Mercredi 4 juillet, des scientifiques du LHC au CERN ont annoncé qu’ils avaient détecté une nouvelle particule dont les caractéristiques sont fortement compatibles avec celles prédites pour le boson de Higgs. Cette fameuse particule a déjà fait beaucoup parler d’elle. Il faut dire que c’est un événement majeur. Découvrir une nouvelle particule se produit environ tous les 10 ans. La découverte du boson de Higgs est d’autant plus attendue qu’elle constitue en quelque sorte la clef de voûte de la physique des particules actuelle. Retour sur cette annonce et sa couverture médiatique, bel objet d’étude des rapports science-société à l’ère du web et des réseaux sociaux.
Le modèle standard de la physique des particules décrit les diverses forces qui gouvernent la cohésion de la matière. Paradigme accepté par la communauté de physique des particules, cette théorie décrit relativement bien l’association des constituants élémentaires de la matière : quarks, neutrino, etc. et des interactions qui les lient entre elles. Le modèle standard constitue la base d’autres modèles exotiques comme la supersymétrie ou la théorie des supercordes, string theory en anglais, qui tentent de l’unifier avec les autres champs de la physique.

Dans le cadre du modèle standard, l’origine de la masse des particules n’est pas expliquée. Le boson de Higgs est une particule théorique, proposée dans les années 60 par Peter Higgs. Le contexte du boson de Higgs et ce qu’il implique vient compléter la théorie de la brisure de symétrie spontanée développée par trois groupes de chercheurs pour proposer une explication de la masse des particules. Le 4 juillet, les scientifiques travaillant sur CMS et ATLAS, les deux détecteurs du LHC dédiés à la recherche du boson de Higgs, ont annoncé qu’ils avaient confirmé la détection d’une nouvelle particule de masse 125,3 +/-0.6 Giga électron volt (GeV), le GeV étant l’unité utilisée par les physiciens pour décrire les énergies élevées et les masses. En considérant l’intervalle d’erreur de ces résultats, les masses annoncées par CMS et ATLAS, ce dernier estimant la masse de la particule à environ 126 GeV, sont compatibles. L’accord entre les mesures des deux détecteurs et le niveau de confiance (4,9 et 5 sigma respectivement) sont suffisamment élevés pour permettre aux scientifiques de faire cette annonce officielle :
"« Nous pouvons vous annoncer que nous avons détecté une nouvelle particule. Nous savons que c’est un boson et nous connaissons assez précisément sa masse. »
"
Ce résultat était grandement attendu par les scientifiques mais aussi par le grand public. L’année 2012 avait été appelée par certains l’année du Higgs. En effet, le signal à 125 GeV avait déjà été observé fin 2011 mais le nombre de données le concernant n’était pas suffisant pour affirmer que ce signal correspondait réellement à une particule. Une analyse statistique regroupant un plus grand nombre de mesures était nécessaire. Aujourd’hui, nous sommes plus proches de conclure mais, si la particule détectée a pour l’instant les caractéristiques du boson de Higgs, les scientifiques du LHC se sont bien gardés de conclure qu’ils avaient découvert le fameux boson. Un pas franchi sans hésitation par une grande majorité des médias du monde entier. A cet exercice, les médias s’en sont plus ou moins bien sortis. Télérama titrait avant-hier : « Ils ont trouvé le boson de Higgs, Graal de la physique ! » et utilisait largement le champ sémantique de la religion et de la foi : « la particule de Dieu, table de la loi de la physique » voulant certainement attirer l’attention du grand public.
L’intérêt des individus pour la science fait l’objet de nombreux débats. Depuis la moitié du XXème siècle, les rapports entre la science et la société se sont transformés. Le grand public s’est emparé des sujets scientifiques touchant à leur vie quotidienne. OGM, produits chimiques, nucléaire… Cette « société du risque » a encore une relation anxiogène avec de nombreux sujets scientifiques, sources de méfiance. Le domaine de la physique fondamentale reste un domaine scientifique souvent admiré et peu remis en cause par le grand public. Cette recherche apparaît souvent sur un piédestal. L’image que le public se fait des scientifiques du CERN relève souvent des clichés entretenus d’une certaine façon par cette annonce officielle : des scientifiques enfermés au CERN et travaillant sur des données confidentielles. On retrouve l’idée d’une science du XIXe siècle où la société "boit" les paroles des scientifiques sans vraiment les comprendre. Cela se ressent dans les titres mystiques et accrocheurs de ces journaux généralistes : « CERN: le boson de Higgs existe » (La Côte), « La découverte du boson de Higgs est historique » (24heures), la palme d’or est probablement à décerner à Libération qui titrait « Physique des particules : la masse est dite. » Sans commentaire…

Les médias ayant résisté à la tentation de publier un titre accrocheur et largement faux sont tout de même tombés dans le piège de la complexité du sujet. L’article d’assez bonne qualité du Monde annonce sagement que les porte-paroles du CERN « ont annoncé avoir mis au jour un boson ressemblant fort au célèbre boson de Higgs. » Quelques petites erreurs ont amené David Larousserie, dont nous apprécions le blog de science et particulièrement les articles science et société, à titrer son article « Le boson de Higgs découvert avec 99,9999 % de certitude » alors que ce niveau de confiance s’applique seulement au fait d’avoir découvert une nouvelle particule. Une erreur reprise par environ 99,9999 % des médias… La probabilité que ce soit le boson de Higgs n’a pas, à notre connaissance, été quantifiée. Selon Philippe Chomaz, directeur de l’Institut de Recherche sur les lois fondamentales de l’Univers au CEA, « cette particule a la couleur et l’odeur du boson de Higgs mais sans études complémentaires nous ne pouvons conclure. » Certains experts ont annoncé : « Nous l’appellerons boson de Higgs par abus de langage et parce que nous pensons que c’est probablement lui. Mais rien n’est sûr, cela peut être un autre boson dont les caractéristiques sont similaires » d’où peut-être la légèreté de langage que se sont permise les médias.
