Introduction à l’Épigénétique

L'étude fondamentale de l'influence de l'environnement sur l'expression des gènes

Chacune des cellules d’un individu possède le même patrimoine génétique. Pourtant, elles ne développent pas les mêmes caractéristiques. L’expression des gènes de chaque cellule est soumise à un contrôle particulier et différencié dit épigénétique. La notion de d’épigénétique, bien qu'apparue dans les années 50, ne s'est développé de façon importante que récemment. Elle propose une nouvelle façon d’étudier le rôle fondamental de l’environnement sur l’expression de nos gènes, notamment dans le mécanisme de nombreuses pathologies. Cette année, l’Institut Curie a choisi de dédier son cycle de conférence, les Mardis de l’Institut Curie, à cette discipline à la fois passionnante et prometteuse : l’Épigénétique.

Chacune des cellules d’un individu possède le même patrimoine génétique. Pourtant, elles ne développent pas les mêmes caractéristiques. L’expression des gènes de chaque cellule est soumise à un contrôle particulier et différencié dit épigénétique. La notion de d’épigénétique, bien qu'apparue dans les années 50, ne s'est développée de façon importante que récemment. Elle propose une nouvelle façon d’étudier le rôle fondamental de l’environnement sur l’expression de nos gènes, notamment dans le mécanisme de nombreuses pathologies. Cette année, l’Institut Curie a choisi de dédier son cycle de conférence, les Mardis de l’Institut Curie, à cette discipline à la fois passionnante et prometteuse : l’Épigénétique.

 

En septembre 2011, le cycle de conférences des Mardis de l’Institut Curie a débuté par une présentation rendant hommage à la femme à l’origine de l’institut Curie. Vous pouvez retrouver l’article que nous avions publié sur ce sujet ainsi que la vidéo de la conférence. Cette conférence sera suivie de quatre interventions sur l’épigénétique et le cancer. Le 29 novembre 2011, deux intervenants : Raphaël Margueron, chef de l’équipe « Mécanisme de répression par les protéines polycomb » et Antonin Morillon, chef de l’équipe « ARN non codant, épigénétique et fluidité du génome », sont revenus sur les bases de l’expression des gènes pour ensuite introduire les mécanismes épigénétiques contrôlant cette expression.

 

Dans ces noyaux (en bleu) de cellules humaines, les nouvelles histones marquées en rouge sont incorporées aux sites de dommages induits par les UV. Barre d'échelle = 10 microns. © S.Polo/Institut Curie.
chromatine

 

Du génome au phénotype

 

Le génome désigne l’ensemble du matériel génétique d’un individu. Son support, l’ADN, contient toutes les séquences codantes et non codantes transmises d’une génération à l’autre. Pourtant, au regard du caractère unique de chaque individu, la génétique ne parvient pas à expliquer l’ensemble des mécanismes de différentiation observés. Ainsi s’est développée une nouvelle discipline scientifique complémentaire à la génétique : l’épigénétique. Elle désigne l’étude des mécanismes de mémoire de l'influence de l’environnement cellulaire ou physiologique se traduisant le plus souvent par la régulation de l’expression des gènes. Elle soulève des questions auxquelles un relevé détaillé des positions des gènes, et de ce qu’ils codent, n’apporte pas de réponse complète :

 

Puisque l’ensemble des cellules contiennent le même patrimoine génétique, comment se différentient-elles pour donner des types cellulaires variés, tissus et organes ?

Les jumeaux monozygotes, dits « vrais jumeaux », sont issus d’un même œuf. Ils possèdent le même génotype. Clones naturels, ils développent pourtant au cours de leur vie de nombreuses différences. Leur environnement et leur style de vie influenceraient-ils leur différentiation ? Pourquoi les clones d’animaux artificiels s’avèrent-ils être différents de leur « mère » ?

La première définition du terme épigénétique fut donnée en 1942 par Conrad Waddington, professeur de génétique à l’Université de Aberdeen : «  Si l'on compare l'élaboration d'un être vivant à la construction d'une maison, les gènes permettent la synthèse des briques (..) mais l'agencement de ces briques, le nombre de briques à fabriquer à un moment donné ne sont pas le ressort du code génétique, et dépendent de processus cellulaires interactifs. » Conrad Waddingto 

L’épigénétique désigne l’étude : « des modifications transmissibles et réversibles de l'expression des gènes ne s'accompagnant pas de changements des séquences nucléotidiques. »  

Elle ne remet pas en cause l’importance de la génétique mais la complète. L’ADN reste le vecteur essentiel de transmission héréditaire mais les modifications épigénétiques régulent l’expression ou l’inactivation du code génétique et peuvent, elles aussi, se transmettre d’une génération à l’autre (épigénétique trans-générationelle). La découverte et la compréhension de l’épigénétique est cruciale dans la compréhension du fonctionnement du vivant.

