Depuis quelques jours, une nouvelle publication sur le clonage des cellules souches humaines fait débat. D’une part pour le sujet en lui-même et les questions éthiques qu’il soulève et d’autre part pour la véracité de ses résultats qui sont mis en doute sur le web. Cette polémique est un nouveau témoin d’une recherche en pleine transformation où les effets pervers de la course à la publication sont contrebalancés par de nouvelles alternatives d’évaluation scientifique.
Le clonage de cellules souches humaines : entre réalité et fiction
Le 15 mai dernier, Shoukhrat Mitalipov et al. publiaient dans la revue Cell, une étude sur la reprogrammation des cellules somatiques humaines. Ce chercheur de l’université de la santé et des sciences d'Orégon (USA) y décrit comment des cellules déjà différenciées sont utilisées pour engendrer un embryon cloné.
Les scientifiques ont adapté la méthode utilisée pour la brebis Dolly en 1996 : le noyau d’une cellule de la peau avait été récupéré et implanté dans un ovocyte énucléé. Si Dolly a pu vivre sept ans, cette technique n’avait encore jamais été appliquée avec succès chez l’homme. L'embryon obtenu ne dépassait jamais le stade de huit cellules.
Cette course au clonage de cellules souches humaines avait conduit l'équipe du sud-coréen Hwang Woo-suk à publier en 2004 et 2005 dans Science des résultats trafiqués. Il clamait notamment avoir réussi à créer des clones d’embryons humains et à en avoir extrait des cellules souches. Le pot-aux-roses a été découvert en 2006 et ses articles ont été immédiatement retirés.
Huit ans plus tard, le Dr Shoukhrat Mitalipov relance le débat avec son dernier article. Le chercheur n'est pas nouveau dans le domaine puisqu'il a déjà fait ses preuves en obtenant des cellules souches à partir de primates en 2007. A cette époque, la revue Nature lui avait demandé de nombreuses expériences complémentaires avant de publier ses résultats. Dans Cell, il présente comment il a adapté la technique utilisée pour Dolly à un jeune enfant atteint d'une maladie génétique. Des embryons contenant une centaine de cellules (stade blastocystaire) ont ainsi été obtenus. A cette étape, les cellules souches sont suffisantes pour une utilisation en médecine régénérative.
Une possible fraude prend le pas sur le débat éthique
Même si la démarche n’implique aucune réimplantation de l’embryon, d’autres pourraient utiliser cette technique pour générer des clones humains. De plus, la destruction des embryons pour leur utilisation thérapeutique et le don d’ovocytes posent aussi d’importants problèmes éthiques.
Mais pour le moment, c’est la véracité des résultats qui est mise en doute. La polémique est venue du site PubPeer, plateforme d'évaluation post-publication qui donne l'opportunité à des chercheurs anonymes de commenter toute parution scientifique. Un premier internaute a soulevé quelques incohérences dans les figures comme des photos identiques avec des légendes différentes selon les figures.. D’autres évaluateurs ont également commenté l’article. Le caractère précipité du processus de publication a été soulevé. En effet, cet article a été accepté en moins de 4 jours pour une parution 15 jours seulement après soumission. Emilie Marcus, l'éditrice de Cell, répond sur ce même site en expliquant que les référés avaient accepté de traiter ce papier en priorité sans remettre en cause leur rigueur ni leurs conclusions.
En réponse à ce débat, le Dr Mitalipov a accepté de répondre à une interview parue le 26 mai dans Nature. Il reconnaît que lui et son équipe se sont précipités pour rédiger et publier l’article. Il souhaitait parler de ces résultats lors d’une conférence scientifique en juin. Il admet que des erreurs ont été commises mais qu'elles ne remettent pas en cause les résultats obtenus. Une version corrigée est donc attendue...
Photo par AJC1 (flickr) cc by SA
Que révèle cette nouvelle affaire ?
Fraudes, plagiats, rétractations d’articles font grand bruit dans les journaux et blogs scientifiques depuis quelques mois. Cette nouvelle affaire se rajoute à d’autres cas de tricheries (Stapel) ou d’erreurs involontaires aux conséquences majeures (erreurs dans un tableau excel en macroéconomie par exemple). Elle pointe du doigt la compétition et la pression permanente exercée sur les chercheurs et les laboratoires. Les chercheurs obéissent à la loi du « Publier ou périr ». La quantité d’articles publiés devient souvent le facteur clef de leur réussite au dépend de la qualité. Dans le monde de la recherche, cela implique une augmentation démentielle du nombre d’articles et donc proportionnellement un nombre de rétractations et de fraudes plus importantes. Ce climat général amplifie également le nombre de comportements abusifs et d’erreurs (volontaires ou non) publiées.
Les éditeurs quant à eux ne sont pas neutres dans l’histoire. Un chercheur anonyme faisait remarquer sur PubPeer que « l’acceptation par les éditeurs des soumissions d’articles dépend grandement du réseau, des institutions et de la géographie ». De plus, les éditeurs ne prennent parfois pas toutes les mesures d’évaluation nécessaires. Eux-mêmes sont en compétition. Ils souhaitent publier un résultat « sensationnel » avant les autres. Nathalie Dewitt, le suggère dans un billet de blog : « Cela aurait été mieux de pratiquer sur les cellules des analyses indépendantes et de soumettre les résultats avec le papier. Mais au vu du temps court de relecture, cela révèle une compétition entre journaux pour un papier à succès, les poussant à promettre de le publier rapidement. »
Vers une plus grande transparence de la recherche ?
Cette nouvelle affaire révèle aussi un autre visage plus positif de l’évolution actuelle des pratiques de recherche. Le mouvement open science et la science 2.0 impliquent une plus grande visibilité de ces faux pas de la recherche et au final une plus grande transparence. Les publications en open access donnent la possibilité à un plus grand nombre (chercheurs et non chercheurs) de lire les articles et de les commenter a postériori. Ces pratiques d’évaluation post review se développent notamment sur des plateformes telles que PubPeer, F1000 ou Peerevaluation. Un autre point majeur est l’accès aux données et non plus seulement aux résultats. Une nouvelle analyse par d’autres scientifiques est alors possible et permet ainsi une étape d’évaluation supplémentaire.
L’apparition de nouvelles pratiques d’évaluation des publications scientifiques offrent un contrepoids aux dérives d’une recherche axée sur la production intensive d’articles. Cette nouvelle affaire dans le domaine des cellules souches est un exemple supplémentaire d’une recherche imbriquée dans un écosystème économique, social et financier complexe l’amenant à évoluer.