Le gouvernement du Royaume-Uni a annoncé le 16 juillet dernier qu’il suivrait les conseils du rapport Finch (recommandations du groupe de travail « Accroître l’accès aux publications contenant des résultats de la recherche ») et exigerait que toute la recherche financée par des fonds publics soit accessible à tous en ligne d’ici 2014. Selon Stephen Curry, biologiste structural à l’Imperial College London, la plupart des chercheurs sont d’accord sur le fait que la généralisation de la publication en Open Access est l’objectif final recherché. Néanmoins c’est la manière d’y parvenir qui fait débat, et de nombreuses voix doivent encore être entendues.
Cet article est une traduction de « Stephen Curry on Open Access, post-Finch » disponible sur http://blog.mysciencework.com/en/2012/08/20/stephen-curry-on-open-access-post-finch.html.
Cette traduction de l’anglais vers le français a été réalisée par Mayte Perea López.
En accord avec les recommandations du rapport Finch, le Royaume-Uni a décidé d’amorcer une transition permettant de publier en Open Access (OA) la recherche financée par le gouvernement, selon la voie dorée. Cela semble constituer un pas de géant pour les défenseurs de l’Open Access. D’une manière générale, comment cette nouvelle a-t-elle été accueillie ?
Stephen Curry : Il y a de nombreux avis sur la question. Dans l’ensemble, je soutiens le rapport Finch et le fait qu’il inspire les mesures sur lesquelles travaille actuellement le Research Councils UK (organisation regroupant les 7 conseils de recherche du Royaume-Uni), mais certains reprochent à la voie d’or d’être encouragée au détriment de la voie verte. (Cliquezici pour en savoir plus sur ce qui différencie la voie dorée (publications par les journaux de certains articles en Open Access) de la voie verte (les chercheurs déposent leurs articles dans des dépôts institutionnels) -MSW). Les réactions de certaines personnes ont été un peu vives, mais la prise de position à l’origine de celles-ci est parfois tout à fait raisonnée. Stevan Harnad, par exemple, est contre l’Open Access selon la voie dorée en tant que mécanisme de transition pour passer d’un modèle de publication traditionnel à l’Open Access. Alma Swan est co-auteur du rapport Going for Gold?, une analyse comparant les coûts de la voie verte à ceux de la voie dorée pour diverses institutions de recherche. Elle en a tiré la conclusion que sur le long terme, si l’Open Access se pratique uniquement selon la voie dorée, tout le monde y gagne. Mais pour la période de transition, cette solution n’est pas la plus rentable.
Si la voie verte se généralise et que celle-ci devient la voie d’accès privilégiée à la littérature, les bibliothèques vont commencer à se désabonner des revues. Ceci anéantira le modèle économique des maisons de publication classiques qui rendent possible la voie verte. J’ai l’impression qu’à l’heure actuelle, si la voie verte fonctionne (et si elle est autorisée par les maisons d’édition), c’est parce qu’elle ne menace pas leur marché. Je ne veux pas dire par là que la voie verte est une mauvaise idée, mais tout simplement qu’il est plus difficile de prévoir comment les maisons d’édition réagiront si son utilisation se généralise.
L’Open Access représente également un défi pour les sociétés savantes, qui dépendent financièrement des bénéfices dégagés par la souscription d’abonnements. La Royal Society of Chemistry a lancé l’initiative Gold for Gold pour appuyer cette transition et promouvoir l’option qu’elle propose de publier en Open Access selon la voie dorée. Cette option consiste à verser aux institutions une somme correspondant à celle qu’elles ont déjà payée pour souscrire leur abonnement aux journaux de la Royal Society of Chemistry.
Le Royaume-Uni est le seul pays à avoir fait le choix de la voie dorée pour l’Open Access. Et il est vrai que nous finirons par payer doublement : d’abord pour publier nos articles en Open Access et ensuite pour accéder aux articles provenant d’autres pays dont le système est différent. Le fait que le Royaume-Uni utilise un modèle différent va provoquer des tensions dans la communauté internationale, nous avons donc des raisons d’être un peu inquiets. Mais David Willets, secrétaire d’État chargé des universités et de la science au Royaume-Uni, a clairement indiqué qu’il garde un œil sur ce qu’il se passe en parallèle aux États-Unis et en Europe.
Si l’on consacre tout l’argent dépensé actuellement dans la souscription d’abonnements à un modèle de publication différent pour lequel les auteurs paient, cela ne devrait pas poser de problèmes financiers sur le long terme. Mais [cette transition] est une montagne difficile à surmonter. Un effort doit être fait partout dans le monde ; cet effort doit être le fruit d’une mobilisation internationale et se faire de façon concertée.
Vous avez écrit que l’adoption de cette mesure n’était pas l’objectif final recherché mais qu’il donnait l’occasion de construire un nouveau système. Quels sont les changements que vous aimeriez voir concrétisés aujourd’hui ?
S. C. : Nous avons besoin d’un changement de culture dans le domaine des sciences. La plupart des gens ne pensent qu’à être publiés dans les revues les plus prestigieuses possible. Mais si vous prenez un peu de recul, ça n’a aucun sens d’évaluer les gens sur la base du facteur d’impact. Il s’agit d’une moyenne arithmétique d’une distribution qui est complètement biaisée – ce n’est absolument pas scientifique ! J’aimerais commencer une campagne d’accusation : « Le facteur d’impact, cancer du corps scientifique » !
