Epigénétique : quelle influence de l’environnement ?

Insectes, plantes, mammifères, nous sommes tous sujets aux effets de notre environnement. Mais est-ce que notre alimentation, notre climat, notre exposition à des agents polluants peuvent exercer des altérations à long terme sur l’expression de nos gènes ? Quelle part est héréditaire ? Cette problématique de « l'épigénétique et environnement » est très complexe. Des éléments surprenants ont été découverts mais de nombreuses questions restent encore ouvertes. Lors de la dernière conférence des Mardis de l’Institut Curie portant sur l’épigénétique Deborah Bourc’his, responsable de l’équipe « Décisions épigénétiques et reproduction », nous a présenté un exposé clair et passionnant sur les liens entre génétique, épigénétique et influence de l’environnement.

Insectes, plantes, mammifères, nous sommes tous sujets aux effets de notre environnement. Mais est-ce que notre alimentation, notre climat, notre exposition à des agents polluants peuvent exercer des altérations à long terme sur l’expression de nos gènes ? Quelle part est héréditaire ? Cette problématique de « l'épigénétique et environnement » est très complexe. Des éléments surprenants ont été découverts mais de nombreuses questions restent encore ouvertes. Lors dec la dernière conférence des Mardis de l’Institut Curie portant sur l’épigénétique Deborah Bourc’his, responsable de l’équipe « Décisions épigénétiques et reproduction », nous a présenté un exposé clair et passionnant sur les liens entre génétique, épigénétique et influence de l’environnement.

 

L’épigénétique était encore à l’honneur de l’avant-dernière séance du cycle de conférences de l’année 2011-2012 des Mardis de l’Institut Curie. Les thèmes abordés cette année ont couvert tous les aspects de ce nouveau champ de recherche :

- Introduction à l’Épigénétique - Épigénétique et Cancer - L’Organisation Nucléaire : Voyage au Cœur de la Cellule

 

Dans ce texte, nous vous proposons de distinguer les mythes des connaissances concernant l’influence de l’environnement sur les modifications épigénétiques au sein des organismes.

 

 

Génétique, épigénétique et héritabilité

Chez les organismes multicellulaires, le noyau de la cellule est le sanctuaire du génome. « En 2001, les scientifiques ont obtenu le séquençage complet du génome humain. Nous pensions alors que nous étions sur le point de découvrir l’origine des maladies et des singularités héréditaires des individus. » Il s’est pourtant avéré que tout ne pouvait être expliqué par la seule séquence du génome. Il existe un niveau supérieur d’information, qui ne peut être prédite par le simple code de l’ADN, c‘est ce qu’on appelle l’épigénétique.

 

L’ADN présent dans chaque noyau des cellules de notre corps contient une information génétique identique. Dans le premier volet des Mardis de l’Institut Curie, nous avions vu que les cellules développent cependant des caractéristiques différentes dans notre organisme. Cela est contrôlé par l’épigénétique. Elle désigne ici la capacité d’une cellule à convertir un signal reçu de l’environnement ou d’une  cellule voisine en un changement d’expression de ses gènes, et d’ensuite maintenir et propager ces informations en absence du signal initial. L’épigénétique explique ainsi  la diversification des types cellulaires au cours du développement, et la constitution de tissus et d’organes homogènes, grâce à cette capacité de transmission d’identité de la cellule mère à la cellule fille.

Nous avions vu, dans le second volet des Mardis de l’Institut Curie, que les mécanismes épigénétiques avaient lieu au cœur du noyau de la cellule par le biais de la méthylation de l’ADN et des modifications des histones. Les gènes contenus dans l’ADN non compacté s’expriment alors que les gènes qui se situent dans des zones compactées de l’ADN sont muets. L’importance de l’organisation de l’ADN et de son arrangement spatial dans le noyau influencent également le fonctionnement des gènes et de la cellule.

 

Des modifications épigénétiques dues à l’environnement au sein de nos cellules ? © Indigo – Fotolia.com
Environnement et santé

Les identités cellulaires et individuelles sont le mariage de la génétique et de l'épigénétique, de l’inné et de l’acquis. On constate ainsi que les jumeaux monozygotes (dits « vrais jumeaux », avec une même identité génétique) se différentient au cours de la vie d’autant plus qu’ils adoptent des modes de vie différents. Quelle est donc la part de l’âge et l'environnement sur cela ? Cela correspond-il à l’enregistrement par l’épigénétique de signaux erronés ? Les dérives épigénétiques peuvent-elles expliquer certaines maladies?

