Dans des conditions extrêmes, le corps humain est poussé à ses limites. Pour mieux définir les mécanismes physiologiques impliqués, des chercheurs ont suivi des sportifs pendant une compétition très spéciale : le Tor des Géants 2011. Cet ultra-marathon de 330 km a permis de constater que leurs fonctions neuromusculaires et biologiques étaient préservées par rapport à des courses sur de plus courtes distances.
Cet article a été traduit en anglais (« Extreme running: It’s just about going easy on your body! ») par Timothée Froelich.
Crédits Images : MyScienceWork
Pour étudier les réactions physiologiques du corps humain lors d’efforts extrêmes, rien de tel que les conditions d’un ultra-marathon en montagne ! Un ultra-marathon est une course à pieds de plus de 42,195 km (longueur d’un marathon classique). Ajoutez des dénivelés et des chemins caillouteux et vous obtenez l’ultra-trail comme l’UTMB (Ultra-Trail du Mont Blanc) et le Tor des Géants. Le premier se court sur environ 170 km avec 9600 m de dénivelé positif et le deuxième sur 330 km en pleine montagne de la vallée d’Aoste, en Italie, pour 24 000 m de dénivelé positif. En étudiant les réactions des sportifs sur ces deux épreuves, les chercheurs ont pu comparer leurs effets sur l’organisme.
L’ultra-trail, un modèle d’étude de la physiologie de l’exercice
Le Professeur Grégoire Millet de l'Institut des Sciences du Sport de l'Université de Lausanne en Suisse, s’intéresse particulièrement à ces courses. Ce sont de véritables sources d’informations pour ses études sur l’entraînement en altitude et l’ultra-endurance. Avec son frère, Guillaume Millet, il avait montré que l’ultra-marathon pouvait être utilisé comme modèle d’étude de la physiologie de l’exercice dans un article disponible sur MyScienceWork.
En 2011, Guillaume Millet avait publié dans le journal Sports Medecine qu’après 30 à 36 h de course dans l’UTMB, la contraction musculaire maximale volontaire atteignait un plateau après une baisse de 40 %. Grégoire Millet a voulu en savoir plus sur les effets d’une course plus longue qui nécessite notamment d’aménager des pauses de sommeil en suivant 25 sportifs, dont lui-même, pendant le Tor des Géants. Il a ainsi pu étudier les réponses physiologiques du corps humain grâce à différents tests pratiqués avant, pendant et après la course. Les résultats ont été publiés récemment dans un article avec Jonas Saugy comme premier auteur dans la revue PLOS One.
Le Tor des Géants, pas tant inaccessible
Les chercheurs ont été surpris de constater que le Tor des Géants générait une baisse de force maximale volontaire exercée par le muscle de seulement 25 à 30 %. Par comparaison, une diminution de 40 % a été observée au cours de l’UTMB. « Le facteur déterminant est la combinaison entre l’intensité de l’exercice et la distance » précise Grégoire Millet.
Les séquences de repos permettent d’expliquer en partie que la fatigue neuromusculaire soit moins importante dans une course plus longue. Il faut aussi noter que la sensation de fatigue générale n’est pas nécessairement très élevée à l’arrivée de la course mais il est très probable que chaque coureur soit passé par des moments de fatigue extrême pendant la course. « En passant d’une course de 170 à 330 km, vous n’augmentez pas juste la distance, vous changez de registre de course et la fatigue finale est différente. Même sur des épreuves aussi extrêmes, le corps humain est capable de gérer pour que les athlètes arrivent à peu près en bon état » conclut Grégoire.
Réussir le Tor des Géants grâce à une préparation stratégique
Après sa participation en 2011 comme cobaye pour l’étude sur la fatigue neuromusculaire, Grégoire Millet a couru en 2012 en appliquant ce qu’il enseigne et les résultats des recherches de son équipe à l’Université de Lausanne. Ses travaux concernent notamment les allures de course et le choix des pauses de sommeil. Ils lui ont permis d’établir une stratégie particulièrement élaborée pour gagner. Par exemple, il dormait plutôt au pied d’un col qu’en haut car le regain d’énergie est beaucoup plus payant. En effet, le repos avant une montée permet d’aller plus vite dans l’ascension alors qu’il n’a quasiment pas d’influence en descente.
Trois points clés ont ainsi été déterminés. Tout d’abord, pour être performant, il faut être économe, c’est-à-dire dépenser peu d’énergie par unité de distance. Ensuite, il faut favoriser la vitesse ascensionnelle et ne pas chercher à aller le plus vite possible dans les descentes. Ce dernier paramètre entre aussi en jeu dans le troisième axe stratégique : minimiser les blessures. Pour cela, il faut par exemple changer régulièrement de chaussures et de chaussettes et minimiser les charges articulaires en étant le plus léger possible. Pour se préparer, Grégoire Millet a perdu 20 kg.
En terminant deuxième de l’édition 2012 en seulement 78 heures, il a montré que « les sciences du sport, ce n’est pas que de la théorie, ca peut aussi servir ».
Pour en savoir plus
Ultramarathon La Tor des géants
Etude du Prof. Guillaume Millet pendant l’UTMB : Can Neuromuscular Fatigue Explain Running Strategies and Performance in Ultra-Marathons?, Sports Medicine, Juin 2011, Vol. 41, pp 489-506