu empreint de spiritualité à un autre lieu spirituellement élevé. Ici, l’espace et le temps sont des dimensions partielles de la frontière spirituelle que les jubés rouges et verts mettent en avant. Le Dr. Bucklow pense que l’on a conservé le symbolisme de ces couleurs, qui évoquent cette frontière spatiale et spirituelle dans une église, pour marquer une frontière temporelle : la fin de l’année et le début de la suivante. « Noël coïncide avec le solstice d’hiver, le jour le plus court et la nuit la plus longue de l’année. C’est un bon moment pour marquer la fin d’un cycle ».

Le temps, l’espace et la sainteté sont donc étroitement liés et marquent naturellement leurs transitions selon un même système symbolique. Certes, cela ne nous explique toujours pas pourquoi le rouge et le vert étaient utilisés en premier lieu. Selon Spike Bucklow, ces couleurs auraient été choisies pour représenter les dichotomies, de la même manière que le jubé fait la distinction entre le profane et le sacré, ou que le solstice marque le passage de l’ancien vers le nouveau. Le rouge et le vert étaient généralement associés aux contraires que sont le feu et l’eau, le masculin et le féminin. L’analyse qu’a faite Bucklow des pigments utilisés dans ces œuvres d’art apporte des preuves supplémentaires de l’existence de ce symbolisme des contraires. Il a remarqué que le pigment vert utilisé pour décorer les jubés était un matériau synthétique fait à partir du cuivre. Il y avait plusieurs sources de rouge coloré, l’une d’elle étant du fer. Les deux pigments étaient alors élaborés à partir de produits métalliques. « La métallurgie était définie par l’astrologie au Moyen Âge », explique-t-il. « Les sept planètes visibles à l’œil nu étaient liées aux sept métaux. D’un côté, le cuivre était associé à Vénus, qui représente la féminité, l’amour et une figure aquatique. De l’autre, le fer était associé à Mars, qui représente la masculinité, la guerre et le feu ».

Peinture vert : un couleur symbolique au Moyen Age et à Noël ?Peinture rouge : un couleur symbolique au Moyen Age et à Noël ? 

Dans les mentalités d’aujourd’hui, ceci n’est peut-être qu’un détail, mais le Dr. Bucklow est conscient du fait que, dans son travail en tant que scientifique restaurateur de peintures, il risque d’imposer sa vision du XXIe siècle à des œuvres vieilles de plusieurs centaines d’années. Pour diminuer ce risque, il s’est mis à la place des personnes du Moyen Âge et a étudié leur vision du monde. Il a découvert que ce système de symbolisme des couleurs était très connu.

“On le trouve partout dans la poésie, dans l’œuvre de Chaucer, dans les chansons populaires. Cette codification de la signification des couleurs était connue de tous, et ce jusqu’au XVIIe siècle où la vision newtonienne [du monde] est apparue ».

Aujourd’hui encore, les couleurs ont des connotations différentes selon les cultures dans le monde. Nous serions alors peu surpris de découvrir, dans ce cas, que les cultures précédentes attribuaient une plus grande signification aux couleurs que nos cultures actuelles. « Les couleurs avaient un grand pouvoir d’évocation », explique le Dr. Bucklow. Par exemple, le violet étant réservé à la royauté, « jusqu’aux années 500, si vous portiez du violet dans des pays d’Europe de l’Est ou d’Asie de l’Ouest, vous risquiez d’être exécuté. Si vous étiez tisserand et que vous aviez confectionné un vêtement violet pour quelqu’un, on pouvait vous couper les mains. C’est étrange de voir à quel point nous sommes libres dans le choix des couleurs que nous portons et si peu conscients de cela aujourd’hui ».

Spike Bucklow

Les hommes et les femmes de l’époque victorienne, qui sont à l’origine de nombre de nos traditions de Noël actuelles, devaient connaître, du moins en partie, la signification du rouge et du vert pour les cultures qui les ont précédés. L’art religieux médiéval était omniprésent à leur époque et la peinture intérieure que l’on trouve aujourd’hui dans les églises est souvent le fruit de leurs efforts pour la restaurer. 
 

“Il est très probable que les hommes et les femmes de l’époque victorienne aient adopté le rouge et le vert à partir des mêmes sources que les miennes. Je pense qu’ils devaient comprendre [sa signification] parce qu’ils y sont restés fidèles, ils ne s’en sont pas écartés ».

Et si nous pouvions renouer avec toute la signification qui était donnée aux couleurs par le passé ? « Nous avons tendance à penser que nous vivons dans un monde tellement plus stimulant, mais la stimulation est telle qu’il n’y a pas vraiment de contraste », observe le Dr. Bucklow. Il illustre son propos par l’exemple d’un pèlerin au Moyen Âge, qui, à la vue d’une magnifique cathédrale peinte en noir, en doré, en vert et en rouge, parcourrait le dernier kilomètre à genoux. « Le contraste avec la vie quotidienne aurait été tellement spectaculaire. D’un côté, notre monde est plus riche ; de l’autre, il est plus pauvre ». Les couleurs ne nous parleront peut-être jamais autant qu’à l’époque médiévale, mais nous pouvons au moins essayer d’être réceptifs au message que font passer le rouge et le vert en cette période de vacances : cette année est en train de mourir, mais une nouvelle année est sur le point d’éclore.

Pour en savoir plus :
Who colour-coded Christmas?
Who colour-coded Christmas: Audio Slideshow
Spike Bucklow & the Alchemy of Paint