La publication récente d'une étude sur les effets sanitaires d'un maïs génétiquement modifié a généré de nombreuses réactions au sein de la communauté scientifique. Pour de nombreux chercheurs, la méthodologie de l'étude ne serait pas valide. Le Journal de la Science, partenaire de MyScienceWork, a enquêté.
Lancé en septembre 2009, le Journal de la science est animé par une équipe de journalistes scientifiques issus de la presse écrite et de la télévision. Informer en temps réel des avancées de la science est l'objectif no1 de ce site qui souhaite être une véritable "passerelle interactive" entre les différents acteurs de la science : grand public féru de science, journalistes, chercheurs désireux de partager la nature de leurs travaux avec le grand public… Voici leur récente enquête sur l'affaire de l'étude du Pr. Séralini.
C'est peu dire que l'étude publiée le 19 septembre 2012 par le biologiste Gilles Eric Séralini dans la revue Food and Chemical Toxicology ("Long term toxicity of a Roundup herbicide and a Roundup-tolerant genetically modified maize", Food and Chemical Toxicology, 19 sept. 2012) a suscité de nombreuses réactions. Et pour cause, puisque dans cette étude, ce professeur de biologie moléculaire de l'Université de Caen affirme que le NK603, un maïs transgénique commercialisé par la firme américaine Monsanto, augmente chez le rat la probabilité de développer des tumeurs cancéreuses et des troubles hépatiques. Un résultat forcément alarmant, qui tranche radicalement avec les précédentes études menées en la matière.
Dès la publication de ces résultats, de nombreuses réactions critiques au chercheur et à ses travaux se sont faites entendre. Il faut dire que la stratégie de communication choisie par le chercheur pour révéler ses résultats était déjà pour le moins peu académique : en effet, le Pr. Séralini a demandé aux journalistes à qui il a communiqué l'article avant sa publication officielle (c'est la diffusion dite sous "embargo", un procédé très utilisé par les revues scientifiques), de s'engager par écrit à ne pas recueillir l'avis d'autres scientifiques sur le contenu de l'article, avant sa publication dans la revue Food and Toxicology. Une pratique fort peu courante, et surtout contestable, puisqu'elle empêche le débat scientifique (lire par exemple l'article publié dans le "Plus" du Nouvel Observateur "OGM : comment Monsanto communique pour contrer les critiques").
Résultat ? Plusieurs médias, avec en tête le Nouvel Observateur (lire notamment l'article "Oui les OGM sont des poisons"), ont publié leurs articles sans avoir pu consulter au préalable d'autres avis au sein de la communauté scientifique. Avec à la clé, des articles dont la teneur aurait probablement été plus modérée si les journalistes concernés avaient préalablement eu la possibilité d'échanger avec d'autres chercheurs.
Une puissance statistique trop faible
Pourtant, au-delà de cette stratégie de communication qui, bien qu'inhabituelle, ne préjuge en rien de la validité scientifique des résultats du Pr Séralini, une autre critique, bien plus grave, a également été formulée : elle porte sur la méthodologie scientifique utilisée pour réaliser l'étude. En effet, plusieurs scientifiques reprochent à l'étude de ne pas bénéficier d'une puissance statistique suffisante pour pouvoir tirer des conclusions fiables (lire par exemple dans Le Monde l'interview du toxicologue Gérard Pascal "OGM : Le protocole d'étude de M. Séralini présente des lacunes rédhibitoires").
La puissance statistique de l'étude du Pr. Séralini est-elle vraiment trop faible ? Pour en avoir le coeur net, nous avons interrogé le statisticien Marc Lavielle, directeur de recherche à l’Institut National de Recherche en Informatique et en Automatique (Inria) et membre du conseil scientifique du Haut Conseil aux Biotechnologies (HCB). Lequel nous a d'emblée confirmé la validité de cette critique : "L'étude du Pr. Séralini a porté sur 200 rats, mais ces 200 rats ont été répartis en 10 groupes de 20 rats chacun, détaille le chercheur. Parmi ces 10 groupes, il y avait un seul groupe témoin, constitué de 10 mâles et 10 femelles. Or, de tels effectifs sont bien trop réduits : avec seulement 10 rats mâles et 10 rats femelles en groupe témoin, il n'est pas possible de faire la différence entre les tumeurs spontanées, c'est-à-dire celles qui seraient apparues de toute façon quel que soit le régime alimentaire des rats à cause du vieillissement, et les tumeurs induites par le maïs génétiquement modifié. Il aurait fallu travailler sur des échantillons beaucoup plus larges". Une analyse que le chercheur détaille sur son site personnel, dans un article intitulé "L'affaire NK603". On le voit donc, avec de tels échantillons, il est impossible tirer des enseignements définitifs...
