Les techniques d’imagerie cérébrale à des fins commerciales sont interdites en France et sont également souvent décriées ailleurs. Et pourtant ces outils peuvent nous apporter des informations précieuses et uniques sur les racines de nos comportements. Les principes du neuromarketing pourraient par exemple être utilisés pour améliorer la santé publique et méritent donc qu’on en fasse une deuxième lecture.
Cet article est une traduction de « Neuromarketing Tools for (Neuro) Public Health ». Il a été traduit de l’anglais vers le français par Timothée Froelich.
(Flickr / killermonkeys)
La France est depuis juillet 2011 le premier pays au monde à intégrer le neuromarketing dans un paragraphe de son code de bioéthique national. Ce paragraphe implique notamment que les techniques d’imagerie cérébrale ne soient destinées qu’à servir la médecine ou la recherche scientifique et puissent également être utilisées dans le cadre d’expertises judiciaires. Toute utilisation à des fins commerciales est implicitement interdite.
Lors d’une récente conférence au Cnam de Paris, Olivier Oullier, professeur en neurosciences et en sciences comportementales à l’université Aix-Marseille, a retracé l’origine des études de neuromarketing visant à mieux comprendre le comportement du consommateur. « Le marché est prometteur. Il existe plus de 150 entreprises dans le monde dédiées au neuromarketing, ce qui représente des dizaines de millions de dollars. » Le groupe Nielsen, spécialiste du comportement des consommateurs, vient par exemple de racheter la firme de neuromarketing Neurofocus et il ne fait aucun doute que ce n’est pas pour faire de la philanthropie.
« Il y a une espèce de snobisme dans le monde académique qui veut que si vous utilisez l’imagerie cérébrale fonctionnelle à des fins louables, ou louées, du point de vue de la société, c’est-à-dire pour comprendre les pathologies, la lecture, le calcul, etc., ça marche. Par contre, si vous l’utilisez pour le marketing, cela est clairement refusé. » Pour le Pr Oullier, cela pourrait servir mais avec certaines mesures et un contexte particulier: « Les nouveaux outils qui permettent d’imager le cerveau vont-ils nous permettre de mieux comprendre le comportement des gens ? Ils ne peuvent qu’aider. La question est : Qu’attend on de ces nouvelles techniques ? »
Tout comme la pipe de René Magritte, qui en réalité n’en est pas une, les résultats des IRM ou encore d’autres examens ne révèlent pas tout ce qu’abrite notre encéphale, comme le Pr Oullier aime à le rappeler. Ce n'est que le traitement du signal que le cerveau émet en percevant son environnement qui peut nous donner une idée de ce qui s’y passe.
Par exemple, une étude menée en 2007 à Stanford n’a pu tirer que quelques conclusions très générales sur les réactions de la matière grise quant au shopping. Les sujets passaient des examens IRM tout en faisant de simples courses sur le site Amazon. Les chercheurs ont remarqué que lorsque les gens faisaient une commande, deux régions du cerveau, le noyau accumbens et le cortex préfrontal médian, entraient alors en activité, tandis que l’activité de l’insula baissait fortement. « C’est loin d’être de la lecture mentale […) Néanmoins, à travers de multiples individus, on arrive à prédire s’ils achètent ou non le produit. »
Un neuromarketing pour la santé publique ?
« J’ai toujours un peu de mal avec les gens qui sont uniquement anti-neuromarketing. Que les gens soient anti-marketing en général, je le conçois. Mais uniquement anti-neuromarketing ? Sérieusement ? » En prenant une position moins tranchée contre le neuromarketing, on pourrait considérer que les conclusions d’étude en neuromarketing pourraient constituer une aide précieuse dans le domaine de la santé publique par exemple. Certes, des budgets colossaux sont alloués aux campagnes pour la lutte contre l’obésité. En France, toutes les publicités pour le grignotage doivent comprendre une notification rappelant au consommateur que l’abus de sucre, de matières grasses et de sel est dangereux pour la santé. Néanmoins, un jour, une société privée a mené une étude sur le suivi du regard des consommateurs (eye-tracking, ou plus savamment oculométrie). On s’est alors rendu compte que ceux-ci n’accordaient même pas un regard à ce message pourtant si bien intentionné. La question qu’on se pose alors est de savoir s’il existe une meilleure solution pour prévenir la suralimentation.
Selon Olivier Oullier, lorsque le cerveau examine un produit, par exemple le goût d’un aliment, son verdict est souvent biaisé par une valeur extérieure comme son prix d’achat. De même, si on fait passer un examen IRM à des gens et on leur propose un bouillon de légumes, ils le trouveront sans doute bon, sans plus. Mais si on leur fait l’éloge de ce bouillon et on leur raconte qu’il a été préparé par un des meilleurs chefs du guide Michelin, leur cerveau montre qu’ils l’apprécient beaucoup plus. Sachant cela, ne vaudrait-il pas mieux, optimiser ces campagnes pour une alimentation saine ? Au lieu d’écrire une simple réprimande que personne ne lira de toutes façons, ne faudrait il pas essayer d’autres méthodes ?
La publicité anti-tabac constitue un autre défi de la santé publique, qui pourrait justement s’inspirer des techniques de neuromarketing du secteur privé pour y remédier. Ollivier Oullier nous parle d’une étude américaine qui a mis en comparaison l’efficacité de deux styles différents de spots télévisés, l’un usant d’une approche dramatique et choquante (avec présence d’images dérangeantes sur les effets du tabac sur la santé) et l’autre d’une approche pédagogique. Les résultats ont montré qu’essayer de faire peur aux téléspectateurs pour les dégoûter du tabac activait surtout des zones du cerveau reliées à l’attention visuelle, alors que les messages pédagogiques stimulaient les zones reliées à la mémoire. « Si vous voulez que le comportement des gens change, peut-être vaut-il mieux imprégner leur mémoire qu’éveiller simplement leur attention pendant quelques minutes », propose le Pr Oullier.
L’imagerie cérébrale (tout comme la psychologie, les sciences cognitives, la sociologie, l’histoire et l’anthropologie) sont des outils complémentaires qui peuvent nous aider à comprendre les motivations premières de nos comportements et à éventuellement suggérer de nouvelles façons de réduire celles qui nous sont préjudiciables. « La question est celle de notre propre responsabilité. Parce qu’il est relativement facile de jeter la pierre sur le marketing. Pour que les gens puissent résister au marketing ou puissent manger plus équilibré, peut-être qu’il faut tout d’abord développer des politiques éducatives. »
Pour en savoir plus :
Le blog d’Olivier Oullier
Sur twitter @emorationality
Rapport Nouvelles approches de la prévention en santé publique par Olivier Oullier et Sarah Sauneron