Grandir ou avoir chaud : telle est la question pour les manchots Adélie

Une étude révèle comment ces oiseaux d’Antarctique maintiennent un équilibre entre leur croissance et le besoin de produire leur propre chaleur

Grandir ou avoir chaud : telle est la question pour les manchots Adélie

Si vous êtes un oisillon, votre espèce a deux options : soit arriver à un stade de maturation avancée avant de sortir de l’environnement chaud et protégée de l’œuf, soit débuter dans la vie complètement sans défense, et vite rattraper votre retard de croissance. Le challenge est alors de maintenir un compromis entre utiliser votre énergie pour grandir et l’utiliser pour vous garder au chaud. Pour les espèces qui vivent dans des environnements hostiles comme l’Antarctique, il est particulièrement vital de définir une stratégie. Pour la première fois, une équipe de scientifiques a révélé comment les jeunes manchots Adélie établissent un équilibre entre croissance et production de chaleur par le muscle pectoral, de manière à arriver à maturité à temps pour prendre la mer. 

Si vous êtes un oisillon, votre espèce a deux options : soit arriver à un stade de maturation avancée avant de sortir de l’environnement chaud et protégée de l’œuf, soit débuter dans la vie complètement sans défense, et vite rattraper votre retard de croissance. Le challenge est alors de maintenir un compromis entre utiliser votre énergie pour grandir et l’utiliser pour vous garder au chaud. Pour les espèces qui vivent dans des environnements hostiles comme l’Antarctique, il est particulièrement vital de définir une stratégie. Pour la première fois, une équipe de scientifiques a révélé comment les jeunes manchots Adélie établissent un équilibre entre croissance et production de chaleur par le muscle pectoral, de manière à arriver à maturité à temps pour prendre la mer.

This article is also available in English under the title "To Grow or to Stay Warm: That is the Adélie Penguin’s Question". It was translated into French by Clio Bayle.

Flickr / Iain B. of Over

À la manière des scouts du monde entier, les canetons optent pour l’approche ‘Toujours prêt’. Les jeunes des espèces dites ‘précoces’ ou nidifuges naissent plus ou moins indépendants. Ils  atteignent un niveau de fonctionnement adulte dans certains domaines, comme contrôler la température de leur corps, avant même d’éclore ou très rapidement après. Cette particularité leur donne la liberté et leur impose de grandir lentement, alors qu’ils consacrent leur énergie pour se garder au chaud. Les manchots Adélie, en revanche, sont une espèce semi-nidicoles. Leur stratégie est donc de naitre sans défense et de grandir très vite. Les oisillons sont incapables de garder la température de leur corps élevée. Ils se fient à leurs parents pour les garder au chaud et les nourrir de krill pendant qu’ils se concentrent sur leur croissance. Dans une étude publiée en septembre dans PLOS ONE [disponible en anglais sur MyScienceWork], des  scientifiques ont découvert comment des changements dans l’expression des gènes modifient la physiologie et la biochimie des oiseaux de manière à leur permettre, en seulement deux mois, de passer de dépendants à leurs parents pour survivre à prêts pour partir en mer.

Les oisillons Adélie font une poussée de croissance si rapide qu’elle ridicule le rythme auquel les adolescents humains grandissent. Leur corps augmente de 5 fois sa taille initiale pendant les 6 premiers jours, et de plus de 40 fois pendant les 2 mois qui suivent. Par conséquent, leur ratio surface/volume décroît significativement. Parallèlement à une meilleure isolation grâce à un duvet plus épais, ce nouveau corps les aide également à mieux conserver la chaleur.

Le facteur principal pour transformer ces oisillons tout juste sortis de l’oeuf en poussins géants, est la croissance de leur muscle pectoral. Le premier mois, il grossit de 80 fois sa taille de départ ! Essentiel pour la plongée, ce muscle est aussi le générateur de chaleur principal chez les manchots Adélie. Le froid déclenche des frissons, le mouvement du muscle qui s’ensuit produit de la chaleur et réchauffe le manchot. La manière dont le corps effectue la transition entre croissance du muscle et utilisation du muscle pour la thermogénèse (et donc d’ectotherme à endotherme) a été mise en lumière par Mireille Raccurt et son équipe de chercheurs à l’université de Lyon. Durant l’été antarctique, ils ont travaillé pendant plus de trois saisons de reproduction sur l’archipel de la Pointe Géologie, aire de nidification pour plus de 34 000 couples de manchots Adélie.

Les scientifiques ont étudié les facteurs impliqués dans la croissance et dans la thermogénèse, via l’analyse de la manière dont les gènes s’expriment aux différents stades de  la vie d’un bébé manchot Adélie. Après l’éclosion, l’hormone de croissance (HC), sa stimulation et son interaction avec d’autres hormones sont nécessaires pour que les oisillons grandissent. La sensibilité des tissus à la HC dépend du nombre de récepteurs spécifiques à cette hormone. En y regardant de près, l’équipe franco-canadienne a découvert que les oisillons naissaient avec un nombre élevé de ces récepteurs dans le muscle pectoral, et qu’il décroissait pendant les 15 premiers jours de leur vie. Ceci modifie l’explosion initiale de croissance du muscle : la production locale d’un autre récepteur d’hormone peut ensuite s'assurer de la fin de la croissance et de la maturation du muscle pectoral.

Une fois que le muscle pectoral a achevé la majeure partie de sa croissance, il a besoin de se consacrer à son rôle futur de machine à production de chaleur.  À l’âge de 15 jours, quand la croissance arrête de prendre le dessus, les chercheurs ont remarqué une augmentation soudaine dans l’expression des gènes mitochondriales impliqués dans la régulation thermique. Ce regain dure jusqu’à l’âge de 2 mois. Cette observation, associée à l’étude des fibres musculaires elles-mêmes, a montré que le muscle avait atteint alors sa maturité. Le manchot, désormais autonome, est alors capable de bruler des lipides riches en énergie pour les transformer en chaleur.

Ces contrôles moléculaires, à l’origine de la capacité d’une espèce d’oiseau polaire à gérer le conflit entre le besoin de grandir vite et celui de pouvoir produire de la chaleur, pourraient bien être utilisés par d’autres espèces  dans des environnements similaires. Les auteurs remarquent toutefois que des études comparatives suggèrent jusque-ici que chaque espèce a sa propre stratégie. Tous les muscles pourraient même se développer de manière différente, en fonction de l’importance de leur rôle chez un jeune oiseau sur son chemin vers l’indépendance. Mieux comprendre les liens qui existent entre la physiologie animale et les compromis développementaux, du type de celui auquel fait face le manchot Adélie, nous permettra d’avoir un aperçu plus complet de la manière dont l’évolution fonctionne chez l’animal dans son environnement naturel.