Le problème de la taille des groupes de rats utilisés dans l'étude du Pr. Séralini est d'ailleurs accru par le fait que les rats choisis pour participer à l'étude du Pr. Séralini appartiennent tous à une souche appelée "Sprague-Dawley", bien connue des chercheurs puisque ces rats présentent la particularité de développer des cancers plus souvent que les autres souches : "Dans ces conditions, il est encore plus difficile de faire la différence entre le bruit de fond constitué par les tumeurs spontanées, et les tumeurs induites par le maïs génétiquement modifié", poursuit Marc Lavielle.
Le choix des "Sprague-Dawley" a d'ailleurs également fait l'objet de critiques de la part de certains scientifiques, dont certaines peuvent toutefois sembler abusives. C'est notamment le cas du biologiste Philippe Joudrier, membre de l'Association Française des Biotechnologies pour le Végétal, qui reproche au Pr. Séralini, dans une interview accordée au site Enviro2B ("OGM : il est anormal que la recherche ne puisse pas avancer"), d'avoir délibérément choisi les Sprague Dawley pour leurs prédispositions à développer des cancers : "Pourquoi avoir sélectionné une race de rats dits "Sprague Dawley" connus pour développer des tumeurs notamment mammaires en condition de stress ? Est-ce parce qu'ils ne sont pas pas toxicologues, et n'y connaissant rien, ils ont choisi cette espèce au hasard ? Ou pour une autre raison que je vous laisse imaginer ?" dit notamment le chercheur.
Les rats Sprague-Dawley fréquemment utilisés dans les études toxicologiques
Si la faible puissance statistique de l'étude du Pr. Séralini suffit à elle seule à invalider ses conclusions, peut-on en revanche reprocher à Pr. Séralini d'avoir choisi des rats Sprague-Dawley ? En fait, pas vraiment. Car il s'agit là d'une souche de rats très fréquemment utilisée pour mener des études toxicologiques : " C'est une souche classique utilisée en toxicologie, le choix des Sprague-Dawley n'a en soi rien de scandaleux, explique au Journal de la Science le toxicologue Olivier Laprévote, professeur à l'université Paris Descartes. En revanche, au vu des résultats obtenus par le Pr. Séralini, et notamment concernant la question des tumeurs cancéreuses, il conviendrait de refaire l'expérience avec des rats issus d'une autre souche. Et évidemment, avec une taille d'échantillon beaucoup plus importante…".
Il est d'ailleurs une autre critique qui a été adressée aux travaux du Pr. Séralini, et qui, elle aussi, se révèle pour le moins litigieuse. Alors que le Pr. Séralini affirme que son étude est la première à étudier les effets d'aliments génétiquement modifiés sur une aussi longue durée (deux ans), il lui a été reproché d'ignorer l'existence d'une méta-analyse, publiée le 13 décembre 2011 dans la revue Food and Chemical Toxicology (soit la revue qui a également publié les travaux du Pr. Séralini), combinant les résultats de 24 études réalisées sur les effets des aliments génétiquement modifiés sur les animaux (bovins, ovins, rongeurs...), et dont certaines avaient justement été menées sur la longue durée (entre un et deux ans). Or, contrairement aux résultats du Pr. Séralini, cette méta-analyse conclut... à l'innocuité des aliments génétiquement modifiés.