Le domaine des sciences est cependant très concurrentiel et il le restera. Nous ressentirons toujours le besoin de tout passer au crible et de tout mesurer. L’utilisation d’indices bibliométriques évaluant les articles (au lieu des revues) pourrait fonctionner. Nous serions confrontés aux combines utilisées par certains auteurs pour augmenter le nombre de visites sur leur page et obtenir ainsi un meilleur positionnement sur les moteurs de recherche, mais Google s’est déjà engagé dans la lutte contre ce genre de phénomène. Ce n’est donc pas à mes yeux un problème insurmontable.
Par ailleurs, lorsqu’il s’agit de leur discipline, les scientifiques sont capables de juger assez rapidement de l’intérêt et de la pertinence d’un article. Ils n’ont pas besoin de connaître le facteur d’impact. C’est lorsqu’ils font des recherches en dehors de leur domaine que les choses se compliquent ; mais si la communauté parvient à s’organiser, une solution est possible. F1000propose une évaluation post-publication par les pairs – les scientifiques rédigent de brefs commentaires pour évaluer les articles. F1000 est payant, mais le même système pourrait être mis en place pour rendre ce service accessible à l’ensemble de la communauté académique. Je suis persuadé que le modèle de PLOS ONE consistant à “ simplement s’assurer que c’est fait de manière compétente” est aussi valable. Le groupe Nature a démontré à de nombreuses reprises qu’il est incapable de repérer les articles qui auront le plus de retentissement. Les personnes qui ont découvert le graphène, ont obtenu le Prix Nobel en 2010. Nature avait pourtant rejeté leur article… deux fois !
L’Open Access s’oriente-t-il dans la bonne direction, ou les auteurs du rapport Finch se sont-ils inclinés devant les maisons d’édition, comme certains détracteurs le suggèrent ?
S.C. : Il est vrai que des maisons d’édition faisaient partie du comité à l’origine du rapport Finch. Et Willets est un conservateur – il ne veut pas être considéré comme celui qui a détruit une industrie. Mais je ne pense pas que ce soit une bonne idée d’évincer les maisons d’édition non plus. Nous ne voulons pas que des amateurs se retrouvent à diriger la publication scientifique. Certains scientifiques pourraient publier eux-mêmes leurs articles, mais seule une petite minorité d’entre eux serait capable de le faire correctement. Il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain, mais nous devrions nous poser sérieusement la question des marges de bénéfice. Par exemple, j’aimerais que les maisons d’édition s’exposent à une concurrence plus forte. L’initiative de PLOS était géniale. Peer J, [une maison d’édition en Open Access qui demande aux auteurs de payer des frais d’adhésion leur garantissant le droit de publier à vie], est un très bon modèle ; ne mésestimez d’ailleurs aucun des projets dans lesquels s’implique Peter Binfield. C’est un modèle intéressant qui pourrait s’avérer moins cher que PLOS.
Ça ne me dérange pas de payer de l’argent à une société indépendante pour couvrir les frais de publication, mais j’aimerais qu’il y ait plus de transparence dans la manière dont sont calculés ces frais. Elsevier a inclus une clause de confidentialité dans son contrat avec l’Imperial College afin que mon documentaliste ne puisse pas me dire combien coûtent leurs abonnements ! Dans cette transition vers l’Open Access, le coût sera un élément déterminant : les chercheurs seront désormais informés du véritable coût de la publication d’un article. Et je vous parie qu’ils estimeront insuffisantes les sommes que les conseils de recherche leur donneront pour couvrir leurs frais.
C’est des contribuables que provient tout l’argent qui est consacré à la publication scientifique, ils ont mis cela entre nos mains. Ce devrait être un marché d’acheteurs. Mais nous continuons de nous laisser séduire par le facteur d’impact. C’est un réflexe tout à fait humain, c’est dans notre nature. Nous devons comprendre ce phénomène et trouver une solution. Il est tout à fait normal que les personnes souhaitent voir leur travail récompensé, mais c’est sur le mérite que doit se fonder la récompense.
J’ai l’impression que les choses commencent à rentrer dans l’ordre maintenant, parce que le Royaume-Uni a annoncé ses intentions, mais il reste à savoir si sa politique parvient à conquérir le cœur et l’esprit de la communauté scientifique. Les débats ont été plus nombreux que jamais cette année, mais je suis de près l’actualité dans la blogosphère et la plupart des scientifiques ne savent même pas de quoi il s’agit, ou voient cela avec mépris. Cela les touchera pourtant et ils devront vivre avec. Nous ferions donc mieux de demander au gars du fin fond de son laboratoire ce qu’il en pense. Tous les scientifiques doivent s’interroger sur les critères qui seront pris en compte, et sur l’importance qu’ils souhaitent accorder au facteur d’impact au moment de calculer leurs frais et pour respecter les budgets fixes dont ils disposent.
Stephen Curry est professeur de biologie structurale à l’Imperial College London et défenseur de l’Open Access. Il écrit des articles sur les sciences àoccamstypewriter.org/scurryet vous pouvez le retrouver sur Twitter:@Stephen_Curry.
En savoir plus :
“UK Government Goes For Broke on Open Access”, de Stephen Curry pour Reciprocal Spacehttp://occamstypewriter.org/scurry/?s=UK+Government+Goes+For+Broke+on+Open+Access
“Digital Reserach 2012: How and Why the RCUK Open Access Policy Needs to Be Revised”, de Steven Harnad, pour Open Access Archivangelism http://openaccess.eprints.org/index.php?/archives/926-Digital-Research-2012-How-and-Why-the-RCUK-Open-Access-Policy-Needs-to-Be-Revised.html
“Gold or green: which is the best shade of open access?”, Times Higher Ed, avec Michael Mabe et David Price http://www.timeshighereducation.co.uk/story.asp?storycode=420454
Going for Gold? The costs and benefits of Gold Open Access for UK research institutions: further economic modelling, preparé par Alma Swan et John Houghton PDF (27 pages)
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