Depuis le National Cancer Act en 1971, les avancées concernant le cancer sont indéniables. Avec la compréhension des mécanismes sous-jacents à l’apparition et l’évolution des cellules cancéreuses, de nombreux médicaments ont été développés. Le début des recherches en génétique a ensuite soulevé des espoirs immenses qui ont ensuite été tempérés par de nombreuses difficultés montrant la complexité de la biologie du cancer. Si la compréhension du génome humain ne peut suffire au développement de thérapies personnalisées, l’épigénétique quant à elle ouvre un nouveau champ porteur d’espoir.
Pour clore cette saison des Mardis de l’Institut Curie, le professeur Dominique Bellet, responsable du laboratoire d’oncobiologie du complexe Institut Curie-Hôpital René Huguenin, revient sur les avancées médicales concernant les traitements du cancer. Sa présentation particulièrement pédagogique retrace les rêves et les déceptions qui ont fait et font cette recherche. Ceci permettra de remettre en perspective les récentes avancées dans le domaine de l’épigénétique abordées lors des Mardis de l’Institut Curie 2011-2012 et les nombreuses applications à mettre en œuvre en cancérologie.
Le professeur Dominique Bellet est enseignant et tient un blog éducatif. Selon lui le combat contre le cancer a vraiment débuté avec le National Cancer Act signé en 1971 par le président américain Richard Nixon. Celui-ci pensait que si nous étions allés sur la Lune, nous devrions pouvoir guérir le cancer. L’année 1971 marque ainsi le début de l’effort international contre le cancer et la prise de conscience du problème de santé publique majeur qu’il représente. Dominique Bellet nous propose un état des lieux général quarante ans après.
Dominique Bellet Crédit : Alain Marouani / Institut Curie
Pendant trois décennies, la compréhension de la biologie du cancer s’est nettement améliorée donnant naissance à de nombreux médicaments. Le Taxol, par exemple, issu de l’if, sera la base de la synthèse du Taxotère en 1980 (voir notre article Sérendipité : le rôle du hasard dans les découvertes). Le début des années 2000 marque ensuite un profond changement dans les méthodes utilisées dans la recherche sur le cancer. Avec le séquençage complet du génome humain, les recherches en génétique ouvrent de nouvelles perspectives pour comprendre la maladie. Les cellules deviennent en effet cancéreuses sous l’influence de mutations de certains gènes spécifiques appelés oncogènes.
" La transcription des gènes peut être comparée à l’interprétation d’une musique en lisant une partition de quatre notes, les bases ATGC, raconte Dominique Bellet. Au cœur de chaque cellule, il y a des chromosomes. Chaque chromosome contient des centaines de partitions."
Les mutations seraient donc les fausses notes de cette partition. Elles rendent l’ensemble de la musique inharmonieuse. Dans certains cas néanmoins, c’est le mélange de deux chromosomes qui produit un gène déficient.
Dans un organisme sain, les gènes sont transcrits puis traduits. Des protéines sont ainsi produites. Ces protéines interagissent les unes avec les autres selon des chemins bien spécifiques et gouvernent ainsi l’ensemble des fonctions de la cellule. Dans une cellule cancéreuse, ce circuit est perturbé. Des cartes précises, ressemblant à des plans de métro, définissent les voies de signalisation perturbées amenant une cellule à devenir cancéreuse. Ces cartes ciblent les gènes et les protéines clefs qui induisent des fonctions défectueuses. Cette mise en évidence des voies de cancérisation ouvre l’espoir de thérapies génétiques ciblées, l’idée étant qu’en modifiant ou bloquant une voie qui pose problème nous pourrions empêcher le développement de cellules cancéreuses. Les voies ciblées étaient notamment les fonctions de croissance des cellules cancéreuses, leur immortalité et la mobilisation des systèmes de défense immunitaire. Les scientifiques envisagent aussi d’agir sur d’autres voies qui couperaient l’alimentation en oxygène des cellules cancéreuses. Mais ces espoirs ont malheureusement vite fait place aux désillusions. L’année 2004 marque peut-être une étape de perte d’illusions vis-à-vis de ces recherches et une remise en question de la part belle donnée à la génétique et aux voies de cancérisation.
Cellule normale à gauche et cellules cancéreuse à droite (Squamous cell carcinoma) (c) Anne Weston
« Pourquoi les thérapies ciblées ne fonctionnent-elle pas bien ? » L’image des lignes de métro répond de façon simple à cette question. Si une ligne se trouve bloquée, les passagers tenteront d’emprunter d’autres voies jusqu’à atteindre leur destination. Néanmoins entre 2002 et 2004 des avancées ont permis le développement de traitements assez efficaces mais qui concernent un nombre réduit de patients. De plus, à terme les patients dont la maladie avait été stoppée échappent aux effets bénéfiques de la thérapie par d’autres voies de cancérisation. Enfin le coût des thérapies de l’époque atteignait plusieurs milliers d’euros par mois par patient. En parallèle, de nombreux patients récidivent en développant des métastases, processus par lequel des cellules cancéreuses prolifèrent et se disséminent dans l'organisme du patient pour atteindre d'autres organes. Les métastases sont responsables de 90% des décès liés au cancer.
