De Batman au mythe des vampires, l’ombre des chauves-souris virevolte sur notre imaginaire. Plus redouté que véritablement redoutable, ce mammifère nocturne nécessaire à notre écosystème mène une vie fragile loin des regards humains. Le 10 avril dernier, Fiona Lehane, naturaliste et co-présidente de l’association Azimut 230, donnait une conférence publique sur les chauves-souris d’Île de France dans les locaux de la Société Nationale d'Horticulture de France. L’occasion de lever le voile sur cette souris volante qui n’a de souris que le nom.
Source : Kunstformen der Natur par Ernst Haeckel sur Wikimedia Commons
Mettons les points sur les chauves-souris
S’il y a un animal sur lequel nous nous fourvoyons, c’est bien la chauve-souris. Tout d’abord, il n’existe pas une seule espèce de chauve-souris mais en réalité environ 1 200 à travers le monde. Celles-ci sont extrêmement diverses en taille, couleur, forme, alimentation ou encore comportement. Si certaines chauves-souris peuvent par exemple faire deux grammes, d’autres ont une envergure d’aile d’un mètre soixante-dix.
Une autre erreur induite par le nom même de l’animal est de penser que la chauve-souris est un rongeur. Le chiroptère est en effet plus proche génétiquement du rhinocéros qu’il ne l’est de la souris ! Enfin, le pauvre animal n’a rien de chauve mais est victime d’une évolution morphologique de son nom. De cawa sorix, soit « chouette des caves » en latin, le terme est en effet passé à calva sorix, « chouette chauve », qui a donné «chauve-souris » en passant au français.
Le nom scientifique de l’animal, « chiroptère » donne une idée bien plus précise de celui-ci. Kheir signifie en effet « main » en grec ancien, et pteros, « ailé ». Les ailes des chiroptères sont en effet des mains à longs doigts reliés entre eux par un tissu extrêmement fin et léger appelé « patagium ». Si d’autres mammifères tels que les écureuils volants sont dotés de patagium, la chauve-souris est le seul à être capable de vol actif.
Une dernière idée reçue à combattre nous vient tout droit d’un pan de la littérature fantastique dont Bram Stocker est chef de file : la chauve-souris se nourrit de sang ! Cette assertion est plus fausse que vraie : sur plus de mille espèces de chauves-souris recensées, trois seulement sont hématophages. Elles vivent en Amérique du Sud et Amérique Centrale et s’attaquent principalement au bétail. La quantité de sang qu’elles sucent par nuit est d’environ 15 millilitres ; c’est déjà plus qu’un moustique, mais pas encore de quoi rendre un bœuf anémique !
En parlant de moustiques, la plupart des chauves-souris s’en nourrissent plus souvent que de sang. La plupart des chiroptères d’Europe se nourrissent d’insectes et d’araignées, exceptionnellement de petits oiseaux ou de poissons. Des espèces présentes sur d’autres continents sont en revanche fructivores ou nectarivores. Le comte Dracula est bien loin de la réalité.
Source : Wikimedia Commons
Des belles de nuit au bois dormant
Durant les mois les plus froids de l’année, le métabolisme des chiroptères se ralentit et ils entrent en hibernation. En effet, faute d’insectes et de températures favorables, ils mourraient de faim ou de froid s’ils restaient actifs en hiver. Les conditions d’hibernation des chauves-souris sont très spécifiques : il leur faut un endroit frais, à température et humidité constantes comme des arbres creux, des grottes, des constructions souterraines ou encore des églises.
Lors de cette période, elles sont extrêmement vulnérables : une légère variation de température, du bruit ou de la lumière peut suffire à les réveiller. Ce réveil prématuré leur est malheureusement souvent fatal en raison de la dépense d’énergie qu’il induit et de l’absence de nourriture.
Ces belles au bois dormant n’attendent cependant pas le baiser du mâle au printemps pour se réveiller de l’hibernation. Si les femelles ovulent au printemps, les mâles sont déjà bien loin car l’accouplement a lieu en automne, avant l’hibernation. Suite à l’accouplement, les femelles se regroupent en colonies et conservent le sperme des mâles en elles pendant toute la période hivernale en attendant d’ovuler. Entrer en gestation durant l’hibernation serait en effet trop fatigant pour elles, les petits pouvant atteindre près d’un tiers de leur poids à la naissance.
Le petit naît entre le printemps et l’été. Il dépend entièrement de sa mère pendant plusieurs mois : il est allaité pendant un mois. Ensuite, la mère lui apprend à voler et chasser. On observe ainsi une forme de cohésion sociale très forte chez les chauves-souris, non-seulement entre mère et petit, mais aussi d’un individu à l’autre. Par exemple, les fameuses chauves-souris hématophages peuvent mourir si elles passent plus de deux nuits sans consommer de sang. Elles le stockent donc dans une poche gastrique et le régurgitent si l’une de leurs congénères se trouve en manque. Le système de sécurité sociale n’est pas loin !
Loin des clichés, les chauves-souris se révèlent en somme être des animaux secrets, attachants et surtout passionnants tant ils sont singuliers.
Rendez-vous très bientôt pour le second volet de cet article qui parlera plus spécifiquement des chauves-souris d’Île-de France et des moyens dont nous disposons pour les étudier et les protéger !
Des rendez-vous pour les amoureux des chauves-souris :
- * Du 21 au 25 mai 2014 : La Fête de la Nature au Jardin des Plantes à Paris
- * La nuit du 30 au 31 août : La Nuit Internationale de la Chauve-Souris
Pour aller plus loin :
- * L’article BATS: Between Fear and Passion par Abby Tabor sur MyScienceWork
- * Le documentaire Belles de Nuit d’Arte
- * Le site de la SFEPM : http://www.sfepm.org
- * Le site Vigie-Nature : http://vigienature.mnhn.fr
- * Le site du Museum d’Histoire Naturelle de Bourges : http://www.museum-bourges.net/
- * L’encyclopédie des chauves-souris d’Europe et d’Afrique du Nord, Dietz C., Von Helversen O., Nill D., 2009, Delachaux et Niestlé, 400p.
- * Les chauves-souris de France, Belgique, Luxembourg et Suisse, Arthur L., Lemaire M., 2008, Biotope Mèze, MNHN, Paris, 544p.