La thèse filmique

Du chercheur au réalisateur – de l’investigation scientifique à l’art cinématographique

La thèse filmique est une nouvelle méthode de restitution des recherches qui a récemment vu le jour en France notamment dans le domaine des sciences humaines et sociales. Ce mode de transmission audio-visuel des savoirs utilisé notamment à l’Université d’Evry par des cinéastes et des sociologues pourrait-il être adopté par d’autres disciplines ? Signe-t-il la fin du manuscrit de thèse ?

La thèse filmique est une nouvelle méthode de restitution des recherches qui a récemment vu le jour en France notamment dans le domaine des sciences humaines et sociales. Ce mode de transmission audio-visuel des savoirs utilisé notamment à l’Université d’Evry par des cinéastes et des sociologues pourrait-il être adopté par d’autres disciplines ? Signe-t-il la fin du manuscrit de thèse ?

 

 

Rédaction du manuscrit de thèse : des centaines de pages, des jours, des mois, des années… La rédaction de la thèse est un passage obligatoire pour l’obtention du doctorat. Son utilité est pourtant de plus en plus souvent remise en question. C’est pourquoi un nouveau format nous a intrigués : la thèse filmique. Cette approche audiovisuelle de la restitution des recherches est empruntée au monde du cinéma. Elle reste toutefois très proche des méthodes classiques de sociologie : prise de notes, entretiens et objectivité de l’approche.

 

Penser en images et en sons : « Le texte n’aurait pas suffit »

 

L’écriture cinématographique est l’art de la mise en scène de plans et de sons organisés afin de raconter une histoire cohérente et rationnelle. La sociologie filmique est née de la volonté d’allier la sociologie à ces méthodes d’écriture. « La production d’une thèse filmique est un dialogue permanent entre des réflexions sociologiques et la construction d’un environnement sonore et visuel, » décrit Alexandra Tilman. 

 

La jeune femme mène, depuis 5 ans, la première thèse française de sociologie filmique. Elle étudie le lien entre le travail industriel et les fêtes techno clandestines. « Mon sujet est très visuel et sonore. Le texte n’aurait pas suffit. » A ce titre, la thèse filmique pourrait-elle remplacer le récit écrit ? Le film d’Alexandra Tilman sera accompagné d’un manuscrit de 200 pages couvrant l’état de l’art, les apports théoriques et une réflexion sur le dialogue de co-construction de l’image et de la thèse. « Le film se nourrit de cette approche macrosociologique et de réflexions sur la société. Les recherches, quant à elles, intègrent les différents niveaux d’analyse et de discours. »

 

 

Equilibre entre attractivité et scientificité

 

Fin 2012, l’Association Française de Sociologie reconnaissait la sociologie filmique comme une thématique à part entière.

 

 Photographie du film La Sortie de l'usine Lumière à Lyon (1895). Source : http://www.sortiedusine.org/. Le réalisateur est-il un sociologue dans l’âme ?

 

Cette discipline est, en France, essentiellement étudiée au Centre Pierre Naville à l’Université d’Evry. Là-bas, au sein de l’axe de recherche Image et Société, se côtoient des chercheurs-cinéastes et des cinéastes-chercheurs.

 

Dans ce cadre de recherche assez particulier, le traitement à l’image des entretiens et la part de mise en scène sont des points qui font régulièrement l’objet de débats. Certains prennent le parti de mettre à l’écran les entretiens d’étude, au risque d’introduire un rythme peu attrayant, alors que d’autres choisiront de ne représenter les propos que dans le contexte de leur exécution scénarisée. Jérémie Moualek, jeune chercheur en sociologie politique qui vient d’entamer une thèse sur le vote blanc et nul, explique que « la sociologie cherche à généraliser des faits. Le format vidéo nécessite la construction d’un scénario à partir du réel, même lorsque celui-ci est décevant. » Une tâche délicate où la rigueur scientifique doit parfois s’imposer ou dialoguer avec l’esthétique.

 

L’approche filmique n’ambitionne pas de révolutionner la discipline. Elle apporte une nouvelle exigence cinématographique qui s’applique aux traditionnels entretiens de sociologie et à la production de données. Outre l’outil d’écriture, le film est aussi un outil d’investigation et d’observation. « Le cinéma de Ken Loach possède à mon sens une dimension sociologique indéniable, » argumente Alexandra Tilman.

 

Une diffusion plus large ?

 

La thèse est le fruit de plus de trois années de labeur. Pourtant qui, aujourd’hui, lit les manuscrits de thèse si ce n’est les prochains doctorants planchant sur le sujet ? La légitimité du format vidéo dans le milieu académique est évidemment loin d’être acquise. Pourtant la thèse filmique possède un atout majeur qui concerne la diffusion des résultats de recherche. Elle s’appuie sur le très populaire 7ème art et permet au spectateur de se faire sa propre expérience de l’image. « Sans tomber dans la vulgarisation, un film d’une heure est plus accessible qu’un texte de 600 pages ». Jérémie Moualek raconte que lors de son Master, il avait déjà produit un court-métrage sur le vote blanc « qui a été visionné en public notamment lors de festivals cinématographiques. »

Le format vidéo pourrait-il prendre son essor dans le monde de la recherche ?

 

Consultez : Raconte-moi ta thèse - Tour d’horizon des projets pour décrire son sujet de thèse le temps d’un sablier

 

« En utilisant la caméra dans le but de produire un film, on entretient un lien étroit avec le terrain. On prépare plus les entretiens. On doit créer un lien de confiance avec l’enquêté, » raconte Jérémie Moualek. « En plus, lorsque l’on éteint la caméra, on a accès à une nouvelle relation avec l’interviewé. Comme un mode off qui s’installe à l’extinction de la caméra ».

 

 

 

SPOILER Knock Knock Doc saison 2 :

Nous profitons de cet article pour vous dévoiler que Jérémie Moualek participera à la saison 2 de Knock Knock Doc, à retrouver dès le 9 septembre 2013 sur MyScienceWork !