 

Comment l’épigénétique façonne notre vie

 

Lors de la reproduction sexuée, un individu hérite du patrimoine génétique de ses deux parents. Le brassage génétique assure ensuite le caractère unique du génome fils. Chaque individu est composé de milliards de cellules contenant chacune la totalité de nos gènes, soit environ 30 000 pour l’être humain. Le séquençage complet de l’ADN humain a été réalisé en 2003. Il en résulte que seulement 2% de nos gènes sont codants, le reste n’étant pas impliqué directement dans les caractéristiques de notre phénotype.

Chez les eucaryotes, le développement d’un organisme lors de l’embryogénèse est guidé par la synthèse de protéines codées par l’ADN. La régulation épigénétique des gènes joue alors un rôle fondamental dans l’établissement et le maintien de l’identité cellulaire.

Les intermédiaires utilisés par la cellule pour la synthèse des protéines sont appelés « éléments de transcription » des gènes. Pour qu’une protéine soit synthétisée, des enzymes ouvrent l’accès à une ou plusieurs séquences de gènes. L’ARN messager (ARNm) produit alors une copie transitoire de la chaîne de nucléotides ainsi « exposée ». L’ARNm porte alors le code nécessaire à la synthèse de protéines macromoléculaires essentielles à la vie de la cellule.

Ainsi, lors de la différenciation d’une cellule (pendant l’embryogénèse puis pendant la vie de l’organisme) seule une partie des gènes s’exprime pour produire les caractéristiques propres à un type cellulaire.

«  L’accessibilité de l’information génétique est un niveau additionnel de régulation des gènes dans lequel les mécanismes épigénétiques jouent un rôle fondamental . »

L’épigénétique permet aussi une adaptation relativement rapide sur l’échelle de l’évolution. Les plantes, par exemple, ont cette faculté de s’adapter à leur environnement, de fleurir lorsque les températures s’élèvent et de réduire leur activité au maximum durant l’hiver. De manière générale, des études montrent que de nombreux facteurs environnementaux peuvent induire des modifications épigénétiques contrôlant ainsi l’expression de nos gènes.

 

Raphael Margueron - crédit : Pedro Lombardi/Institut Curie. 

Raphael Margueron

 

Contrôle de l’accessibilité des gènes par différents processus

 

L’ADN est une longue macromolécule composée de nucléotides. Chez l’humain, il fait environ 2 mètres de long, le tout contenu dans le noyau de la cellule d’un diamètre d’environ 5 µm. La macromolécule d’ADN y est enroulée et compactée autour de protéines complexes appelées histones. L’ADN ainsi embobiné est alors appelé chromatine.

 

 From Journal of Cell Science (2000) 113, pp. 2647-2658
Repliement de l'ADN

 

Au sein d’un noyau, il est possible de visualiser différents états de condensation de la chromatine, allant de l’ADN condensé dans les chromosomes à l’ADN nu (voir figure 1). L’état de condensation est un facteur supplémentaire decontrôle de l’accessibilité de l’information génétique. La chromatine condensée est appelée hétérochromatine. Dans cette phase, l'accessibilité des éléments de transcription à l’ADN est réduite. L’ADN est alors principalement silencieux et faiblement transcrit. L’euchromatine est sa phase décondensée. L’ADN y est plus accessible et peut être potentiellement transcrit.

L’état de la chromatine est un premier facteur qui peut être modifié de façon épigénétique. Les marqueurs épigénétiques sont des marqueurs chimiques se fixant sur les histones et l’ADN. L’ajout ou le retrait de ces marqueurs modifient les interactions entre les nucléosomes, unités d’ADN enroulé autour de quatre histones. Les marqueurs épigénétiques influencent ainsi localement le degré de condensation de la chromatine sur le gène. Si les nucléosomes sont proches les uns des autres, ils « cachent » une partie de l’ADN qui ne pourra être lue par la machinerie de transcription.

 

Trois facteurs associés à l’état de condensation de la chromatine sont fondamentaux :

- Les positions des nucléosomes

Si les nucléosomes sont déplacés le long de l’ADN par des enzymes, ils libèrent la séquence d’ADN reconnue par le facteur de transcription. La position des nucléosomes peut donc limiter l’accès à l’ADN.

- La méthylation de l’ADN

L’ajout de groupes méthyles (-CH3) peut empêcher la fixation à l'ADN des facteurs de transcription et ainsi réprimer l’accès de la machinerie de lecture.