Les résultats de cette méta-analyse, qui intègre donc des études menées sur la longue durée comme cela a été le cas pour l'étude du Pr. Séralini, infirment-ils les conclusions de ce dernier, comme le propose le biologiste Philippe Joudrier dans les colonnes du site Enviro2B, ou le journaliste Stéphane Foucart dans un article publié dans Le Monde, intitulé "OGM : les vrais et faux arguments du Pr Gilles-Eric Séralini"? En fait, il semble que non. Et pour cause, car lorsqu'on y regarde de plus près, il apparaît en fait que cette méta-analyse souffre exactement du même défaut méthodologique qui entache l'étude menée par le Pr. Séralini ! Soit en l'occurence, la trop faible taille des échantillons utilisés : "Les auteurs de cette publication ont compilé les résultats d'un grand nombre d'études, pour en produire des conclusions très définitives sur l'innocuité des aliments génétiquement modifiés. Mais le problème est que les études qu'ils utilisent pour produire cette conclusion reposent sur un recours à des échantillons beaucoup trop faibles, nous révèle Marc Lavielle. Ces études ne sont pas recevables, de la même manière que l'étude de Séralini ne l'est pas non plus". Des critiques méthodologiques qui avaient d'ailleurs fait l'objet d'un article dans le journal Le Monde du 22 décembre 2011 ("Impact des OGM sur la santé : le débat n'est toujours pas tranché" de Gilles Van Kote).
Au final, s'il apparaît donc clairement que l'étude du Pr. Séralini ne permet pas de conclure à la toxicité des aliments génétiquement modifiés à cause d'une méthodologie déficiente, il faut également noter que certaines des critiques qui ont été formulées à l'égard de l'étude apparaissent pour le moins infondées (choix des rats Sprague-Dawley, absence de prise en compte des résultats de la méta-analyse du 13 décembre 2011).
A l'heure actuelle, l'impossibilité de trancher entre innocuité et toxicité
Il est donc une réalité pour le moins préoccupante, que le débat autour de cette étude a permis de mettre en lumière : aucune étude menée jusqu'à présent sur les effets des aliments génétiquement modifiés sur la santé animale ne permet de se prononcer de façon définitive sur l'innocuité, ou la toxicité, de ces aliments. Et ce, quelles que soient les conclusions auxquelles ces études parviennent. En effet, toutes ces études souffrent de deux défauts méthodologiques majeurs. Le premier de ces deux défauts est la faible durée sur laquelle est généralement pratiquée l'étude (trois mois), qui ne permet donc pas d'évaluer les risques à long terme d'un tel régime alimentaire. Quant au deuxième défaut, il réside dans la faiblesse des échantillons animaux utilisés, qui ne permettent pas de faire la différence entre le "bruit de fond" des pathologies apparaissant indépendamment de l'exposition aux aliments génétiquement modifiés, et les pathologies directement induites par ces aliments : "en raison de la petite taille des échantillons utilisés par les études menées sur le sujet, aucune étude ne permet à l'heure actuelle de dire de façon définitive si oui ou non, les aliments génétiquement modifiés ont une incidence sur la santé", détaille le statisticien Marc Lavielle.
Et le recours à des échantillons de grande taille est d'autant plus indispensable que la durée de l'étude est longue. Pour comprendre pourquoi, prenons l'exemple du rat : son espérance de vie est de 2 à 3 ans en moyenne. Par conséquent, si une étude sur les effets des aliments génétiquement modifiés sur les rats est menée sur une durée de 2 ans, soit l'essentiel de l'espérance de vie du rat, alors les rats de l'expérience vont forcément développer des pathologies au cours de cette période sous le simple effet du vieillissement de son organisme. Comment distinguer les pathologies issues du simple vieillissement de celles induites par les aliments génétiquement modifiés ? Pour y parvenir, une seule solution : des échantillons... de très grande taille, afin de pouvoir repérer de façon fiable la présence, ou l'absence, d'écarts suspects entre les taux des pathologies mesurés dans les différents groupes de rats étudiés.
Si la méthodologie du Pr. Séralini est donc à revoir (tout comme la méthodologie des précédentes études menées sur les effets des OGM sur la santé), reconnaissons toutefois à cette étude le mérite d'avoir mis en lumière la nécessité de mettre en place des études scientifiques sur l'impact sanitaire des aliments génétiquement modifiés... mais bénéficiant cette fois de méthodologies robustes.
Pour en savoir plus :
Avis des Académies nationales d’Agriculture, de Médecine, de Pharmacie, des Sciences, des Technologies, et Vétérinaire sur la publication récente de G.E. Séralini et al. sur la toxicité d’un OGM https://www.academie-sciences.fr/pdf/rapport/avis1012.pdf