Jusqu’à relativement récemment on pensait que la cancérogénèse n’était due qu’à des modifications de la séquence de l’ADN. Il est maintenant admis que les mécanismes épigénétiques jouent un rôle aussi important dans la cancérogénèse que les mécanismes génétiques. L’entrée de cette nouvelle discipline scientifique, l’épigénétique, en cancérologie a déjà levé le voile sur certains mystères et ouvrent de nouveaux espoirs. Elle fournira probablement de nouvelles approches thérapeutiques complémentaires des thérapies actuelles et enrichira les pronostics et diagnostics cliniques des patients.
Pour le troisième volet du cycle de conférences les Mardis de Curie, François Radvanyi, responsable de l’équipe Oncologie moléculaire (Compartimentation et dynamique cellulaires - Institut Curie / CNRS UMR144) et le Dr Fabien Reyal, chirurgien et chercheur à l’Institut Curie ont présenté les mécanismes épigénétiques impliqués dans l’apparition et l’évolution des cancers. La conférence a eu lieu le mardi 13 décembre. Elle fait suite à « Introduction à l’épigénétique » au cours de laquelle les bases de cette discipline ont été évoquées. Elle sera suivie de la conférence « Organisation nucléaire et épigénétique » le mardi 31 janvier 2012.
Le cancer, une maladie génétique
Trois catégories de gènes sont impliquées dans le développement des cancers : les oncogènes, les gènes « suppresseurs de tumeurs » et les gènes de « réparation de l’ADN ».
Certains gènes impliqués dans la division cellulaire ont pour fonction d’accélérer la prolifération cellulaire. Il suffit qu’un des deux allèles de ces gènes soit modifié pour que le gène devienne hyperactif et augmente la division cellulaire. Ces gènes sont appelés « oncogènes ». Ils ont un rôle majeur dans la croissance de tumeurs.
En temps normal, les gènes « suppresseurs de tumeurs » freinent la division cellulaire. S’ils subissent des mutations au niveau des deux allèles, ils peuvent perdre leur efficacité. Cela mène alors à la multiplication incontrôlée des cellules.
La dernière catégorie de gènes impliquée dans le développement des cancers est celle des gènes de « réparation de l’ADN ». Ceux-ci permettent la détection et la réparation des erreurs de réplication de l’ADN. S’ils subissent une mutation entraînant leur inactivation, ils ne jouent plus leur rôle de gardien du génome ce qui entraînera une plus grande probabilité d’activer des oncogènes ou d’inactiver des gènes suppresseurs de tumeurs.
Dans une cellule tumorale, où la prolifération cellulaire est incontrôlée, il y a donc activation des oncogènes d’une part et inactivation des gènes suppresseurs de tumeurs et des gènes de réparation d’autre part.
Le cancer, est aussi une maladie épigénétique
En temps normal, les différentes étapes du développement d’une cellule sont associées à des modifications épigénétiques qui forgent de manière très stable son identité. Des cellules de deux tissus différents ont le même génome mais elles diffèrent par leur épigénome (ensemble des modifications épigénétiques : méthylation de l’ADN et/ou modifications des histones). La progression tumorale transforme les cellules par un mécanisme surprenant qui arrive à engendrer une perte partielle de leur identité et donc une dérégulation de l’épigénome de la cellule. En général, plus la perte d’identité est importante (plus la cellule tumorale s’éloigne de la cellule normale) plus la tumeur est agressive.
Depuis les années 1995, le domaine de la recherche en épigénétique en cancérologie est en plein essor. La figure suivante représente le nombre de publications scientifiques par an dans ce domaine. Celui-ci est passé de un à deux articles par an à plus de 1500 au cours des dix dernières années. Elle met en évidence les découvertes majeures ayant révélé l’implication des modifications épigénétiques dans le développement des tumeurs cancéreuses et les premières applications cliniques de ces découvertes.
Les modifications épigénétiques observées dans une tumeur sont essentiellement : une diminution globale de la méthylation de l’ADN conduisant à une instabilité génétique et, au niveau de certains gènes, une méthylation de l’ADN ou des modifications des histones conduisant à leur inactivation.
Les modifications de l’épigénome engendrant l’apparition de cancers ont pour origine soit des modifications génétiques soit des mécanismes non-génétiques.
Il a été montré récemment dans de nombreux cancers que plusieurs mécanismes génétiques touchant les gènes impliqués dans les modifications épigénétiques peuvent contribuer ou entraîner le développement d’une tumeur : des modifications génétiques touchant les gènes impliqués dans la méthylation de l’ADN et/ou des gènes impliqués dans les modifications des histones.
Les mécanismes non-génétiques concernent entre autre une méthylation anormale de l’ADN qui augmente notamment avec l’âge. Ces mécanismes rentrent en jeu lors de la duplication de l’ADN et introduisent des erreurs de méthylation dans la copie.
Il est nécessaire de soulever quelques problèmes rencontrés lorsque les scientifiques essaient d’observer et d’interpréter les modifications épigénétiques. Tout d’abord, les méthodes de mesure de la méthylation de l’ADN sont aujourd’hui encore imparfaites et celles de mesures des modifications des histones restent difficiles à mener. De plus un changement de l’épigénome observé dans une tumeur peut être interprété de deux façons très différentes : soit la cellule tumorale reprogramme son épigénome, soit la cellule tumorale revient avec un épigénome qu’elle avait eu au cours de son développement (une sorte de retour en arrière).