- Les modifications des histones

Pour une identification correcte de l’ADN codant par les éléments de transcription, les histones doivent être modifiées. Ces modifications régulent l’expression des gènes. Elles peuvent être altérées ce qui entraîne une régulation anormale de l'expression de la séquence de nucléotides.

 

Nous reflétons, en partie, ce que nous ingérons

 

«  Mange ta soupe, ça fait grandir. »
 

Une étude montre que des femmes hollandaises ayant porté un enfant pendant la famine de l’hiver 1944 ont ensuite accouché d’enfants plus petits que la moyenne. Des enfants qui, tout au long de leur vie, ont vécu les séquelles de ce manque de nutrition in utero et qui, malheureusement, l’ont ensuite transmis à leurs enfants. Ainsi, si la nutrition peut induire des modifications épigénétiques importantes, celles-ci peuvent, dans certains cas, se transmettre d’une génération à l’autre. La transmission intergénérationnelle des caractères épigénétiques est une révolution puisque l’hérédité des caractères était vue comme l’apanage de la génétique.

La consommation d’alcool, le stress et l’état psychologique pourraient aussi être des facteurs potentiels de modifications épigénétiques ! On comprend dès lors, et après tous ces constats, que les études épigénétiques soient reconnues d’utilité publique.

 

Recherche : étude de l’épigénome et enjeux

 

La découverte des mécanismes épigénétiques montre la complexité de la régulation de nos gènes. Sa compréhension apportera probablement de nouveaux outils de traitement.

 

Antonin Morillon - crédit : Pedro Lombardi/Institut Curie. 

Antonin Morillon
 

La visualisation de l’épigénome, c’est-à-dire la carte des modifications épigénétiques à l’échelle d’une cellule, d’un organe ou d’un individu, est un enjeu majeur. Elle sera révélatrice des régions actives de nos gènes par rapport aux régions inactives. Des progrès ont été faits dans la visualisation par microscopie des états de la chromatine, mais le niveau de précision est encore très loin de permettre l’observation des gènes actifs ou inactifs. La carte de l’épigénome est en cours d'analyse, notamment grâce à deux techniques récemment développées : l’immuno-précipitation de la chromatine (ChIP) et son séquençage à très haut débit (Next Generation Sequencing, ou NGS).

Le mécanisme de méthylation est celui qui, pour l’instant, concentre le plus l’attention des chercheurs. Des altérations du degré de méthylation à différents gènes clés de la régulation de l'identité cellulaire ont été observées dans de nombreuses pathologies. Ainsi l’inhibition, par un mécanisme de méthylation, de gènes « suppresseur de tumeurs » a été corrélé au développement de certains cancers.

Le cycle de conférences des Mardis de Curie proposera trois autres conférences sur l’épigénétique :

- Epigénétique et cancer (13 décembre 2011)

- L’organisation nucléaire et l’épigénétique (31 janvier 2012)

- Epigénétique et environnement (29 mai 2012)

Les études d’épigénétique en cours sont cruciales car, s’il est aujourd'hui très complexe voir impossible de prédire les conséquences de modification irréversible du génome d’un individu, les altérations épigénétiques sont, quant à elles, réversibles. Il devrait donc être possible de produire les substances permettant le renversement de processus épigénétiques délétères sans altérer le génome.

Pour en savoir plus, rejoignez-nous lors de ces rencontres de 18h à 20h à l’Institut Curie (Amphithéâtre C. Burg – 12 rue Lhomond, Paris 5e) ou sur Twitter via le hashtag #mardiscurie

  

En savoir plus :

Epigénétique sur le site de l’INSERM : https://www.inserm.fr/information-en-sante/dossiers-information/epigenetique

Site du réseau d’excellence Epigénome : Qu’est-ce que l’épigénétique ? http://epigenome.eu/fr/1,1,0.html

Comment l’épigénétique façonne-t-elle la vie ? http://epigenome.eu/fr/1,3,0.html

Environment and diet leave their prints on the heart, https://medicalxpress.com/news/2011-11-environment-diet-heart.html

[Vidéo] Épigénétique, nous sommes ce que nous mangeons https://www.dailymotion.com/video/xmjswt_epigenetique-nous-sommes-ce-que-nous-mangeons_news?ralg=thefilter

Epigenetic changes don’t last, communiqué de presse Max-Planck institut,https://www.mpg.de/4426136/spontaneous_epigenetic_variation

[Vidéos] Colloque de l'Académie des sciences "Épigénétique, reprogrammation et développement" / "Epigenetics, Reprogramming and Development" https://www.academie-sciences.fr/archivage_site/video/v140910.htm

Smoking and Placental Transcription–an Epigenetic Route to Low Birth Weight? http://epiexperts.com/blog/smoking-and-placental-transcription-an-epigenetic-route-to-low-birth-weight/