Étant donné que les chercheurs sont de plus en plus nombreux à participer à l’effort de vulgarisation pour rendre leurs travaux accessibles au grand public, les médias sociaux offrent un grand nombre d’outils pour faciliter cette transmission des connaissances. N’oublions pas cependant que les cibles visées sont des personnes réelles, qui ont envie et besoin de comprendre. La diversité de cette communauté requiert également une diversification des approches. L’association d’idées nouvelles aux grands classiques permet de se rapprocher plus efficacement de groupes présentant chacun des besoins différents.
Cet article est une traduction réactualisée de « Diversity & Soap Operas for Better Science Communication » disponible sur : http://blog.mysciencework.com/en/2011/11/23/diversity-soap-operas-for-better-science-communication.html.
Cette traduction de l’anglais vers le français a été réalisée par Mayte Perea López.
Un nombre croissant de chercheurs mène une double vie. Parallèlement à la réussite de leur carrière scientifique, beaucoup travaillent à temps plein pour relayer la science via les blogs, les réseaux sociaux et les forums sur internet. Marisa Alonso Nuñez, chercheuse au Paterson Institute for Cancer Research à l’Université de Manchester au Royaume-Uni et contributrice au forum Agora, explique que même s’il est plus qu’évident, pour nombre d’entre eux, que les scientifiques doivent partager leur travail avec le public, il reste une certaine réticence de la part du monde de la recherche. Certains scientifiques considèrent tout simplement que cette tâche n’est pas de leur ressort. Elle ne figure pas forcément dans leur descriptif de poste, et ceux qui communiquent activement avec le public le font pendant leur temps libre, gratuitement.
« Certains chercheurs n’aiment pas cela, ou bien ils n’ont pas le temps, ou encore ils ne sont pas doués [pour rendre leur travail accessible à un public de non-initiés], mais je le fais avec plaisir. Le plus gros de notre travail est financé par de l’argent public, c’est donc pour moi un devoir que nous avons envers la société ».
Marisa tient sa promesse sur Twitter auprès de ses 516 followers [1 193 en décembre 2012], via son blog personnel en anglais et en espagnol, sur des blogs collaboratifs et dans une revue en ligne.
Mayana Zatz, généticienne à l’Université de São Paulo et lauréate du prix 2000 Pour les Femmes et la Science décerné par L’Oréal-UNESCO, garde le rythme pour tenir informées les presque 4 500 [6 672 en décembre 2012] personnes qui la suivent sur Twitter, tout en animant un blog. Elle écrit au sujet de son propre travail sur les maladies neuro-dégénératives, et d’autres actualités scientifiques. La communication se fait dans les deux sens, car le professeur Zatz reçoit des questions du public par e-mail. Elle reçoit environ 20 messages par jour de la part de patients lui demandant quand un nouveau traitement sera disponible, par exemple, ou de la part de citoyens cherchant à comprendre les travaux de recherche sur les cellules souche.
Internet a clairement un rôle vital à jouer mais, pour Federica Migliardo, biophysicienne à l’Université de Messina, une approche purement web et sans contact réel serait une mauvaise voie à emprunter pour améliorer les relations entre la science et la société. Sur le forum Agora, le Dr. Migliardo souligne le fait que la science doit refléter la société qu’elle sert, dans le sens où les femmes, comme les hommes, doivent jouer un rôle clé dans le processus décisionnel. De même, on pourrait dire que notre approche de transmission de l’information scientifique à la société doit refléter la diversité des outils de communication existants et les différents besoins des individus concernés.
Federica Migliardo participe régulièrement à des rencontres organisées dans les universités pour faire connaître aux étudiants les débouchés qui s’offrent à eux dans le domaine de la recherche. Elle précise que ce sont en fait ces jeunes qui ont souhaité la rencontrer ; ils lui ont envoyé des messages sur Facebook pour lui demander de s’arrêter dans leur ville.
« C’est important de les rencontrer en personne, parce qu’autrement, la science se résumerait pour eux à quelque chose d’abstrait, une voie qu’ils ne s’imaginent pas capables d’emprunter ».
Comme tout est relatif, le Dr. Migliardo admet qu’elle est elle-même en admiration totale devant les lauréates du Prix L’Oréal-UNESCO. « C’est la même chose pour les jeunes. Ils s’imaginent [que les scientifiques] vivent sur l’Olympe, que nous sommes des génies, et qu’il serait impossible pour eux d’atteindre nos objectifs ».
