Le doctorat ne rime pas toujours avec emploi

Des inquiètudes dans la poursuite de carrières des doctorants

Dans les pays membres de l’OCDE, le nombre de doctorants a augmenté de 40% en moyenne entre 1998 et 2008. En parallèle, la création de postes dans l’enseignement supérieur et la recherche se raréfie. La poursuite de carrière de ces diplômés après obtention de leur diplôme soulève donc des inquiétudes. Dans le secteur privé, les docteurs ont pendant longtemps souffert d’un manque de visibilité et de reconnaissance. Leurs compétences sont néanmoins de mieux en mieux valorisées, une amélioration qui ne compense pourtant pas des perspectives professionnelles insatisfaisantes et les frustrations de ces années d’emploi précaire.

Dans les pays membres de l’OCDE, le nombre de doctorants a augmenté de 40% en moyenne entre 1998 et 2008. En parallèle, la création de postes dans l’enseignement supérieur et la recherche se raréfie. La poursuite de carrière de ces diplômés après obtention de leur diplôme soulève donc des inquiétudes. Dans le secteur privé, les docteurs ont pendant longtemps souffert d’un manque de visibilité et de reconnaissance. Leurs compétences sont néanmoins de mieux en mieux valorisées, une amélioration qui ne compense pourtant pas des perspectives professionnelles insatisfaisantes et les frustrations de ces années d’emploi précaire.

Une version en anglais de cet article est disponible ici  PhD Not Always a Job Guarantee

 

Les jeunes de la génération des années 80 ont souvent entendu dire qu’un grand nombre d’enseignants partirait en retraite au moment où ils entreraient sur le marché de l’emploi. Depuis, un certain désenchantement s’est installé. Cette génération Y est même parfois qualifiée de génération sacrifiée… Ce sont en effet des jeunes qui entrent dans la vie active en pleine crise économique. Une période qui se distingue en premier lieu par une crise de confiance et une défiance vis-à-vis du fonctionnement global de nos sociétés. Où sont donc ces enseignants de la génération babyboom censés céder leur place à la jeune génération en prise à une forte augmentation du taux de chômage ?

 

Le doctorat est le point d'aboutissement des études supérieures équivalent à bac+8.
source: chekobero/Flickr
université diplome

Le doctorat constitue le troisième cycle de l’enseignement supérieur. Il prépare généralement à des postes d’enseignants dans le supérieur (maîtres de conférences, professeurs) ou à des postes de chercheurs. Au carrefour entre création de nouveaux savoirs et transmission des connaissances, ces fonctions ont une importance capitale. En 2007, le taux de chômage des docteurs était supérieur à celui des diplômés de Master indiquant une augmentation du chômage avec l’augmentation du niveau du diplôme. Cette tendance anormale, qualifiée alors d’« exception française » selon le Centre d’analyse stratégique (CAS), s’est depuis inversée. Une étude du Céreq « Enquête 2010 génération 2007 » montre qu’en France en 2010 5 % des diplômés de doctorat sont au chômage trois années après leur entrée sur le marché du travail. Malgré un taux de chômage des docteurs globalement plus faible que le taux national, il faut noter que la discipline et le type de contrat déterminent fortement la facilité de l’accès à l’emploi. Le taux de chômage 3 ans après un doctorat en sciences humaines et sociales est par exemple de 12%. Au contraire, les doctorants à la frontière entre public et privé et ayant été financés par une bourse CIFRE (Conventions industrielles de formation par la recherche) trouvent beaucoup plus rapidement un emploi. En 2010, 86% d’entre eux ont trouvé un emploi en moins de trois mois.

Un article canadien concernant la poursuite de carrière des diplômés d’un doctorat et la surqualification des étudiants pose la question autrement : pourquoi tenter d’attirer les jeunes vers le doctorat si le secteur ne recrute pas suffisamment de hauts diplômés ? Le constat est qu’au Canada l’augmentation du nombre d’inscriptions en doctorat a été de 5,1% par an en moyenne entre 2004 et 2008, un chiffre que l’augmentation du nombre de postes d’enseignement dans le supérieur n’a pu absorber. Tout cela a donc pour conséquence l’allongement de la durée des emplois post-doctoraux pour ceux qui souhaitent encore intégrer la recherche académique ou l’enseignement supérieur. Les jeunes qui sortent fraîchement diplômés d’un doctorat entrent donc en compétition avec des post-doctorants qui cumulent parfois jusqu’à 6 ou 7 ans de contrat précaire pendant lesquels ils auront travaillé avec acharnement pour remplir leur CV et leur liste de publications. Une compétition injuste qui implique que les jeunes docteurs deviendront eux-aussi de vieux post-doctorants.

Cet effet d’embouteillage à l’entrée du monde académique est visible dans de nombreux pays. Aux Etats-Unis, cette tendance a été relativement exploitée par les centres de recherche qui embauchent une grande majorité de post-doctorants, main-d’œuvre docile travaillant sous la direction de quelques rares « tenured professors » détenteurs d’un poste permanent. En France, selon le rapport « Repères et Références Statistiques 2012 » les effectifs ont augmenté en cursus licence et stagnent en master. En cursus doctorat, ils ont connu une augmentation jusqu’en 2007 et sont depuis en légère diminution. Le nombre d’inscrits en doctorat scientifique est quant à lui relativement constant. Les prévisions sur l’évolution du nombre de doctorants pour les années à venir sont très pessimistes et annoncent environ un tiers de doctorants en moins entre 2007 et 2017*. Seul le droit serait épargné par cette désaffection.

