L’affaire Breivik et le poids des neurosciences

Demain, les juges devraient rendre leur verdict dans l’affaire des tueries qui ont eu lieu en Norvège le 22 juillet 2011. La santé mentale du norvégien Anders Breivik est au cœur de ce procès : pénalement responsable, il ira en prison sinon, il sera interné dans un hôpital psychiatrique. Les techniques d’imagerie cérébrale et les évaluations psychiatriques ont aujourd’hui leur place dans les tribunaux de certains pays. Quelles sont les dérives et les limites de ces techniques ? Si les neurosciences peuvent de mieux en mieux déceler les raisons biologiques expliquant les actes criminels, où donc placer la responsabilité individuelle ?

Demain, les juges devraient rendre leur verdict dans l’affaire des tueries qui ont eu lieu en Norvège le 22 juillet 2011. La santé mentale du norvégien Anders Breivik est au cœur de ce procès : pénalement responsable, il ira en prison sinon, il sera interné dans un hôpital psychiatrique. Les techniques d’imagerie cérébrale et les évaluations psychiatriques ont aujourd’hui leur place dans les tribunaux de certains pays. Quelles sont les dérives et les limites de ces techniques ? Si les neurosciences peuvent de mieux en mieux déceler les raisons biologiques expliquant les actes criminels, où donc placer la responsabilité individuelle ?

 

 

Anders Breivik est-il sain d'esprit ? source : Abode of Chaos / Flickr
Anders Breivik

L’affaire Breivik

Si Anders Behring Breivik est reconnu comme étant psychotique et pénalement irresponsable, il sera interné dans un hôpital psychiatrique. Dans le cas contraire, il écopera probablement d’une peine de 21 ans d’emprisonnement pouvant être prolongée indéfiniment. Depuis l’an dernier, deux comités d’experts ont déposé des avis contradictoires sur la santé mentale de Breivik. L’accusé, quant à lui, a toujours refusé la première ligne de défense, celle de la maladie mentale, qui pourrait occulter l’idéologie extrémiste qui aurait guidé ses actes meurtriers.

Début juin, le journal Verdens Gang (VG) rapporte que même s’il était reconnu malade Breivik serait jugé trop dangereux pour être interné et irait en prison. Pourtant, le 18 juin, le Parquet norvégien a requis l’internement psychiatrique pour cet homme de 33 ans qui a ébranlé cette paisible nation scandinave en tuant 77 personnes et en révélant la présence de courants extrémistes capables de terribles violences.

 

Impact des neurosciences dans les décisions judiciaires

Quelle est donc aujourd’hui la place des analyses d’experts dans les décisions pénales ? Quelles pratiques sont acceptées ou tolérées ? Chaque crime pourrait-il trouver une raison biologique ou psychologique justifiant l’irresponsabilité des criminels ? Comment les personnes atteintes de tels troubles doivent-elles être jugées ? Faut-il être plus indulgent ou au contraire plus dur si l’on valide le caractère biologiquement programmé de leurs actes criminels ?

Une étude américaine publiée dans le journal Science a montré que l’utilisation de l’imagerie cérébrale lors du jugement d’affaires criminelles modifiait les sentences et verdicts. Les actes que nous perpétrons sont liés à une combinaison de facteurs innés, acquis, ainsi qu’à notre environnement.

L’étude américaine montre que les criminels pour lesquels il est possible de prouver un désordre mental ou une prédisposition génétique recevraient des peines de prison légèrement plus courtes, d’un an en moyenne. L’hypothèse utilisée se base sur le cas du procès Mobley contre l’Etatlors duquel Stephen Mobley fut condamné à mort pour le meurtre d’un gérant de pizzeria qu’il tentait de voler. La défense avait apporté la preuve chez Mobley d’une déficience du gène MAO-A, parfois appelé le « gène du guerrier ». Ce genre d’analyse était nouveau à l’époque et l’utilisation de cette preuve fut refusée. Ce gène affecte l'amygdale, ou complexe amygdalien, une zone du cerveau faisant partie des « circuits de la peur ». L’amygdale lie les expériences sensorielles possiblement dangereuses aux réactions émotionnelles. Le professeur LeDoux, spécialiste de la question, proposait en 1998 un lien entre les troubles anxieux et des traumatismes précoces entraînant une perturbation permanente du fonctionnement de l’amygdale. Depuis le gène MAO-O a été lié à la non-inhibition de comportements violents.

