Armées de leurs huit tentacules, capables de changer de couleur, plus intelligentes que vous ne le suspectiez, les pieuvres montrent des comportements bien plus complexes que le mollusque de base. Leur ingéniosité et l'usage d'outils leur ont permis d'éviter de se faire dévorer dans les fonds marins, au moins jusqu'à ce que les humains débarquent.
This article was originally published in English: The Science Behind Cthulhu: Why Octopi Are Terrifying Yet Awesome (Traduction/translation: Pierre-Sofiane Kadri)
Octopus vulgaris
Commençons sur une note personnelle, par une confession : moi, David Davila, j'ai peur des pieuvres.
On associe généralement les pieuvres à une myriade de particularités uniques et dignes d'intérêt : huit bras, projection d'encre, délicieux dans une paella. Mais en réalité, l'animal possède encore plus de particularités insolites, couplées à une intelligence inattendue qui devrait commencer à semer la peur chez les habitants de la terre ferme.
Pour commencer, les pieuvres sont munies d'un bec, qui ressemble à celui du perroquet. C'est la seule partie rigide de leur corps. Justement parce que c'est la seule partie rigide, les pieuvres peuvent s'introduire où bon leur semble par les plus petites ouvertures, les organes se déplacent et se reforment, comme pour cette pieuvre mâle adulte qui se glisse à travers un tube mince et sort de l'autre côté comme si de rien n'était. De plus, on sait que la plupart des pieuvres sont capable de changer de couleur : elles peuvent se camoufler instantanément dans leur environnement. Comme si ça ne suffisait pas, certaines pieuvres produisent des toxines pour se défendre. La pieuvre à anneaux bleus, de la taille d'un pamplemousse et couverte d'anneaux d'un bleu profond, produit un poison connu sous le nom de tétrodotoxine, une neurotoxine pour laquelle il n'existe aujourd’hui pas d'antidote.
Sans conteste, ces caractéristiques sont intimidantes, mais suffisent-elles à nous faire craindre toutes les pieuvres ? L'étendue réelle des capacités d'une pieuvre ne se conçoit que lorsque ces outils biologiques vont de pair avec l'atout le plus précieux de l'animal : son intelligence.
Il faut faire la différence entre un comportement inné chez l'animal – une araignée construisant une toile complexe et efficace – et un comportement qui doit être acquis, comme l'habitude qu'ont les pieuvres de chercher des pièges à homards afin de dérober la goûteuse récompense qui les attend à l'intérieur. Le premier montre des capacités issues de milliers d'années d'évolution, l'autre une intelligence légitime : être capable de capter de l'information de son environnement pour y reconnaître des schémas qui se répètent. C'est à ce type d'intelligence adaptable qu'on associe des comportements complexes chez la pieuvre, comme la construction de forteresses et d'abris à partir de noix de coco et de coquillages, ou le fait de transporter des outils pour s'en servir plus tard.
C'est chez la pieuvre-mime qu'on peut voir ce qui est peut-être le comportement le plus complexe et représentatif de l'intelligence de la pieuvre (acquise ou transmise). On a observé pas moins de 13 espèces différentes imitées par cette pieuvre, capable de changer de couleur et de tordre son corps pour se cacher à la vue de tous, sous l'apparence d'une espèce extrêmement venimeuse, ou bien d'une créature marine inoffensive. Son vaste répertoire de mimétisme permet également à cette pieuvre de choisir différents animaux marins à imiter, en fonction d'un prédateur en particulier. En présence de poissons-demoiselles par exemple, la pieuvre-mime va enterrer sa tête ainsi que six de ses bras, et agiter deux tentacules striées de noir et de jaune pour ressembler à un serpent à tête noire, un animal très venimeux et prédateur connu du poisson-demoiselle. Un peu comme un Détraqueur de la série Harry Potter, la pieuvre-mime est capable de changer son apparence à volonté afin de devenir la chose que ses prédateurs craignent le plus.
D'où vient cette intelligence ? Ce n'est pas surprenant, les pieuvres possèdent un système nerveux élaboré, aussi unique que complexe. Les deux tiers des neurones d'une pieuvre se trouvent dans ses tentacules, ce qui crée un réseau complexe dans lequel chaque bras est pratiquement indépendant. Si une tentacule perd sa connexion avec le cerveau, la pieuvre ne pourra plus s'en servir. Au toucher, cette tentacule va pourtant réagir comme elle le ferait normalement, avec un mouvement réflexe, comme un fouet. Étonnamment, moins d'un dixième des neurones sont localisés dans le « cerveau central », mais c'est là qu'on trouve le câblage qui sert à l'apprentissage et à la mémoire. Grâce au lobe vertical, qui ressemble à notre propre centre de la mémoire, l'hippocampe, la pieuvre est capable de mémoriser des labyrinthes ainsi que de résoudre des « boîtes à énigmes » pour atteindre la nourriture qu'elles renferment. Particulièrement impressionnant pour un invertébré, l'animal fait preuve de capacités « d’apprentissage par l'observation » : après avoir vu une autre pieuvre apprendre une tâche, la pieuvre est capable d'apprendre la même chose, mais bien plus rapidement. Si un tel apprentissage se retrouve chez des créatures complexes et sociales, la pieuvre est un animal généralement solitaire, ce type d'apprentissage est donc très probablement dû à l’énorme complexité de son système nerveux.
Hapalochlaena lunulata
Je vous ai peut-être induits en erreur avec ma phrase d'introduction : oui, j'ai peur des pieuvres, mais c'est une peur empreinte de révérence, qui a pour origine l'admiration et le respect pour ces créatures incroyables. En tant qu'humains, nous sommes conscients du respect qu'on doit donner aux créatures les plus intelligentes, comme les dauphins et les singes, en les protégeant au moyen de lois et de politiques environnementales. Les pieuvres cependant, tuées et consommées depuis des siècles, ne bénéficient pas d'une telle protection, bien qu'elles soient classées comme « vertébrés honoraires » par le Royaume-Uni lorsqu'il s'agit de s'en servir pour la recherche. En effet, presque tous les animaux largement consommés par les humains finissent par voir leur population diminuer en taille à cause de la chasse excessive, souvent jusqu'à ce qu'il en deviennent menacés. Dans le but d'assurer la survie prolongée de ces créatures mystiques des océans, il faudra peut-être y réfléchir à deux fois avant de commander un sushi de pieuvre.
A propos de l'auteur :
David Davila (@cozyneuroses) étudie les neurosicences dans le Master 2 Approches Interdisciplinaires du Vivant. Il a récemment finit vainqueur de « Famelab », une compétition internationale de communication scientifique (premier prix et prix du public). Il présente également un nouveau podcast sur le sujet des neurosciences, “Brain Drain”.