Lorsque les Open space sont apparus dans les entreprises, les débats ont été houleux. Aujourd’hui, ces espaces de travail « ouverts » envahissent les laboratoires et divisent les esprits. Le chercheur, tout comme l’Homme, est un animal social et sociable. Son travail nécessite cependant de la concentration et souvent des instants de profonde réflexion. Alors, promouvoir les interactions entre chercheurs, certes, mais à quel prix ?
This article is also available in English: On the (in)convenience of open space labs. It was translated from French by Timothée Froelich.
C’est l’usine ; c’est « la Chine ». Telles furent les premières images qui me vinrent à l’esprit la première fois que je pénétrai dans un laboratoire open space. Des rangées de paillasses alignées les unes derrière les autres, les bureaux juxtaposés, dans une seule et même pièce entièrement décloisonnée. Un brouhaha incessant régnait dans le labo, bourdonnant tel un essaim d’abeilles affairées. « Bonjour la concentration ! » me dis-je, un peu effaré à l’idée de devoir travailler dans ce joyeux bordel. Et je me rendis vite compte que je ne m’étais pas trompé. Si la communication et l’interaction entre collègues imprégnaient mon quotidien, le silence et la concentration n’étaient pas de mise. Une expérience pour le moins mitigée. Avait-on besoin d’en arriver là ?
« Aujourd’hui, il faut du rendement permanent »
Catherine Alcaïde, chercheuse à l’Institut Jacques Monod (IJM), ne porte pas les open space dans son cœur. « À L’IJM, nous avons dû beaucoup insister pour obtenir un cloisonnement séparant les bureaux des labos ». Le Dr Alcaïde pense que les open space ne font que déplacer un problème qui a des racines plus profondes. Selon elle, le mal trouve son origine dans la situation actuelle de la recherche. « Aujourd’hui, il faut du rendement permanent. Il y a moins de plaisir, de passion dans la recherche. Le système de financement des labos génère un stress monumental qui casse les interactions et crée de la compétition à tous les niveaux ». Pour cette raison, « les chercheurs ne communiquent pas assez les uns avec les autres ; ils sont comme enfermés dans un vase clos. L’open space se justifie simplement par le manque d’interaction entre équipes ». Ce serait donc pour casser cette dimension de repli sur soi généré par le stress de la compétition que le choix des open space serait en train de s’imposer. D’autres aspects, plus terre-à-terre, entrent également en jeu. Ainsi, des open space ont récemment été construits à l’Institut Curie, avec « pour unique objet de gagner de la place dans un univers géographique très contraint dans le 5e arrondissement de Paris », indique Corinne Cumin, Directeur adjoint du centre de recherche.
Un kolkhoze à l’échelle du laboratoire
Optimisation de l’espace, stimulation des interactions, émulation entre collègues, les open space ne s’avèrent cependant pas être la solution idéale. Le Dr Alcaïde décrit ainsi ce choix comme « une utopie, invivable dans la pratique », même si elle admet que « les espaces cloisonnés ferment la communication ». Elle raconte avoir vécu des expériences de travail en open space dans leur concept le plus extrême : même les bureaux et les paillasses étaient partagés. On n’y trouvait aucun espace de rangement personnel. Tout était mutualisé dans une sorte de kolkhoze à l’échelle du laboratoire. « On ne pouvait pas trouver d’espace pour lire des papiers ou pour se concentrer. L’open space à ce niveau-là, c’est aussi nier le fait que l’on ait besoin de matériel spécifique pour travailler : on tournait parfois à 14 dans une pièce faite pour 8 personnes ! » Corinne Cumin l’avoue également : « Dans un monde plus idéal, nous aurions certainement aménagé des espaces bureaux plus isolés, mais au prix du mètre carré parisien nous avons dû faire des choix. »
Des alternatives pour favoriser les interactions
Pour le Dr Alcaïde, d’autres solutions existent néanmoins : réunions entre chefs d’équipes, plateformes d’interaction entre doctorants, les idées ne manquent pas. Elle se rappelle avoir participé à une expérience intéressante de réunions quotidiennes réunissant toute l’équipe autour d’un goûter au cours duquel chacun devait discuter d’un aspect de son travail réalisé au cours de la journée, quel qu’il soit. Au début réticente à ces interactions forcées, elle s’est finalement prise au jeu et en garde un excellent souvenir.
Même si des alternatives existent et sont parfois mises en pratique, les open space ont tendance à s’imposer de plus en plus dans l’environnement de travail des chercheurs, avec leurs avantages et leurs inconvénients. L’Homme étant par nature réfractaire au changement, les réactions hostiles ne manquent pas. Devons-nous nous adapter à ce nouvel environnement ou devons-nous au contraire le moduler autour des spécificités liées au métier de chercheur ? Le débat est ouvert.
A propos de l’auteur :
Antoine Campagne est doctorant en 2e année de thèse à l’Institut Curie dans l’unité Génétique et Biologie du Développement. Sous la direction de Raphaël Margueron, il étudie les mécanismes de répression des protéines du groupe Polycomb et plus particulièrement le rôle de cofacteurs associés au complexe PRC2.
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