Alcool, violences conjugales et pandémie, le trio perdant

Avec l’arrivée des beaux jours, la consommation d’alcool risque d'augmenter. Mais cette année sera différente des autres, privés que nous sommes des terrasses de bars à cause de la pandémie. Pandémie qui offre une occasion malheureuse mais unique de mieux comprendre dans quelle mesure le lieu de consommation d'alcool affecte la violence.

Tout le monde le sait, la consommation immodérée d’alcool peut être dangereuse. Ce que l’on sait moins, c’est que les crises économiques sont associées à des hausses de consommation. Et une crise économique, le monde en vit actuellement une. 

 

Voilà plus d’un an que l’OMS a déclaré la situation de pandémie, le 11 mars 2020. Le même mois, c’est plus de 135 pays de tous les continents qui sont contaminés. Les conséquences sont nombreuses, et sont autant économiques que psychologiques. En ces temps difficiles, les effets inhibiteurs de l’alcool semblent être un bon moyen de pallier au stress, à l’anxiété et à la dépression.

 

A première vue, la technique semble adoptée : les études de Jan Chodkiewicz et ses collègues, paru dans l’International Journal of Environmental Research and Public Health, recensent une augmentation de 240% de la vente d’alcool en mars 2020. Bien qu’il n’y ait pas de lien évident entre augmentation des ventes et augmentation de la consommation, surtout en cette période où les bars et restaurants sont fermés, d’autres études attestent que la consommation d’alcool a augmenté parmi les personnes confinées, entre avril et septembre. 


Tout le monde n’est pas concerné par cette consommation accrue. Si le genre ou les diplômes ne semblent pas être des facteurs, une nette augmentation est observable chez les personnes qui avaient des pensées suicidaires avant la pandémie. Les consommations augmentent aussi surtout chez les personnes qui buvaient déjà de l’alcool avant le confinement. La perte d’emploi, malheureusement fréquente en ces temps, est aussi un facteur important.

 

 

 

 

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Avec 3 millions de décès dus à l’alcool dans le monde tous les ans, il s'agit d’une des principales causes de mortalité, pourtant évitable. De plus, il est impliqué dans environ 50 % de l'ensemble des crimes violents et des agressions sexuelles dans les pays industrialisés. Les effets secondaires de la trop forte consommation sont nombreux : baisse de motivation au travail, risque accru d’infections pulmonaires graves, dépression, suicides. De plus, l’effet relaxant de l’alcool recherché est moins efficace chez les personnes qui boivent déjà beaucoup.

 

En plus de cela, le confinement aggrave un point des effets de l’alcool : les violences domestiques. Cette dernière a augmenté depuis le début de la pandémie de Covid-19, ce qui s’explique facilement quand on pense que les consommateurs boivent maintenant chez eux, faute de lieux publics ouverts. De plus, les victimes ne peuvent plus fuir les situations violentes. Si la consommation d’alcool est devenue plus risquée, c’est bien parce que le lieu de consommation s’est déplacé vers les maisons

 

Certains pays ont décidé d’interdire la vente d’alcool pour éviter ce problème. Même si cette interdiction a entraîné des cas de delirium tremens, un trouble lié au sevrage alcoolique, des vols d’alcools et des décès suite à la consommation d’alcools toxiques (comme l’après-rasage ou le vernis à peinture), il a été prouvé que les présentations à l'hôpital pour sevrage alcoolique ne représentaient qu’une petite proportion de toutes celles attribuables à l’alcool. Preuve en est faite avec les chiffres de l’Afrique du Sud, qui ont aussi eu recours à l’interdiction de l’alcool : les unités traumatologiques ont reçu environ 5000 visites en moins chaque semaine suite à l’interdiction.

 

D’autres pays ont introduit des quantités maximales d’achat pour éviter la surconsommation, mais ils restent rares. Au contraire, de nombreux gouvernements nationaux ont considéré comme essentielle la fourniture d’alcool. Ce produit est aujourd’hui plus facilement disponible et plus abordable que jamais. Les raisons sont diverses, et parfois pas tout à fait justifiables : une étude menée par Tim Stockwell de l’université de Victoria précise que les gouvernements ont pensé que le système de santé serait accablé par les personnes dépendantes de l'alcool en sevrage (alors que, comme dit plus tôt, cela ne représente qu’un nombre insignifiant de personnes). Ils ont aussi pensé qu’une interdiction de plus parmi toutes les autres autres restrictions ne serait pas une bonne idée. Enfin, l'industrie de l'alcool a exercé des pressions intenses et efficaces pour assouplir les restrictions, par exemple sur la livraison à domicile et pour réduire les taxes.

 

Finalement, la consommation d’alcool en ces temps troublés est plus risquée. Déjà parce que le lieu de consommation a changé, et les buveurs se retrouvent contraints à s’enivrer chez eux, en présence de leur famille, comme le précise l’étude de Aaron Chalfin et ses collègues de l’université de Pennsylvanie. Si l’on ajoute à cela les pertes d’emplois dûs à la crise, les difficultés économiques et les stress quotidiens, il est facile d'imaginer que ces facteurs ont entraîné une augmentation de la violence. Boisson, stress et confinement, le mélange à ne surtout pas faire.

 

Les exemples ne manquent pas sur les bienfaits de la restriction de l’alcool. Les grèves du monopole de l'alcool au Canada et dans les pays nordiques ont été associées à des réductions significatives de l'intoxication publique, de la criminalité et de la demande de traitement de sevrage. Le rationnement du vin pendant la Seconde Guerre mondiale, les restrictions de l'ère Gorbatchev et même la prohibition américaine ont tous conduit à une amélioration de la santé. 


Ainsi, les études nous montrent que le lieu de consommation d'alcool, plutôt que le simple volume d'alcool consommé, peut être un facteur principal de la violence domestique. Boire, ça n’implique pas que nous, mais aussi les personnes qui nous entourent. Pensons-y.

 

 

Références : 

Chodkiewicz, Jan, et al. "Alcohol consumption reported during the COVID-19 pandemic: the initial stage." International Journal of Environmental Research and Public Health 17.13 (2020): 4677.

 

Narasimha, Venkata Lakshmi, et al. "Complicated alcohol withdrawal—an unintended consequence of COVID-19 lockdown." Alcohol and Alcoholism 55.4 (2020): 350-353.

 

Clay, James M., and Matthew O. Parker. "Alcohol use and misuse during the COVID-19 pandemic: a potential public health crisis?" The Lancet Public Health 5.5 (2020): e259.

 

McKetta, Sarah, Christopher N. Morrison, and Katherine M. Keyes. "Trends in US Alcohol Consumption Frequency During the First Wave of the SARS‐CoV‐2 Pandemic." Alcoholism: Clinical and Experimental Research (2021).

 

Killgore, William DS, et al. "Alcohol dependence during COVID-19 lockdowns." Psychiatry research 296 (2021): 113676.

 

Stockwell, Tim, et al. "The burden of alcohol on health care during COVID‐19." Drug and Alcohol Review 40.1 (2021): 3-7.

 

World Health Organization. ”Addressing violence against children, women and older people during the COVID-19 Pandemic: Key actions.“ No. WHO/2019-nCoV/Violence_actions/2020.1. World Health Organization, 2020.

 

Chalfin, Aaron, Shooshan Danagoulian, and Monica Deza.”COVID-19 Has Strengthened the Relationship Between Alcohol Consumption and Domestic Violence.“ No. w28523. National Bureau of Economic Research, 2021.