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Beaucoup d’études partielles et de mythes portent sur l’influence de l’environnement sur les phénotypes chez l’homme, via l’épigénétique. C’est une question complexe. Il n’est pas évident de tirer des conclusions d’après ce que nous savons actuellement.

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Influence de l’environnement

Il existe des preuves formelles de l’influence épigénétique de l’environnement, chez les végétaux et les insectes. L’exemple le plus flagrant est celui de la détermination des castes chez les abeilles. Au sein d’une même ruche, les abeilles ont un patrimoine génétique similaire, et naissent toutes semblables. A un stade particulier du développement, certaines larves sont nourries avec de la gelée royale et deviendront reines. Les autres larves seront des ouvrières. Par un mécanisme inconnu, la gelée royale empêche la méthylation de l’ADN en inhibant des enzymes  ce qui permet à la reine de développer un phénotype très différent de ses sœurs ouvrières. « Des scientifiques ont réussi à reproduire des reines sans gelée royale, en modifiant génétiquement les enzymes responsables de la méthylation de l’ADN. »

Un autre exemple est la vernalisation chez les Plantes. Les plantes ne peuvent ni se déplacer ni se mettre à l’abri. Il leur faut être flexibles pour réagir à leur environnement (température, ensoleillement, humidité…), une propriété intrinsèque de l’épigénétique. Dans le cas de la vernalisation, le froid de l’hiver induit une modification épigénétique stable, conservée jusqu’aux beaux jours qui permettront  à la plante de sortir de son repos et de fleurir.

Une autre question se pose alors : les modifications sont-elles transmissibles d’une génération à l’autre ?

Le muflier, ou gueule de loup, est une fleur dont on trouve une variante, possédant une symétrie inversée, presque uniquement sur une île au large de la Suède. Cette variante n’est pas due à une mutation génétique, mais à une anomalie de méthylation (épimutation), qui a été transmise au cours des siècles, sur de multiples générations de plantes. Ceci est un premier exemple de transmission héréditaire de caractères acquis chez les végétaux.

 

Influences épigénétiques chez les mammifères

L’alimentation des abeilles modifie leur physionomie. Le fait que l’environnement, notre alimentation et de nombreux autres paramètres peuvent influencer l’expression de nos gènes peut être un facteur d’angoisse et alimenter les mythes et les peurs. Pourtant il n’existe jusqu’à présent aucune preuve formelle mettant en évidence des effets épigénétiques, autonomes et à long terme,  chez l’homme. « Il existe des études partielles sur le sujet mais les preuves formelles sont difficilement obtenues. » Quels sont alors les impacts au niveau épigénétique  de notre alimentation, du stress, des toxines, des polluants chimiques ?

L’alimentation pourrait être susceptible de modifier notre épigénétique, car c’est elle qui fournit certains produits nécessaires à la méthylation de l’ADN, par exemple le folate. Aussi, puisque l’épigénétique répond à des signaux reçus par la cellule, et notamment des signaux de type hormones, la perturbation des voies hormonales pourrait aussi engendrer des anomalies épigénétiques. Les perturbateurs endocriniens ont ce pouvoir d’interférer avec les hormones. Ils prennent leur place, bloquent le signal ou au contraire l’amplifient. Le bisphénol A a particulièrement été pointé du doigt pour ses effets perturbateurs. Présent notamment dans les plastiques des biberons, il a été retiré des emballages alimentaires commerciaux en 2011. De plus, pendant la vie in utero, il existe des phases où la machinerie épigénétique est très active. L’embryon et le fœtus pourraient être particulièrement sensibles aux signaux adverses de l’environnement, y compris les perturbateurs endocriniens.

En utilisant des modèles particuliers de souris de laboratoire où des variations épigénétiques peuvent être facilement observées par la couleur du pelage, des études ont effectivement démontré que la vie fœtale pouvait être une période sensible aux effets de l’environnement. Ainsi, l’apport de folates et l’exposition au Bisphénol A de la mère au moment de la gestation ont été liés à des modifications de la méthylation de l’ADN chez les souriceaux.

