La génétique des populations permet de suivre les flux migratoires des peuples au cours de l’histoire grâce à l’analyse de l’ADN ancien. Une étude récente publiée en février dans PLOS Genetics s’est intéressée aux peuples du nord-ouest de la Russie. Étonnamment les peuples habitants actuellement ce territoire ne seraient pas les descendants des autochtones qui y vivaient 3500 à 7500 ans auparavant, qui eux-mêmes avaient déjà migré de Sibérie. Cette région plutôt hostile a donc vraisemblablement connu les allers et venues des peuples pendant des milliers d’années.
La génétique des populations permet l’étude des populations et de leurs origines. Elle repose notamment sur l’utilisation de plus en plus répandue de l’ADN ancien extrait des restes humains découverts à travers le monde.
Echantillon d’ADN contemporains et anciens testés à travers l’Eurasie. Adapté de PLoS Genet 9(2): e1003296. doi:10.1371/journal.pgen.1003296
Dans le numéro du 14 février de PLOS Genetics [disponible sur MyScienceWork], des chercheurs russes, allemands, australiens et le consortium scientifique du "Genographic project" ont remonté le temps pour tenter de comprendre les mouvements des populations au nord-est de l’Europe depuis la préhistoire. Cette étude utilise l’ADN mitochondrial (ADNmt) hérité exclusivement de la mère et présent dans les cellules en plus grande quantité que l’ADN nucléaire. L’ADNmt analysé a été extrait des dents de 74 squelettes trouvés au nord-ouest de la Russie sur deux sites archéologiques datant de 7 500 ans et sur un site vieux de 3 500 ans. Cet ADNmt a été comparé à celui de populations eurasiennes actuelles et plus anciennes. La recherche de mutations particulières dans certaines régions de l‘ADNmt permet de caractériser les individus et de suivre le brassage génétique à travers le temps. Ici, seuls les restes les plus jeunes ont pu être clairement liés à des origines au centre et à l’est de la Sibérie. Pour les plus anciens, ils viendraient de l’ouest de la Sibérie mais il manque encore des données spécifiques pour en être sûr. Les chercheurs montrent ici une discontinuité génétique entre les populations préhistoriques. Ils l’expliquent par la petite taille et l’isolement des groupes rencontrés dans ces régions plutôt hostiles qui conduisent à la perte d’une partie du patrimoine génétique par manque de descendants. Comme le souligne le Professeur Gronenborn, l’un des co-auteurs de l’article, il faudrait plus de données, notamment dans le temps, pour une meilleure compréhension des flux migratoires depuis la préhistoire.
Ces scientifiques se sont aussi penchés sur le cas des samis, communément appelés lapons, qui occupent un territoire couvrant le nord de la Suède, la Norvège, la Finlande et la péninsule de Kola en Russie. Ce peuple, unique au sein de l’Europe, possède une diversité génétique limitée et des lignées d’ADNmt très rares chez les autres européens. Néanmoins, selon cette récente étude, ces caractéristiques ne se retrouvent pas dans l’ADN ancien des restes humains retrouvés sur leur territoire. Ceci prouve que les lapons ne sont pas les descendants des autochtones de l’époque, ni de peuples venus de la région polonaise au début de l’holocène (~10 000 - 11 000 ans). Mais d’où viennent donc les ancêtres des lapons ? L’hypothèse d’une arrivée par l’ouest et plus précisément par la Norvège est la plus probable.
Alexandre Ribéron, Maître de Conférences à l’Université Paul Sabatier, s’intéresse à l’histoire évolutive des populations. Il considère ces résultats comme une "belle illustration de tous les flux de gènes qui ont façonné les populations humaines depuis qu’il y a des hommes sur la terre. Ils montrent l’importance des migrations dans la préhistoire et dans des régions plutôt inhospitalières". Les limites de ce travail viennent de l’échantillonnage à disposition : rareté des squelettes et faibles quantités d’ADN justifiant l’utilisation de l’ADNmt, plus abondant et mieux conservé que l’ADN nucléaire. De plus, l’origine exclusivement maternelle de l‘ADNmt ne permet d’obtenir qu’une vision biaisée de l’histoire. En effet, il a déjà été observé que certains systèmes sociaux ont conduit les hommes et les femmes à suivre des parcours différents. Seule l’analyse de l’ADN du chromosome Y, exclusivement masculin, pourrait répondre à cette question.
L’ADN ancien permet donc de reconstruire l’histoire génétique complexe des populations et révèle ainsi leurs mouvements migratoires. L’accumulation de données génétiques permettra de mieux comprendre les relations entre les peuples, que ce soit dans le temps ou dans l’espace.
Pour en savoir plus sur l’ADN ancien, L'histoire génétique des européens… : Le blog de Bernard
Vous pouvez aussi consulter l'article sur MyScienceWork.