Éthique et recherche sur le placebo

Peut-on mentir aux patients pour les besoins de la recherche ?

Un groupe de chercheurs américains en éthique s’intéressent à la recherche sur le placebo. Ils clament qu’il ne faut pas sous-estimer l’utilisation de la tromperie dans la recherche médicale et donnent leurs conseils pour la rendre plus acceptable. Comment faire de la recherche sur le placebo sans mentir ? Quels en sont les enjeux ? Retour sur les problématiques éthiques qui entourent le terme de placebo.

Un groupe de chercheurs américains en éthique s’intéressent à la recherche sur le placebo. Ils clament qu’il ne faut pas sous-estimer l’utilisation de la tromperie dans la recherche médicale et donnent leurs conseils pour la rendre plus acceptable. Comment faire de la recherche sur le placebo sans mentir ? Quels en sont les enjeux ? Retour sur les problématiques éthiques qui entourent le terme de placebo.

 

Les chercheurs ont parfois recours à l’utilisation de placebo pour déterminer l’effet d’une nouvelle molécule. Ces derniers sont des médicaments qui ne possèdent pas de molécule active. Leur utilisation est réglementée pour être la plus éthique possible. Une équipe de recherche en bioéthique du National Institutes of Health (NIH) s’est, elle, intéressée à la recherche sur l’effet placebo lui-même. Celle-ci alerte sur l’utilisation de la tromperie dans la recherche.

Le paradoxe du placebo : l'information au patient

Depuis 1988, la loi Huriet protège les personnes qui se prêtent à la recherche biomédicale. Les participants doivent avoir donné un consentement « libre, exprès et éclairé ». Christian Hervé, Professeur d’éthique médicale et de médecine légale à la Faculté de Médecine Paris Descartes, insiste sur le fait que « Les chercheurs doivent informer les patients de l'objectif de leur recherche et du protocole expérimental ». Pour l'utilisation de placebo dans la recherche biomédicale cette loi ne pose pas de problème. « Aucune raison scientifique n’empêche d'informer le patient que certaines substances qu'il va recevoir sont inactives. »

La recherche sur l'effet placebo fait, elle, apparaître un paradoxe. La conviction du patient envers son traitement est la force motrice de l'effet placebo. Comment avoir son consentement éclairé sans amoindrir sa conviction dans l’effet du médicament ? Dans leur étude du National Institutes of Health [Disponible sur MyScienceWork], Francklin Miller et son équipe proposent le recours à la tromperie autorisée. Les participants sont informés que certains aspects des procédures expérimentales peuvent être trompeuses ou mensongères avant de décider de se porter volontaires. Les auteurs de l'étude assurent que cette méthode ne changera pas le résultat de la recherche tout en garantissant « le respect des personnes, malgré le recours à la tromperie ». Ils préconisent aussi une validation systématique par un comité éthique sur la nécessité d’utiliser la tromperie pour mener à bien une recherche.

 

Informer le patient au mieux et faire de la recherche sur l'effet placebo introduit un paradoxe dans la recherche - Kerem Yucel

Effet placebo et éthique

« Si on souhaite étudier l'effet placebo, il suffit de prendre différents groupes pour lesquels un même médicament sera donné avec différentes attitudes du personnel soignant » explique Christian Hervé. Étudier l'effet placebo, c'est étudier la relation entre le patient et le personnel médical et plus globalement son rapport au monde médical. Dans son étude, Franklin Miller explique que « lorsque la supercherie est révélée, comme dans le processus d'information qui accompagne souvent la recherche trompeuse, elle provoque une détresse chez certains participants ». L'usage de la tromperie risque d'entraîner une perte de confiance du participant dans le monde médical. L'étude américaine insiste sur l’importance du moment de révélation de la tromperie auprès du patient après sa participation.

Les problèmes éthiques sur la recherche sur l’effet placebo ne s’arrêtent pas à la seule déception des patients. Même s’ils ne contiennent pas de substance active, l'utilisation de médicament n'est jamais anodine. L’effet placebo s’il est majoritairement positif, peut entraîner une réaction négative des patients appelée nocebo. Les patients vont contracter des symptômes indésirables, assimilables à des effets secondaires alors même que le médicament ne contient pas de molécule active. La recherche sur le sujet doit donc s’entourer de précaution pour ne pas jouer en défaveur du patient.

Le placebo dans la recherche médicale

L'utilisation des placebos pose plusieurs problèmes éthiques aux chercheurs : recours aux mensonges, substitution potentielle à un traitement etc. La loi interdit l’utilisation de placebos à la place d’un médicament aux effets avérés pour des besoins de recherche. La tentation est pourtant grande de tester les nouvelles molécules par rapport à un placebo. Cette pratique donne des résultats statistiquement plus intéressants que la comparaison avec des molécules existantes. Ils sont plus significatifs car la différence de résultats est plus grande et permettent aux chercheurs de réduire le nombre de patients testés. Le Pr. Christian Hervé explique qu’utiliser cette pratique « serait un mauvais emploi du placebo ».

Pour éviter les travers, les chercheurs y ont peu recours. Ils sont pourtant indispensables pour faire reconnaître l'efficacité d'un médicament dans le cas d’une maladie qui ne possède pas de traitement avant celui testé. Si l'étude porte sur une longue période, les résultats sont moissonnés régulièrement pour faire bénéficier rapidement au groupe de patient placebo de la molécule active si elle s’est avérée efficace. Dans tous les cas, l’utilisation des placebos dans la recherche médicale nécessite d’étudier avec rigueur la balance risque-bénéfice pour ne pas dépasser la frontière éthique.

 

Pour aller plus loin :

La Recherche n°366 « L'effet placebo pris sur le fait » Patrick Philipon

Pour la Science n°241 « Éthique et placebo », Francisco de Abajo et Diego Gracia