Saviez-vous que les poissons ressentent la douleur ? Qu’ils sont des êtres sociaux ? Que les lapins peuvent éprouver de la joie, mais aussi du stress ? Que les souris mâles chantent pour leur compagne ? Aujourd’hui ce n’est plus à prouver, les animaux non-humains sont aussi capables de ressentir la douleur, qu’elle soit physique ou émotionnelle. Pourtant, il n’est pas rare que leur détresse soit ignorée. C’est aussi vrai lorsqu’ils sont utilisés dans les laboratoires : leurs souffrances sont très souvent, voire tout le temps, banalisées.
Selon un rapport publié par la commission européenne, la France exploite 1,87 millions d’animaux dans les laboratoires. Et ce chiffre ne comprend pas les animaux qui attendent leur tour pour subir des tests, enfermés dans des cages. Lapins, chats, hamsters, chiens, oiseaux, primates, poissons, tous sont privés de leur liberté pour des expériences parfois douloureuses, qui peuvent avoir des effets sur le long terme, comme l’anxiété, la détresse, la perte de poids, le sommeil, les yeux larmoyants, et bien sûr la mort.
Pire encore, cette souffrance générée est parfois inutile. Une étude publiée dans Alternatives to Animal Experimentation: ALTEX rappelle que 9 médicaments sur 10 échouent dans les tests cliniques, car il n’est pas possible de prédire comment ils se comportent chez l’homme sur la base des études sur les animaux : la pénicilline tue les cochons d’inde mais est inactive chez les lapins. La morphine, qui est un tranquillisant pour les humains, stimule les chèvres, les chats et les chevaux. Et l’aspirine tue les chats et provoque des malformations chez d’autres animaux. Beaucoup de scientifiques ont déjà exprimé leurs inquiétudes quant à la pertinence des données recueillies lors des expérimentations animales pour prédire la toxicité humaine. Pourtant, les données animales sont toujours une référence ; cela contribue à une sous-estimation du succès des méthodes alternatives.
Image : les différents animaux exploités à des fins scientifiques en France en 2016.
Source : https://www.fondation-droit-animal.org/97-publication-statistiques-2016-lexperimentation-animale/
Pourtant, des méthodes qui n’exploitent pas les animaux non-humains, il en existe ! En 1959, deux scientifiques, Russel et Burch de l’University College London publient un article qui deviendra la référence scientifique en termes d'alternatives aux expérimentations animales : The Principles of Humane Experimental Technique. Dans cet article, ils mettent en valeur la règle des trois R, encore utilisée aujourd’hui : Réduire, Raffiner, Remplacer.
La première étape, Réduire, consiste à utiliser moins d’animaux dans les expériences. Les possibilités sont nombreuses, et une étude parue dans Alternatives to Laboratory Animals propose déjà de faire des recherches de qualité. Se donner un objectif clair et précis, favoriser les statistiques pour interpréter les résultats plutôt que d’utiliser une très grande quantité d’animaux, et utiliser des animaux de taille et poids variés plutôt que de laisser mourir ceux qui ne sont pas dans la fourchette pour l’expérimentation sont autant de solutions possibles. Mais il est aussi possible de réduire le nombre d’animaux avant l’expérimentation, en limitant leur production pour la recherche, et en favorisant la cryoconservation s’il y a un besoin de conserver une lignée. Bien sûr, des formations appropriées pour les chercheurs leur permettrait de bien connaître toutes les alternatives possibles.
Si la réduction du nombre d’animaux exploités n’est pas possible sans que les données scientifiques ne soient faussées, ou si le nombre est déjà réduit au maximum, alors il s’agit de raffiner l’expérimentation, c’est-à-dire réduire ou supprimer l’inconfort et les angoisses de l’animal, en améliorant les conditions de transport, d’élevage et d’hébergement, en utilisant des méthodes non-invasives, en leur donnant des soins adéquats avant et après l’expérience.
Enfin bien sûr, la solution la plus éthique est de remplacer complètement l’expérimentation animale. La Dr. Chantra Eskes donne une définition récente de cette méthode de remplacement, qui consiste en fait à accélérer le développement et l’utilisation de modèles et d’outils pour aborder des questions scientifiques sans utiliser d’animaux. Mais des méthodes existent déjà : les expériences peuvent se faire sur des cellules cultivées, ou bien sur des volontaires humains, ou les animaux peuvent être remplacés par des modèles de substitution. Il est aussi toujours possible d’améliorer la coopération entre des secteurs industriels, qui permettrait de se partager les données des expériences plutôt que de les répéter et donc d'utiliser plus d’animaux. La méthode scientifique elle-même pourrait être à revoir, afin d’intégrer de nouvelles disciplines dans les expériences. L’association PETA (People for the Ethical Treatment of Animals) répertorie aussi des méthodes alternatives, telles que des études sur des simulateurs de patients humains, ou des méthodes basées sur des tissus humains.
Ainsi les possibilités sont nombreuses pour limiter la souffrance, mais se contenter de la limiter n’est pas forcément éthique, surtout depuis les preuves que les animaux sont, au même titre que nous, des êtres sensibles.
Nous pourrions réaliser ces expériences sur les humains : cela nous permettrait d’en apprendre davantage, et ce serait plus fondé scientifiquement. Mais la plupart d’entre nous n’accepteraient pas que des millions d’êtres humains naissent chaque année dans le seul but d’être soumis contre leur gré à des tests dangereux et invasifs. Alors, pourquoi accepterions-nous que des animaux non humains soient privés de nourriture, d’eau ou de sommeil, ou bien soient empoisonnés, brûlés, gazés ou électrocutés avant d’être enfin tués ?
PETA
Aujourd’hui, tous les experts s’accordent à dire qu’il reste beaucoup de travail à faire, bien qu’il y ait une évolution. Une sacrée évolution même, surtout quand on imagine qu’en 1959, on considérait qu'une expérience réalisée sur un animal anesthésié était une méthode de remplacement ! Les animaux ne sont pourtant pas au bout de leurs peines, et certains manquements à ces règles sont parfois constatés : des expériences douloureuses et sans anesthésies, ou des anesthésies qui rendent les animaux aveugles ou leur font perdre leurs yeux,... C’est pour cette raison que de nombreuses associations continuent de sensibiliser le public aux souffrances, à l’aide de preuves, ou de vidéos comme ce court métrage réalisé par Humane Society International, sorti le 16 avril. Et puis, comme le disent Leist et al dans leurs articles, “l’objectif vaut bien les efforts requis” !
Références :
Leist, Marcel, et al. "Consensus report on the future of animal-free systemic toxicity testing." Alternatives to Animal Experimentation: ALTEX 31.3 (2014): 341-356.
Festing, Michael FW, et al. "Reducing the use of laboratory animals in biomedical research: problems and possible solutions: the report and recommendations of ECVAM workshop 29." Alternatives to Laboratory Animals 26.3 (1998): 283-301.
Eskes, Chantra. "The usefulness of integrated strategy approaches in replacing animal experimentation." Annali dell'Istituto superiore di sanita 55.4 (2019): 400-404.
Russell, William Moy Stratton, and Rex Leonard Burch. “The principles of humane experimental technique”. Methuen, 1959.