Carte de cancérisation source: Hahn WC, Weinberg RA,Nature Reviews Cancer, 2002
Malgré cela, à partir de 2005 le nombre de décès liés au cancer diminue grâce à l’amélioration des traitements anticancéreux et des nouvelles thérapies ciblées. Les traitements sont mieux tolérés car les études prêtent de plus en plus attention aux effets secondaires. On comprend également l’importance des tests théragnostiques qui permettent de déterminer les patients susceptibles de réagir positivement à un traitement.
Depuis le premier décryptage de génome humain en 2003, les avancées de la génétique et du séquençage ont été faramineuses. Aujourd’hui quelques heures suffisent pour séquencer le génome humain pour un coût de plus en plus bas. « Craig Venter a séquencé son génome en 2007 en 4 ans pour 100 millions de dollars, explique Dominique Bellet. Aujourd’hui le séquençage du génome entier coûte 3000 dollars et nous visons un coût de seulement 100 dollars! » Ceci a permis l’accélération des progrès et la construction de cartes plus complexes.
L’homme possède 46 chromosomes et seulement 22 300 gènes. Nous possédons donc moins de gènes qu’un grain de raisin. Chacune de nos cellules contient le même patrimoine génétique, nous développons pourtant plus de 250 types de cellules différentes. Les jumeaux monozygotes possèdent aussi le même code génétique, ils ne sont néanmoins pas tout-à-fait identiques. Avec le temps, ils se différentient l’un de l’autre. Tout ceci sont des questions que nous avons déjà évoquées dont les réponses relèvent de l’épigénétique, domaine que nous avons abordé tout au long de l’année lors des Mardis de l’Institut Curie.
Pour en savoir plus sur les mécanismes épigénétiques, nous vous invitons à découvrir ou redécouvrir nos articles en lien avec les Mardis de l’Institut Curie.
- Introduction à l’épigénétique
- L’organisation nucléaire : voyage au cœur de la cellule
- Epigénétique : quelle influence de l’environnement ?
"Ce qui fait la complexité, ce n'est pas le nombre de gènes mais l'épigénétique qui s'y rajoute."
Le code épigénétique s’ajoute au-dessus du code génétique. Il décide parmi les 22 300 gènes lesquels seront lus et la façon dont ils le seront. L’épigénétique est en quelque sorte le chef d’orchestre qui choisi la partition ainsi que la manière de l’interpréter.
L’épigénétique contrôle l’expression des gènes selon au moins deux mécanismes principaux : la méthylation des promoteurs de gènes et la modifications des histones de l’ADN. Des études ont montré que la méthylation de l’ADN augmentait avec l’âge. Ce mécanisme est probablement à l’origine du processus de différentiation des jumeaux plus ils avancent dans la vie. Les enfants atteints de progeria, une maladie génétique rare qui induit le vieillissement prématuré de l’enfant, aurait un taux de méthylation d’une personne centenaire. Une étude tente de montrer que 70% des facteurs à l’origine du cancer sont d’ordre épigénétique. De plus, les modifications épigénétiques sont réversibles ce qui promet des applications thérapeutiques importantes.
Aujourd’hui l’étude de l’épigénétique est essentielle. Les avancées qu’elle produit permettent d’aborder de nouvelles applications pour les traitements contre le cancer. Selon le docteur Vincent T. De Vita, "Le meilleure de la guerre contre le cancer est encore à venir." Nous n’avons jamais été aussi proches de pouvoir utiliser les avancées biologiques pour développer des thérapies incroyablement efficaces et d’améliorer les thérapies actuelles.
Cette session clôt la saison 2011-2012 des Mardis de l’Institut Curie. Nous espérons que vous avez apprécié de découvrir ces différents thèmes de recherche. Pour continuer l’aventure sur les réseaux sociaux, vous pouvez vous abonner au compte twitter @institut_curie pour suivre quotidiennement les avancées de la recherche médicale.
Pour en savoir plus :
Consulter notre storify de la conférence de Dominique Bellet http://storify.com/mysciencework/conference-mardiscurie-les-avancees-de-la-biologie
Les articles concernant le cycle 2011-2012 des Mardis de l’Institut Curie https://www.mysciencework.com/omniscience/search/?query=%C3%A9pig%C3%A9n%C3%A9tique