En analysant leurs résultats, les chercheurs de l’université de l’Utah, état voisin du Colorado encore endeuillé par la fusillade d’Aurora, soulèvent des inquiétudes quant à la future utilisation des neurosciences dans les affaires criminelles. Et si tous les actes criminels avaient des raisons biologiques ? En effet, de nombreux actes déviants  tels que l’addiction, crimes sexuels etc. ont déjà été liés à des mécanismes biologiques. Le film de 1996 « Peur Primale » de Gregory Hoblit soulève le problème de la manipulation de tels diagnostics psychologiques par les accusés ou leurs avocats. On peut en effet mettre en doute la fiabilité des diagnostics psychologiques lorsque les symptômes de la maladie sont complexes. Les techniques d’imagerie cérébrale seraient-elles plus fiables ?

 

Affiche du film Peur Primale de Gregory Hoblit (1996)
Peur primale film affiche

Des machines à lire les pensées ?

Si nous disposions de moyens techniques pour déceler les mensonges et lire dans les pensées pourquoi s’en priver ? Les neurosciences étudient le fonctionnement du cerveau depuis des années. Les récents progrès en termes d’imagerie ont été prodigieux. Ils permettent de visualiser certaines activités du cerveau, par exemple la reconnaissance d’images particulières ou familières, des résultats impressionnants mais encore imparfaits et basés sur des analyses statistiques. Pourtant certains tribunaux acceptent déjà la présentation d’images cérébrales durant les plaidoiries notamment aux Etats-Unis.

En Mars, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) français a publié un rapport sur « Enjeux éthiques de la neuroimagerie fonctionnelle. » Un chapitre traite notamment des dérives judiciaires de l’utilisation de l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf). On dénombrerait aux Etats-Unis 130 procès lors desquels des spécialistes de l’imagerie cérébrales auraient été amenés à témoigner sur la base de diagnostics scientifiques. En 2008, une jeune indienne de 24 ans avait été condamnée à perpétuité pour le meurtre de son ancien petit ami. La pièce majeure sur lequel s’appuyait le verdict était des enregistrements encéphalogrammes du cerveau de la jeune femme qui démontreraient, selon le procureur, « qu’elle avait une connaissance expérimentale » du déroulement du crime. Début 2009, elle et son actuel mari furent libérés sous caution. Lors d’un second examen, les preuves de sa culpabilité ont été jugées peu convaincantes et la technique utilisée fut déclarée « inconstitutionnelle ».

 

Limites des techniques

En France, l’imagerie cérébrale ne peut à ce jour servir de preuve dans un procès criminel. L’utilisation lors des procès de diagnostics jugeant de la santé mentale des criminels soulèvent des inquiétudes de plusieurs sortes. La fiabilité des diagnostiques reste encore aujourd’hui imparfaite. De plus, des questions éthiques interrogent le bien-fondé de ces machines à lire les pensées. En définitive, les techniques scientifiques peuvent servir d’éléments d’analyse pour corroborer des preuves concrètes. Par contre, elles ne doivent en aucun cas prendre la place de la méthode judiciaire alliant interrogatoires croisés, droit des prévenus, analyses de terrain et investigations approfondies.

Demain le tribunal norvégien pourrait juger Breivik pénalement irresponsable du fait de désordres mentaux. Un tel jugement est tout de même peu probable. Mais ce genre de situation devrait devenir de plus en plus courante avec l’amélioration des techniques d’étude du cerveau. La manière dont la justice devra traiter les criminels atteints d’anomalies cérébrales soulèvera des questions éthiques. Ces criminels sont-ils responsables de leurs actes ? Où commence le libre arbitre des individus ? La justice doit-elle punir ces hommes ou les soigner ? Où se trouvent les dérives, dans l’utilisation de ces techniques pour échapper à la prison ou dans leur utilisation comme preuve de la culpabilité des individus ? Des questions auxquelles il est nécessaire de répondre avant que ne soient réellement utilisées ces techniques scientifiques.