Epidémie de désabonnements aux revues scientifiques

Echec des négociations, restrictions budgétaires… et les chercheurs dans tout ça ?

Depuis le début de l’année 2014, une épidémie de désabonnements aux revues scientifiques s’abat sur les chercheurs de France et d’ailleurs. Retour sur cette hécatombe dont les premières victimes sont les chercheurs et les étudiants.

Depuis le début de l’année 2014, une épidémie de désabonnements aux revues scientifiques s’abat sur les chercheurs de France et d’ailleurs. Retour sur cette hécatombe dont les premières victimes sont les chercheurs et les étudiants.

 échecs Ready to fight! CC BY-NC-SA Tamàs Mézàros / 500px.com

« UPMC vs Science. Fight ! »

Tout d’abord, ce sont les désaccords grandissants entre éditeurs et groupements chargés des négociations qui cristallisent les échanges. Un exemple flagrant, et non des moindres, est celui du cas « UPMC vs Science ». Cette semaine, l’Université Pierre et Marie Curie (UPMC) annonçait son désabonnement à la revue Science. Selon la page du site de l’UPMC, l’éditeur de la société savante AAAS voulait imposer une augmentation de +100% sur le prix des abonnements (réduit ensuite à 47%).

« Devant le refus de l’éditeur de comprendre la situation de l’UPMC, l’inélégance de son comportement (les accès à Science ont été coupés avant la date de fin de notre contrat 2013) et afin de ne pas donner de signe encourageant de telles pratiques chez d’autres éditeurs, le désabonnement était nécessaire. »

Emeline Dalsorg de l’UPMC explique que « l’AAAS considère Science comme la plus grande revue –ce qui n’est pas totalement faux. Les augmentations annuelles sont  habituellement de l’ordre de 4 à 5%, ce qui est beaucoup mais commence à être plus raisonnable. Par contre l’AAAS -qui n’a jamais accepté de négocier avec Couperin car elle applique différentes propositions tarifaires suivant les établissements- s’est doté de démarches commerciales très agressives. Nos accès à Science ont été coupés quelques jours après l’annonce de notre désabonnement. Soit presque un mois avant la fin de notre contrat pour 2013 ! »

 

Pendant ce temps, Paris Descartes sombre

Au même moment, l’Université Paris 5 (Paris Descartes) se désabonnait de plusieurs revues pour des raisons de restrictions budgétaires. 34 titres sont concernés par les désabonnements de l’université, dont les revues du groupe Nature. Notons aussi que sont concernés les revues des éditeurs Wiley, Taylor & Francis ainsi que l’accès à la base de données Scopus d’Elsevier. Un total qui s’élève à quasiment 3000 journaux !


« Couperin vs APS »

Mise à jour 30/01/14 17:00 : Les physiciens auront finalement accès aux revues de référence de l'American Physical Society.

En France, le consortium de négociation Couperin semble rencontrer des situations similaires dans un important nombre de cas cette année. Pour autre preuve, la saga « Couperin vs APS ». Fin décembre, les physiciens d’un grand nombre d’établissements français recevaient un courriel contenant les textes de position de Couperin et de l’American Physical Society concernant les négociations en cours pour les abonnements aux revues Physical Review, des références du domaine. Ce sont à nouveaux des modifications tarifaires qui sont à l’origine du conflit. Les négociations sont pour l’instant au point mort, les deux opposants restants campés sur leurs positions.

Le cas d’APS est complexe, l’éditeur affirmant ne pas demander une augmentation des tarifs globaux mais un rééquilibrage des coûts entre petits et grands instituts afin que ces derniers prennent plus en charge le coût d’édition. Volonté honorable s’il en est mais dont découlent des augmentations pour certaines institutions françaises atteignant 33% pour l’Université d’Angers et jusqu'à 40% pour d'autres.

 

Et ailleurs ?

Mais l’épidémie ne s’arrête pas aux frontières françaises. En Belgique, les propositions tarifaires d’APS coincent également. Une pétition a rassemblé 440 signatures depuis le 27 décembre afin de réclamer des tarifs raisonnables pour les universités franco-belges.


Même combat outre-Atlantique. En début d’année, l’université de Montréal annonçait son désabonnement aux 1 142 journaux de l’éditeur Wiley Online Library d’ici fin janvier. L’université explique cette décision avec trois arguments principaux : des tarifs qui augmentent chaque année de 3 à 6%, des restrictions budgétaires toujours croissantes et des inégalités de propositions tarifaires entre établissements. « Depuis 1986, le budget consacré aux périodiques dans les grandes universités nord-américaines a crû quatre fois plus vite que l’inflation » révèle leur site. Un rythme de toute façon intenable à moyen ou long terme.

 

Et les chercheurs dans tout ça ?

La situation semble vraiment préoccupante. C’est à se demander avec quoi les chercheurs et étudiants pourront travailler en 2014 si la situation ne se rétablit pas rapidement. Un physicien inquiet me confiait fin décembre que le consortium avait tort de considérer APS comme un éditeur « méchant » au même titre que d’autres plus connus pour avoir un telle réputation.

Les scientifiques ont besoin d’avoir accès aux publications. Il est inquiétant de voir de telles situations déboucher sur un désaccord bilatéral et des désabonnements en masse. Les consortiua ont pour mission de protéger les chercheurs en négociant des tarifs justes. Lors de conflits de ce genre, ils attendent d’être soutenus par les chercheurs ce qui n’est pas toujours le cas. « Des chercheurs nous ont contactés après l’annulation de l’abonnement à Science » raconte Emeline Dalsorg. « Quand nous leur expliquons ils comprennent la décision qui a été prise. » Dans d’autres cas, les refus des consortia obtiennent beaucoup moins l’adhésion de la part des chercheurs. Ceux-ci au contraire expriment une incompréhension désabusée voire un sentiment de trahison vis-à-vis de négociateurs qui leur coupent l’accès à des journaux indispensables à la bonne conduite d’une recherche de qualité.

 

Schizophrénie académique ?

On constate un dédoublement de personnalité de la part des institutions et de leurs représentants sur plusieurs points sous-jacents à la crise à laquelle nous assistons. Elles veulent à la fois soutenir le libre accès aux publications mais continuent à publier dans les revues les plus prestigieuses. Aucune ne veut rester dépendante d’éditeurs tous puissants, qui peuvent imposer leurs tarifs sous prétexte d’être indispensables, néanmoins aucune ne semble vouloir modifier ses critères d’évaluation qui poussent pourtant à la course aux publications prestigieuses. A quand un débat où tous les intéressés pourront exprimer leur point de vue ?

Mise à jour 30/01/14 17:00 : Les négociations avec l'APS viennent d'aboutir à un accord.