Qu’en est-il des autres débouchés ? Au Canada seulement 7 à 8% des personnels de recherche en milieu industriel ont un doctorat. Le secteur de la recherche et développement (R&D) en entreprise n’emploie donc pas le surplus de jeunes issus des formations doctorales. En France, le problème est accru par le fait que les docteurs se retrouvent dans leur recherche d’emploi en R&D face aux étudiants d’écoles d’ingénieurs. Ces derniers sont plus jeunes et ont été formés pour l’insertion dans le milieu professionnel grâce aux techniques de présentation (quel comportement adopter en entretien, comment rédiger un CV…) et à une orientation plus appliquée de leur formation. Selon le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche et l’OCDE (Organization de Cooperation et de Développement Economique), en France « plus de la moitié des chercheurs en entreprise sont issus d’une école d’ingénieurs ». Seulement 13 % des chercheurs ont un doctorat dont près d’un quart dans une discipline de santé. En outre, parmi les docteurs hors disciplines de santé, 25 % ont effectué leur doctorat après une école d’ingénieur.

 

Docteurs du PRES Sorbonne Université fraîchement diplômés.
crédits photos : Olivier Jacquet / Paris-Sorbonne
docteurs sorbonne

 

La France forme environ 11 000 docteurs par an contre 15 000 pour le Royaume-Uni et 25 000 pour l’Allemagne. Notre pays n’est pas particulièrement bien doté en termes de R&D sur son territoire. Par ailleurs l’économie de nos sociétés occidentales est très orientée vers le secteur tertiaire produisant les services et prestations. En France en 2010, 39% des diplômés d’un doctorat depuis 3 ans travaillent dans le secteur privé. Outre la R&D, les branches de métiers alternatives vers lesquelles peuvent se tourner les docteurs incluent en premier lieu la gestion de projet, la planification stratégique scientifique, l’informatique etc. Néanmoins, il semblerait que nos sociétés tertiaires ne puissent employer leurs docteurs à la hauteur de leur diplôme. On emploie alors le terme de « surqualification », désignant l’écart entre le niveau d’éducation d’un employé et les qualifications requises pour le poste qu’il occupe. Les études étant longues et parfois coûteuses, la surqualification est souvent mal vécue.

La formation doctorale est encore souvent mal connue des employeurs du secteur privé. L’Allemagne se distingue par une meilleure valorisation de ses docteurs. Depuis quelques années, plusieurs initiatives des pays industrialisés ont favorisé l’insertion des docteurs dans le secteur privé et dans différentes branches du monde du travail. En France, depuis 2009 le contrat doctoral inclut « la possibilité d’exercer des activités complémentaires au métier de la recherche, à savoir la valorisation, les missions de conseil ou d'expertise pour les entreprises ou les collectivités publiques, et bien sûr l'enseignement. » Aujourd’hui, affirme Deborah Buszard, professeur au College of sustainablility de l’Université Dalhousie,  « les doctorants doivent certes continuer d’approfondir leurs connaissances dans leur discipline, mais ils doivent également acquérir des compétences plus diversifiées en matière d’entrepreneuriat, de souplesse et de compréhension de l’économie. » Les étudiants doivent se préparer en amont à la poursuite de leur carrière hors de la recherche académique.

 

Pour en savoir plus, nous vous invitons à visualiser notre rencontre avec trois jeunes doctorants ayant fait le choix de s’investir dans les missions doctorales 

De manière générale, les missions doctorales et les formations dispensées pendant le doctorat ont pour objectif de permettre aux jeunes d’acquérir des compétences attrayantes pour les entreprises. Ceci leur offre aussi la possibilité de faire l’expérience d’autres sphères professionnelles afin de mieux les appréhender. Les docteurs ont une formation solide et très large. Pour la valoriser auprès des entreprises, ils doivent néanmoins avoir acquis une compréhension du milieu suffisante pour présenter de façon attrayante et compréhensible leur parcours et leurs compétences.

La question du devenir des docteurs est délicate. En France, il est évident qu’il faut continuer à valoriser les profils de docteurs dans le secteur privé. On constate néanmoins que dans d’autres pays comme le Canada, où les docteurs ne sont pas en concurrence avec les diplômés d’écoles d’ingénieurs, l’accès à l’emploi est tout aussi complexe. Dans une société du savoir, compter un grand nombre de hauts diplômés est un gain pour toute la société. Mais les tensions générées par la surqualification et le manque de perspectives induisent une marginalisation des doctorants vus parfois comme des individus ayant fait des choix étranges. Faut-il donc continuer d’appuyer la professionnalisation de ce diplôme ? Quels sont les dispositifs à mettre en place pour valoriser ces experts hautement qualifiés et les placer au cœur de notre économie ?

 

Sources :

Prévisions des effectifs dans l'enseignement supérieur pour les rentrées de 2008 à 2017 2017 http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid23295/previsions-des-effectifs-dans-l-enseignement-superieur-pour-les-rentrees-de-2008-a-2017.html

Repères et références statistiques 2012 http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid61322/reperes-et-references-statistiques-2012-est-paru.html

Etude Céreq "Equête 2010 génération 2007" http://www.cereq.fr/index.php/sous-themes/Enquetes-Generation-Sous-Themes/Generation-2007-enquete-2010

 

En savoir plus :

Le Canada décerne-t-il trop de doctorats? http://www.affairesuniversitaires.ca/le-canada-decerne-t-il-trop-de-doctorats.aspx

Economie du savoir ou démesure doctorale ? http://www.usherbrooke.ca/ssf/veille/numeros-precedents/avril-2011/le-ssf-veille/economie-du-savoir-ou-demesure-doctorale/