La couverture médiatique dont le boson de Higgs a fait l’objet est néanmoins dans l’ensemble une très bonne chose. Elle permet de parler des sciences, d’expliquer des concepts et de rappeler leur importance. Nous constatons le rôle majeur des journalistes et médiateurs scientifiques, interprètes placés entre les scientifiques et le public. La vulgarisation de la physique, comme celle de beaucoup d’autres disciplines, est complexe. Les intermédiaires de la diffusion des sciences devraient toujours s’imposer une relecture de la part d’un expert car il est impossible d’avoir à la fois une parfaite connaissance générale des sciences et d’être spécialisé.
Pour les lecteurs, il est important de diversifier ses sources d’information. D’autant plus que l’annonce récente du CERN a fait l’objet de nombreuses publications sur internet. Cette volonté d’expliquer ce qu’est le boson de Higgs s’est traduite sous des formats très divers suscitant l’attention du grand public. Le CNRS (ici) et d’autres sites (phd comics par exemple) ont publié de belles vidéos qui tentent d’expliquer ce sujet complexe. Les blogs scientifiques, par exemple ceux du C@fé des sciences, ont apporté un plus indéniable. Les blogs de chercheurs ont très bien couvert le sujet bien en amont de l’annonce du 4 juillet (par exemple sur le blog de Tom Roud, qui lui aussi avait discuté la couverture médiatique des événements scientifiques, et La Science pour Tous qui résumait bien les résultats de 2011). La bande-dessinée scientifique nous a aussi à nouveau fait rire en même temps qu’elle dissémine les connaissances par petites gouttes. La BD du site du LHC « La chasse au bison de Higgs » est d’ailleurs excellente.
Quant au CERN, il a réussi à bien couvrir son propre événement sur internet par un vidéo streaming sur Phys.org et un liveblogging par QuantumDiaries. Les internautes sur Twitter étaient évidemment au rendez-vous. Depuis deux jours, l’annonce du LHC alimente sept des dix sujets les plus discutés. Dès la veille de l’annonce, ils s’étaient emparés d’une vidéo qui « aurait échappé » des mains des responsables de la communication du LHC et relayée par le Telegraph. Des tweets comiques ont aussi abondamment contribué à cela.
"“Le CERN est heureux de vous annoncer la naissance du Boson de #Higgs qui mesure 5 sigma et pèse 125 GeV :) #FairePart » Gilles Lepretre @glepretre
"
Le format de présentations des scientifiques a lui aussi fait l’objet de commentaires amusants via les hashtags #Higgs #ComicsSans.
Que ce soit le Higgs ou un autre boson, l’étude de cette nouvelle particule marque à nouveau une implication soudaine des médias et des internautes pour une problématique scientifique. Plus tôt dans l’année, "l’affaire des neutrinos" avait aussi fait grand bruit. Grossie par les journaux et les annonces accrocheuses, elle s’est finalement retrouvée démentie après quelques mois. Cette semaine, nous avons constaté l’excitation que la science peut générer. Nous sommes loin aujourd’hui du sentiment d’inquiétude que LHC pourrait créer un trou noir qui absorberait la Terre… Nous avons constaté un décalage entre la couverture de l’annonce dans les médias classiques et sur le web. Les réseaux sociaux se sont emparés de l’annonce, l’ont commenté, s’en sont émus et en ont ri. Cette instantanéité nous a permis de vivre cet événement en direct, d’avoir le privilège d’assister à une annonce réservée aux élites. Nous constatons à nouveau une nouvelle ère des relations science-société qui permet de voir la recherche en train de se faire et de vivre au plus près les révolutions de la science.
PS : Le choix du titre de cet article est évocateur des annonces chocs que l’on voit fleurir tous les jours à la une des journaux.
Nous remercions Antoine Blanchard (voir son blog ici) pour ses suggestions qui ont alimenté notre conclusion.