La hiérarchie des disciplines pour une nouvelle conception des sciences

Des sciences plus molles et plus complexes que d’autres

Une récente étude soutient la théorie de la hiérarchie des sciences. Elle classe les disciplines des sciences les plus dures aux sciences les plus molles selon leur complexité. Souvent perçue comme un sujet politiquement incorrect, comparer les disciplines pourrait changer durablement la façon de faire la recherche et de percevoir les sciences.

Une récente étude soutient la théorie de la hiérarchie des sciences. Elle classe les disciplines des sciences les plus dures aux sciences les plus molles selon leur complexité. Souvent perçue comme un sujet politiquement incorrect, comparer les disciplines pourrait changer durablement la façon de faire la recherche et de percevoir les sciences.

This article also exists in English:  A hierarchy of disciplines for "a better science".

 

Sciences « dures », sciences « molles ». Qui n’a jamais mis des guillemets de bienséance autour de ces deux qualificatifs ? Pour ne plus avoir à prendre des pincettes, une étude écossaise [disponible sur MyScienceWork] a analysé les paramètres bibliométriques des différentes disciplines pour enfin pouvoir classer objectivement les sciences. C’est la classification selon la complexité des disciplines, autrement appelé la théorie de la hiérarchie des sciences, qui a été retenue. Ces résultats pourraient avoir d’importantes implications dans le monde de la recherche.

 

Placer les disciplines selon une échelle de complexité

Selon la théorie de la hiérarchie des sciences, les disciplines sont plus ou moins molles en fonction de leur complexité. Plus un système est complexe c'est-à-dire plus le nombre de paramètres et d’interactions mis en cause sont importants, plus la science est molle et notre capacité à étudier ce système diminue. Par exemple, selon ces critères, les sociétés humaines sont un sujet plus difficile à étudier pour tirer des conclusions significatives que les particules subatomiques.

 

Pour évaluer empiriquement cette échelle de complexité, les chercheurs ont analysé différents paramètres bibliométriques pour 29 000 publications contemporaines balayant 12 disciplines différentes. Nombre d’auteurs, ancienneté des références citées, diversité des sources etc. Ces paramètres sont des indicateurs de la complexité d’une recherche. Par exemple, plus une science est dure, plus il y a de consensus établi dû au fait que le domaine possède d’importants fondements théoriques et méthodologiques. Ce consensus transparait dans le nombre de co-auteurs et d’équipes de recherche qui ont participé à un papier.

 

Des sciences plus molles aux sciences plus dures

Leurs résultats montrent qu’il n’y a pas de dichotomie entre les sciences naturelles et les sciences humaines et sociales contrairement à l’idée la plus répandue aujourd’hui. Les disciplines se placent de façon continue selon une échelle de complexité. Il s’agit donc d’une progression, des sciences les plus dures aux plus molles. La biologie est entre les deux. Certaines de ses sous-disciplines, comme la biochimie, sont plus dures que d’autres, comme la zoologie.

 


 

Résultats bibliométriques des publications scientifiques en fonction des disciplines. (m=mathématiques, p=physique, b=biologie, s=sciences humaines et sociales, h=lettres).

Crédits image : Fanelli D, Glänzel W

 

Cette étude apporte une autre réponse au débat actuel lancé par un bloggeur du Scientific American, La psychologie est-elle une science ?. « Tout peut être étudié scientifiquement » explique Daniele Fanelli, coauteur de la publication et biologiste évolutionniste qui étudie les biais de publication. « La psychologie est seulement, par la complexité de son objet d’étude [le fonctionnement de l’humain et ses interactions avec les autres ndlr], la science la plus difficile de toute ».

 

Ces résultats restent toutefois à compléter puisqu’une étude bibliométrique ne peut pas englober l’ensemble des présupposés (culturels, philosophiques etc.) qui entourent également les sciences et la recherche.

 

Considérer les disciplines autrement

Sans introduire un jugement de valeur entre les disciplines, ces résultats montrent que les sciences ne se font pas de la même façon. Une science molle nécessite plus de temps et doit entraîner davantage de vigilance avant qu’un résultat ne soit validé. « Les sciences les plus molles ont plus de chance d’obtenir un résultat faux. C’est probablement ce que les gens ont du mal à regarder en face » assure Daniele Fanelli. Poussés à publier de nouveaux résultats au même rythme que les autres disciplines, les chercheurs américains en sciences humaines rendent, sans le vouloir, davantage de résultats faux. Si ces différences ne sont pas considérées, des phénomènes comme celui-ci, appelé US effect par Daniele Fanelli, pourraient se multiplier.

 

La hiérarchie des sciences, mise en évidence par l’étude écossaise, incite à envisager la recherche et l’évaluation du chercheur selon le besoin des disciplines. Il s’agirait, par exemple, de prévoir davantage de financements pour la réplication des résultats des disciplines les plus molles. La couverture médiatique devrait également être adaptée selon les disciplines, et porter davantage de précautions quand il s’agit de nouvelles recherches en sciences molles. « Connaître ces différences est indispensable pour pouvoir faire une science meilleure » conclut Daniele Fanelli.