Une étude de l’université de Duke parue fin août sur le suivi de fumeurs de cannabis a été massivement relayée par les médias. La conclusion des chercheurs était claire : « Fumer du cannabis lorsqu’on est ado fait baisser le QI » (comme le titrait l’Express). Pourtant en lisant l’article original, il est possible de relever plusieurs éléments qui peuvent amener à relativiser cette conclusion. L’occasion de montrer comment un article scientifique, avec ses forces mais aussi ses faiblesses, peut devenir un « objet médiatique incontrôlé ».
Le 27 août dernier, un article paru dans la revue PNAS portant sur les effets neurotoxiques du cannabis a fait le « buzz ». Il faut dire que la publication tombait à point nommé à quelques jours de la rentrée des classes, un moment où traditionnellement tous les médias se tournent vers les jeunes afin de (re)faire le point sur leurs habitudes de vie (sommeil, alimentation, sorties, alcool, drogues, etc.).
En 24 heures radios, télés, et presse écrite se sont fait l’écho de cette étude qui montrait que fumer du cannabis durant l’adolescence induisait une diminution du QI à l’âge adulte et ce de manière irréversible ! Voilà de quoi donner de solides arguments aux parents pour enfin prouver à leur progéniture que le cannabis n’est pas une drogue douce. Mais la menace va au-delà d’une atteinte purement physiologique, l’usage de cannabis risquant purement et simplement de ruiner l’avenir de ces jeunes inconscients. On pouvait ainsi lire dans la dépêche AFP une citation de Madeline Meier, auteur de l’étude, reprise dans plusieurs articles de presse : « Quelqu'un qui perd huit points de QI durant son adolescence et à la vingtaine, peut se retrouver désavantagé par rapport à ses pairs du même âge pour de nombreux aspects majeurs de la vie ». De quoi faire aussi réfléchir tous les anciens consommateurs de cannabis qui subitement se sont demandés dans quelle mesure les joints fumés à l’adolescence avaient d’ores et déjà attaqué leurs capacités intellectuelles !
Le point fort de cette étude est son design expérimental. Les scientifiques ont en effet suivi un peu plus de 1000 sujets depuis leur naissance jusqu’à l’âge de 38 ans environ. Cela s’appelle un « suivi longitudinal ». C’est un travail colossal, de longue haleine et suffisamment rare pour être souligné. D’ailleurs ces « 1000 sujets » étudiés ont été l’un des arguments qui ont contribué au succès médiatique de l’article. Le Monde par exemple parlait de « vaste étude » dans son supplément Science & Techno du 6 septembre. Il est vrai que la plupart du temps la limite des études scientifiques, surtout celles menées sur l’homme, est la taille de l’effectif étudié. En effet, pour obtenir une puissance statistique suffisante, et donc montrer des effets qui soient significatifs et non simplement explicables par le hasard, il faut recueillir des données sur un nombre important de sujets. Ce nombre est toujours indiqué par les auteurs dans leur article par la formule « n=». Qu’en est-il donc précisément dans cet article ? La description de la méthodologie indique bien que la cohorte était constituée de 1037 individus nés à Dunedin en Nouvelle-Zélande entre Avril 1972 et Mars 1973, 1004 sujets étant encore suivis à la fin de l’étude, entre 2010 et 2012. Prenons maintenant les résultats qui ont été les plus diffusés, ceux concernant la diminution du QI chez les « fumeurs réguliers ». Pour déterminer la dépendance au cannabis, les chercheurs ont consigné la consommation des sujets à l’âge de 18, 21, 26, 32 et 38 ans. Les fumeurs réguliers sont ceux ayant déclaré lors d’ au moins trois de ces cinq entretiens fumer au moins quatre jours par semaine. Une fois les critères d’exclusion pris en compte, on constate que seules 874 personnes ont été incluses pour mesurer l’évolution du QI. Par ailleurs, les effectifs des différents groupes sont très disparates : 242 personnes n’ayant jamais fumé contre 38 fumeurs réguliers, soit moins de 5% de l’effectif total considéré! Bizarrement ce fait est relevé par le Pr. Jean-Luc Martinot interrogé pour l’article du Monde, mais ceci n’a semble-t-il pas été jugé suffisant puisque le journal titre « Le QI en fumée » et parle de « la baisse significative et irréversible du QI ». D’ailleurs cette différence de QI observée chez les sujets entre l’âge de 13 ans et celui de 38 ans correspondrait d’après les auteurs à une perte d’ « environ 6 points de QI » alors que l’on a pu lire/entendre partout une baisse de 8 points, comme le diffusait l’AFP dans sa dépêche originale.
Il est par ailleurs intéressant de se poser la question de la pertinence de l’utilisation des tests de QI. En Europe ceux-ci sont beaucoup moins utilisés qu’aux Etat Unis, où ils sont bien plus estimés. L’auteur de l’article avait d’ailleurs souligné l’importance de ses résultats en déclarant que « on sait que le QI est un élément fort déterminant pour l'accès à l'université, pour le revenu gagné tout au long de la vie, pour l'accès à l'emploi, et la performance au travail ». Dans une courte interview donnée au quotidien suisse Le Temps (29/08/2012), un professeur en neurosciences de l’Université de Genève rappelait que quelques points de QI de moins ne pouvaient sans doute pas constituer une atteinte majeure aux capacités intellectuelles des sujets. Il émettait aussi des réserves sur les conclusions de l’étude concernant le caractère irréversible de ces effets. L’adolescence est certes une période-clé pour le développement cérébral, mais la plasticité du cerveau tout au cours de la vie a aussi été largement démontrée, et concernant précisément le cannabis, d’autres résultats contradictoires existent dans la littérature.
Il faut certes souligner la qualité de cette étude, qui a été publiée dans une très bonne revue « à comité de lecture », et donc expertisée de manière indépendante avant publication. Cependant il est aussi important de montrer comment les médias généralistes ou plus spécialisés se sont engouffrés dans la brèche. A l’heure où le public doit faire face à ce que certains ont nommé l’ « infobésité », il est nécessaire que les medias apprennent à prendre un peu de recul sur les dépêches qu’ils reprennent parfois aveuglément et dans l’urgence. Certes le temps scientifique ne correspond pas forcément au temps journalistique, mais peut-être faut-il savoir revenir sur un buzz scientifique « à froid » afin de clarifier l’information et lui apporter un éclairage un peu plus construit. Il faudrait aussi, dans un monde idéal, accepter que les données soient moins sensationnelles que le rédacteur en chef ne le souhaite pour rendre sa une du lendemain plus accrocheuse !
Docteur en Sciences de la Vie, spécialisée en physiologie cardio-vasculaire, Stéphany Gardier a débuté sa carrière d'enseignant-chercheur à Lyon, avant de rejoindre l'Université de Lausanne puis de Genève. Après plus de dix années passées entre labo et amphi, elle a raccroché sa blouse de chercheur pour devenir journaliste et suit actuellement les cours du master en journalisme scientifique de Paris 7 - Diderot.
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