Application à la médecine
- Pronostic
Un marqueur pronostic permet de prédire les caractéristiques évolutives d’une pathologie, l’apparition de métastases dans le cas de cancer. L’identification de nouveaux marqueurs pronostics permettrait un choix thérapeutique averti (chimiothérapie, chirurgie etc.) suivant le degré de gravité du cancer. Les traitements pour le cancer sont des traitements lourds s’accompagnant d’effets secondaires très importants. Des cancers dont le pronostic serait plus ou moins grave ne seraient alors pas pris en charge avec les mêmes traitements. Les marqueurs de pronostic servent donc à déterminer la balance bénéfice-risque d’un traitement pour un patient, et guident le choix de la thérapie.
Jusqu’à présent, le pronostic des patients était basé sur l’analyse des anomalies de l’ADN et des marqueurs de l’expression de l’ADN ou des anomalies de l’expression de protéines. De nombreuses études sont en cours afin de déterminer s’il existe des marqueurs de pronostic épigénétiques.
Dans le cas du cancer du côlon, les chercheurs ont identifié des régions du génome où des îlots de séquences de CGCG répétées (séquences se méthylant le plus fréquemment) étaient hyper-méthylés de manière coordonnée. La carte d’identité de méthylation de telles tumeurs est alors associée à des mutations données, celle-ci définissant un pronostic donné pour un choix thérapeutique adapté. Quatre gènes ont aussi été identifiés comme marqueurs de l’intensité de l’agressivité du cancer du poumon.
- Diagnostic
Le cancer, comme la plupart des maladies, se soigne d’autant mieux qu’il est diagnostiqué le plus en amont possible. Le dépistage est l’identification d’un cancer à un stade précoce. L’étude de méthylation de l’ADN dans les selles et les urines du patient permet actuellement le dépistage des cancers colorectal et de la vessie par des méthodes non-invasives.
L’identification du profil d’un cancer permet un choix thérapeutique adapté. Les chercheurs ont démontré que bien que les tumeurs soient instables, évolutives et composées de nombreux types de cellules, les modifications épigénétiques sont, elles, relativement stables. Elles peuvent donc être des marqueurs efficaces du profil du cancer.
- Prédiction
Les marqueurs prédictifs permettent l’évaluation de la réponse d’un patient à un traitement donné. En cancérologie, il était auparavant courant d’administrer des traitements lourds en espérant que le patient réagisse au traitement. Grâce à ces marqueurs, une utilisation de traitements plus adaptés aux individus est possible.
Les facteurs impliquant le développement d’un cancer sont probablement présents dans les tissus sains avant l’apparition de tumeurs. Des marqueurs de prédisposition pourraient être identifiés au niveau de l’ADN normal et prédire l’apparition d’un cancer.
Traitements épigénétiques
Deux types de thérapies épigénétiques sont actuellement en cours de développement. La première se base sur le développement d’agents déméthylants. Des traitements utilisés dans le cas de lymphomes sont en cours de développement pour empêcher la méthylation de la cytosine de l’ADN. D’autres traitements en cours de développement cherchent à contrôler la méthylation et l’acétylation des histones pour tenter d’inhiber les mécanismes épigénétiques conduisant à l’inactivation de gènes suppresseurs de tumeurs.
Les scientifiques se sont aperçus que ces traitements pouvaient avoir des applications indirectes. Par exemple, certaines cellules tumorales n’expriment pas les récepteurs d’œstrogènes. Or, certaines thérapies utilisent des agents anti-oestrogènes qui ciblent ces récepteurs. Ces thérapies sont donc inefficaces pour cette catégorie de cancer particulier. Mais il semblerait que, grâce à l’utilisation des traitements déméthylants, on puisse réactiver l’expression des récepteurs d’œstrogène de ces cellules. Les agents anti-oestrogènes pourraient alors être utilisés efficacement.
Les traitements épigénétiques ouvrent donc une nouvelle voie possible de traitements associant méthodes classiques et thérapies épigénétiques pour l’augmentation du bénéfice des traitements.
Il est cependant nécessaire de soulever que ces traitements épigénétiques ne sont pas pour l’instant très spécifiques. D’une part elles ont plusieurs cibles et d’autre part toutes les molécules constituant notre organisme sont susceptibles d’être exposées à la présence du médicament expliquant un fort taux d’effets secondaires. Du fait de ce défaut, les épidrogues seront probablement développées prioritairement comme complément d’autres traitements de façon à limiter leur administration. Le ciblage de ces traitements grâce aux nanotechnologies n’est également pas à exclure.
En conclusion, les méthodes épigénétiques sont extrêmement intéressantes à tous les niveaux du traitement des cancers : compréhension des mécanismes de développement, diagnostic, caractérisation des tumeurs et pronostic pour un meilleur choix thérapeutique. Elles sont porteuses d’espoir mais sont encore en phase de recherche. De récentes publications scientifiques ont montré une première stabilisation de cancer métastasique grâce à ces thérapies. Aujourd’hui, à l’institut Curie, quatre équipes importantes étudient l’épigénétique.
Cet article fait suite à « Introduction à l’épigénétique » texte dans lequelle les bases de cette discipline ont été évoquées. Pour en savoir plus,vous pouvez assister à la prochaine conférence « Organisation nucléaire et épigénétique » le mardi 31 janvier 2012.
En savoir plus
Epigénétique et formes agressives de cancer https://www.e-cancer.fr/Actualites-et-evenements/Actualites
Implication des modifications épigénétiques dans les cancers : développement de nouvelles approches thérapeutique http://genet.univ-tours.fr/gen002700/Vandermeers.pdf L’épigénétique ? En bref, le cancer http://epigenome.eu/fr/1,7,0.html