Lorsqu’ils la rencontrent, elle explique que c’est finalement sa très grande normalité qui les frappe. Pour de nombreuses femmes chercheuses, il est indispensable de montrer cette normalité aux filles qui sont intéressées par la science. Il y a une idée préconçue selon laquelle pour faire de la recherche, il faut abandonner les plaisirs simples de la vie : voir ses amis, aller au cinéma, avoir des enfants. Mayana Zatz reçoit beaucoup d’e-mails à ce sujet et elle pense qu’il est important de bien faire comprendre aux jeunes femmes qu’il n’est pas obligatoire de se détourner de la science pour fonder une famille, et que l’on ne devrait pas pour autant renoncer à l’expérience de la maternité pour faire de la recherche.
Les rencontres en face-à-face ou les échanges d’e-mails avec des grandes figures du monde de la recherche peuvent être une source d’inspiration et apporter beaucoup à ceux qui envisagent de suivre la même voie. Cependant, que reste-t-il dans notre arsenal de communication pour une diffusion plus large de la science ? « Je suis convaincue que la télévision est aujourd’hui le meilleur outil de communication », affirme Federica Migliardo. Maria Alonso Nuñez déplore les créneaux horaires peu enviables auxquels sont souvent condamnés les documentaires scientifiques – « Qui va regarder de la science à la télé un samedi soir ? » - mais le Dr. Migliardo a une idée qui pourrait permettre à la science de s’inviter dans un nombre plus grand de foyers à une heure plus influente. Elle a pour projet de créer des court-métrages à diffuser juste avant le journal de 20h. Chaque épisode donnerait la parole à divers scientifiques pour présenter leurs travaux de recherche et leur parcours, et développer ainsi un lien plus humain avec le public.
Mayana Zatz aimerait utiliser la télévision pour porter les débats scientifiques sur la scène publique internationale, en s’appuyant sur un genre qui attire un public important dans le monde entier : les feuilletons télé. Le domaine de la génétique dans lequel exerce le professeur Zatz soulève des questions d’éthique auxquelles les médecins, les patients et la société n’ont jamais été confrontés auparavant. Elle pense que ces questions pourraient être introduites dans des histoires qui toucheraient le public d’une manière nouvelle.
L’association du feuilleton télé à diffusion quotidienne avec les sérieux dilemmes que pose l’éthique médicale peut sembler étrange, le professeur Zatz nous éclaire donc en racontant l’histoire d’une famille qui l’a contactée pour une consultation de conseil génétique. La fille du couple était atteinte d’une maladie génétique héréditaire, et ils étaient venus pour passer des examens afin d’évaluer le risque pour un deuxième enfant de subir le même sort. Le professeur Zatz et son équipe ont examiné les trois membres de la famille et ont découvert –à l’occasion de cet examen motivé uniquement par la maladie- que le papa dévoué n’était pas, en réalité, le père biologique. Si ça ce n’est pas digne d’un feuilleton télé, qu’est-ce que c’est ?
La question qui se pose, selon Mayana Zatz, est la suivante : prévient-on le couple ? Car cela soulève des questions de consentement éclairé et de responsabilité personnelle. C’est le genre de débat que le professeur Zatz voudrait susciter chez les téléspectateurs en insérant des détails scientifiques dans plus d’intrigues à la télé, « afin de stimuler l’intérêt de l’ensemble de la population pour les sciences et les questions d’éthique ».
Peut-être que dans quelque temps, un feuilleton plein de drame, de trahison, de personnages magnifiques et de science sera diffusé sur nos écrans. Sur le court-terme cependant, Marisa Alonso Nuñez craint que les initiatives de vulgarisation de la science ne soient les premières victimes du climat actuel de restrictions budgétaires. Heureusement, une grande partie de ce qu’offre le web, qui vient directement de la bouche des chercheurs-communicants, est gratuite. « Les blogs ne requièrent pas d’argent mais du temps », comme le dit Marisa, « et de plus en plus de personnes sont disposées à en animer un ».
« L’idée que se fait le public de la communication scientifique est en train de changer –il est plus exigeant- et nous devons en tenir compte, ajoute Alonso Nuñez. Aujourd’hui, nous le faisons par plaisir. J’aimerais que cela devienne une obligation, que cet aspect soit pris en compte pour les demandes de bourse et d’emploi ».
C’est probablement ce qui attend à terme les chercheurs, pourtant Mayana Zatz, Federica Migliardo et Marisa Alonso Nuñez restent d’accord sur le fait que, pour être plus efficace, la communication scientifique doit faire l’objet d’un effort conjoint : un travail collectif mettant à contribution scientifiques et journalistes, écrivains, réalisateurs, spécialistes de la communication… Car, de la même manière qu’un large éventail de médias facilite la transmission des connaissances, la diversité des acteurs améliorera, d’emblée, la qualité du message.
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