Le cerveau n’est pas ce que vous pensez

Trois chercheurs remettent les pendules à l’heure sur l’imagerie cérébrale

Dans un ouvrage collectif paru en mars aux presses universitaires de Grenoble, trois auteurs retracent l'histoire des neurosciences pour mieux en cerner les progrès, les enjeux et les dérives. Le propos rappelle les promesses de la discipline mais dévoile surtout ses travers et modère l’ardeur des aficionados de l’interprétation de la pensée par le cerveau.

Dans un ouvrage collectif paru en mars aux presses universitaires de Grenoble, trois auteurs retracent l'histoire des neurosciences pour mieux en cerner les progrès, les enjeux et les dérives. Le propos rappelle les promesses de la discipline mais dévoile surtout ses travers et modère l’ardeur des aficionados de l’interprétation de la pensée par le cerveau.

 

Non, « le cerveau n’est pas ce que vous pensez » affirme dans un livre un trio d’universitaires issus de la psychologie cognitive. Une invitation à la prudence sur l’interprétation de l’esprit - parfois frénétique - que permet l’imagerie cérébrale. Aux performances boostées ces cinquante dernières années par de remarquables avancées technologiques, la neuro-imagerie - disent-ils - informe sur la localisation d’une fonction dans le cerveau (langage, mémoire, plaisir...) mais ne dit pas tout - loin s’en faut - de son fonctionnement. «L’image parle d’elle-même et généralement au-delà de ce qu’on peut réellement lui faire dire» mettent en garde les auteurs. A travers une rétrospective conceptuelle et une revue des modus operandi, la très controversée lecture de l’esprit par le cerveau est rapportée comme une fascination séculaire hasardeuse. Sur fond d’amour vache avec la psychologie, qu’elles relèguent aujourd’hui loin du débat tout en s’appuyant sur ses travaux, les neurosciences s’imposent en investissant massivement la littérature scientifique internationale. Les auteurs, Guillaume, Tiberghien et Baudouin prêcheraient-ils pour leur paroisse ? Juges et parti, voudraient-ils rendre justice à la psychologie ? Probablement. Ils en appellent à la convergence des spécialités, jadis féconde, et écornent les concepts trop faciles qui sous-tendent parfois l’essor inouï de l’imagerie cérébrale : minoration des processus associatifs du cerveau ou déterminisme biologique, pourtant âprement débattu. Décrypter le cerveau ne revient pas à en sommer les zones d’activation façon puzzle ; «ce n’est pas le cerveau qui pense, c’est une personne», rappellent-ils.

«Ce n’est pas le cerveau qui pense, c’est une personne». Crédit image : Flirck/Scarygami

Un miroir aux alouettes ?

Les biais scientifiques ternissent le tableau. Absence de contextualisation de la pensée, variabilité des hypothèses ou des modèles statistiques susceptibles d’influer – parfois de beaucoup - sur les résultats des études... Les résultats rapides et clinquants que leur préfèrent quelques chercheurs avides de renommée sont propices à la communication de masse. Une masse demandeuse d’explications. Rassurée, surtout, par la matérialisation séduisante et persuasive du mental par l’image. «Les interprétations finissent pas être bien simplistes» déplorent les psychologues. Justification par l’image du jugement moral, des choix politiques ? Autant d’excès regrettables déjà constatés ou de dérives possibles demain à la mesure des richesses réelles de la discipline et de la portée de ses récentes découvertes comme celle - capitale - des neurones-miroirs. Assez technique, souvent critique, le propos détone. A l’heure où notre cervelle est scrutée sous toutes les coutures ; où l’Europe (Human Brain Project) et l’Amérique (projet BRAIN) ambitionnent bruyamment de comprendre et de modéliser le cerveau en dix ans, égratigner l’estampille «neuro» confine à la dissidence. Que ceux qui voyaient en la neuro-imagerie une preuve indiscutable se ravisent. En témoigne le sous-titre de l’ouvrage, il ne s’agit parfois que d’un «mirage du cerveau».

Fabrice Guillaume, Guy Tiberghien et Jean-Yves Baudouin « Le cerveau n’est pas ce que vous pensez », PUG (Presses Universitaires de Grenoble), Points de vue et débats scientifiques, mars 2013

A propos de l’auteur :

Anne Perette-Ficaja est rédactrice-reporter diplômée en journalisme scientifique (Paris 7 - Paris-Diderot) et en Lettres Modernes (Paris 4 - Sorbonne). Après 20 ans de carrière - dont 13 en santé publique - elle a récemment publié plusieurs articles (astrophysique, robotique, environnement, santé...).