 

Déborah Bourc'his, chef de l'équipe - Décisions épigénétiques et reproduction. Copyright : Noak / Le Bar Floréal / Institut Curie
Déborah Bourchis
 

Chez l’homme, des variations épigénétiques ont été sporadiquement reportées en réponse à l’exposition au tabac, au stress, à des polluants, à la famine mais ces études a posteriori ne permettent pas vraiment d’identifier le facteur responsable. De plus, les études sont souvent conduites sur de petits nombres de patients, ce qui peut induire des biais dans les résultats. Oui, l’environnement peut perturber notre fonctionnement normal, mais pour parler de perturbation épigénétique, il faut que le dysfonctionnement persiste alors que nous ne sommes plus exposés à l’élément perturbateur. De plus, il faut démontrer que l’élément perturbateur n’a pas créé de mutations génétiques. Or, un grand nombre d’agents polluants sont susceptibles d’endommager notre ADN. Dans ce cas, le dysfonctionnement sera stable, mais par effet génétique, pas épigénétique. Enfin, l’identité d’une cellule et l’épigénétique sont indissociables : il est donc très complexe de distinguer une modification épigénétique engendrant une particularité physique ou une maladie d’une modification qui serait le résultat, et non la conséquence, de la particularité.

 

« Une question qui reste centrale et anime de nombreux fantasmes est de savoir si en plus d’être héritées de cellule à cellule, les modifications épigénétiques peuvent être transmises de génération en génération. » En particulier, des cas de phénotypes transmis sur plusieurs générations suite à une exposition in utero ont été reportés. Cependant, la démonstration d’une hérédité transgénérationnelle épigénétique autonome, donc en absence de l’agent perturbateur, nécessite l’analyse des arrière-petits enfants  de la mère exposée, des études qui n’ont jusqu’alors jamais été menées chez l’homme. De plus, « chez les mammifères et chez l’homme, la méthylation de l’ADN effectue des cycles. Les profils épigénétiques sont remis à zéro entre chaque génération, dans les ovules, dans le spermatozoïde et aussi dans l’embryon après fécondation. Ceci pourrait ainsi limiter la possibilité de transmettre à notre descendance des anomalies épigénétiques acquises pendant notre vie. »

 

En conclusion, le contrôle épigénétique de l’expression des gènes est un paramètre essentiel, qui vient en fait consolider une décision prise par la cellule, suite à un signal perçu. Chez les insectes et les plantes, il permet de développer des phénotypes ciblés et de s’adapter à des changements de l’environnement. Chez les mammifères, il joue un rôle crucial dans le bon déroulement du développement embryonnaire et permet la différenciation des types cellulaires. L’hérédité des mutations épigénétiques a été démontrée chez les insectes et les plantes. Chez les mammifères, certaines étapes de déméthylation lors de l’embryogénèse réduit la probabilité de transmission des caractères acquis. Nous constatons que l’épigénétique, bien qu’étant une discipline récente, a énormément progressé. C’est un domaine très prometteur en terme de compréhension du vivant mais aussi en terme de développement de nouvelles thérapies, notamment grâce à la réversibilité des modifications épigénétiques.

 

Nous espérons que vous avez apprécié de suivre avec nous le cycle 2011/2012 des conférences des Mardis de l’Institut Curie. La saison se clôturera mardi 26 juin par un exposé traitant des derniers progrès en cancérologie. Le Pr. Dominique Bellet, responsable du laboratoire d’Oncobiologie du complexe Institut Curie-Hôpital René Huguenin (CRH), nous dévoilera les axes de recherche les plus prometteurs ainsi que les traitements de demain.

Ne manquez pas la dernière séance des Mardis de l’institut Curie, le 26 juin, qui portera sur Les avancées de la biologie du cancer : les rêves et les réalités.

Vous pouvez retrouver sur le blog MyScienceWork, l’ensemble des conférences du cycle :

- Marie Curie : un héritage toujours d’actualité - Introduction à l’Épigénétique - Épigénétique et Cancer - Sérendipité : le Rôle du Hasard dans les Découvertes - L’Organisation Nucléaire : Voyage au Cœur de la Cellule