2012 : Psychologie de l’Apocalypse

La fin du monde comme une idée séduisante

Certaines interprétations de l’ancien calendrier maya ont entraîné un phénomène répandu dans la culture populaire qui consiste à annoncer l’arrivée de l’Apocalypse. Les spécialistes de la culture maya et d’autres scientifiques ont beau contester le bien-fondé des dangers prédits, cette croyance a la peau dure. Et si le fait de se préparer à la fin du monde était un élan naturel de l’homme lui permettant de répondre à certains besoins psychologiques élémentaires ?

Certaines interprétations de l’ancien calendrier maya ont entraîné un phénomène répandu dans la culture populaire qui consiste à annoncer l’arrivée de l’Apocalypse. Les spécialistes de la culture maya et d’autres scientifiques ont beau contester le bien-fondé des dangers prédits, cette croyance a la peau dure. Et si le fait de se préparer à la fin du monde était un élan naturel de l’homme lui permettant de répondre à certains besoins psychologiques élémentaires ?

 

Cet article est une traduction de « 2012: Psychology of an Apocalypse » disponible sur : http://blog.mysciencework.com/en/2012/02/21/2012-psychology-of-an-apocalypse.html Cette traduction de l’anglais vers le français a été réalisée par Mayte Perea López.

 

apocalypse bibilique 2012
« Albrecht Dürer : Four Horsemen of the Apocalypse (19.73.209) » (Les quatre chevaliers de l’Apocalypse).
Heilbrunn Timeline of Art History. New York : The Metropolitan Museum of Art, 2000 (October 2006)
 

Comme vous le savez probablement déjà, la fin du monde est prévue pour vendredi prochain. Le 21 décembre, c’est l’Armageddon. Peu importe le fait que le raisonnement sur lequel est fondée cette prédiction –le cycle de l’ancien calendrier maya touchant à sa fin- soit très probablement faux. Peu importe le fait que de telles prophéties se soient construites au fil des siècles, par des groupes complètement différents, au sein de cultures très différentes et sans jamais, semble-t-il, se réaliser.

Tout cela n’a bien sûr aucun rapport avec la prochaine série de prédictions apocalyptiques, qui visent cette fois une date précise en 2012. Quelles sont ces forces puissantes qui poussent des gens ordinaires à croire si fort en quelque chose que nous sommes nombreux à rejeter sans autre forme de procès ? Que révèlent-elles sur notre psychologie ?

L’origine des sombres prédictions sur le destin du monde, en décembre, remonte à l’ancienne civilisation des Mayas, qui utilisaient un système de calcul complexe pour évaluer le passage du temps. Un élément, leur calendrier basé sur le « compte long », comprenait des cycles de 144 000 jours, appelés baktun.  En commençant à compter à partir du jour mythique de la création Maya en 3114 avant JC, treize baktun permettaient de couvrir dans le futur une période de 5 125 ans. Le treizième et dernier baktun se termine cette année le 21 décembre, ou presque.

Le fait que nous arrivions à la fin du calendrier de cette civilisation antique a conduit certaines personnes à craindre le pire pour l’après 21 décembre. Pourtant, rien n’indique vraiment que les Mayas aient partagé ces préoccupations. Le calendrier devait s’arrêter quelque part ; après tout, le treizième baktun était un point comme un autre. Anthony Aveni, archéologue, astronome et spécialiste des Mayas à l’université de Colgate (États-Unis), insiste sur le fait que la tradition Maya se fondait bien plus sur le passé que sur l’avenir. Il compare la date de décembre 2012 avec celle du réveillon de fin d’année dans notre système calendaire : oui, le calendrier « est fini »… mais un autre suit juste derrière.

Pour les personnes qui croient à la signification de cette date, ces prophéties peuvent se réaliser selon de multiples scénarios. De la planète X jamais détectée jusqu’à présent qui errerait à l’extérieur du système solaire et que l’on découvrirait soudainement alors qu’elle fonce tout droit sur la Terre, à l’inversion brutale et destructrice des pôles magnétiques de notre planète, la fin du monde pourrait se manifester sous un nombre incalculable de formes différentes, toutes aussi spectaculaires les unes que les autres. Pourtant, la Nasa pourrait vous expliquer que l’existence d’une telle planète mystérieuse aurait été connue bien avant aujourd’hui. Larry Brown, professeur à Cornell, vous prouverait que les mouvements des pôles se déroulent sur plusieurs centaines d’années, si ce n’est plus, et n’affectent aucunement la vie sur Terre. Il est facile de démystifier les théories scientifiques douteuses. En revanche, il est plus difficile d’expliquer pourquoi tant de personnes croient à ces douteuses prédictions apocalyptiques et s’accrochent à celles-ci avec autant de conviction.

 
bombe atomique
Witold Krasowski - Fotolia
 

L’apocalyptisme semble répondre à un certain nombre de besoins humains élémentaires, et se présente, en fonction de ces besoins, sous des formes différentes. Richard Landes, historien de l’université de Boston spécialisé dans l’époque médiévale, a étudié les mouvements millénaires –prévisions de transformations sociétales majeures, s’appuyant sur des cycles de 1000 ans- du Moyen-Âge, en particulier ceux qui sont en rapport avec l’année 1000. De 1996 à 2004, en tant que directeur du Centre pour les études sur le milléniarisme, il a également observé l’évolution des prédictions pour l’année 2000.

Richard Landes compare les désirs d’apocalypse à ceux d’un enfant qui travaille sur un dessin. Le petit peut faire une ou deux erreurs çà et là, ce qui n’est pas bien grave ; mais les erreurs finissent par s’accumuler. Finalement, l’enfant frustré est pris d’une crise de gribouillage et détruit toute la page. De la même manière, face à tant de problèmes et d’incertitudes dans nos sociétés, certains sont très séduits par l’idée de pouvoir refaire le monde en partant de zéro.

Les mouvements apocalyptiques peuvent avoir différents objectifs pour l’humanité. « La version religieuse est entièrement axée sur l’idée de justice. Il y a une forte dimension de vengeance et de violence », explique Landes, en se référant au Livre de la Révélation que contient la Bible. Le mouvement qui s’est formé aujourd’hui autour de l’année 2012, dans la mesure où il n’est issu d’aucune des principales religions modernes, s’inscrit beaucoup moins dans cette logique. Landes parle de New Age Apocalypse (« l’Apocalypse des temps modernes ») pour qualifier ce mouvement, car on l’associe souvent aux extra-terrestres, aux cercles de culture ou aux ovnis. Ce nouveau mouvement a développé ses propres valeurs, et ne met pas autant l’accent sur la nécessité pour l’humanité de se laver de ses péchés. C’est ce que l’on peut voir dans des films comme Armageddon ou Deep Impact. R. Landes remarque que, dans l’astéroïde qui menace de s’écraser sur la Terre, la force apocalyptique est purement destructrice ; aucune référence n’est faite dans le film sur les sauvés et les damnés. Et, à la fin, les hommes s’unissent, en utilisant la technologie pour se sauver les uns les autres au lieu de s’entretuer, comme cela était prévu au départ.

 

astéroïde fin du monde 2012
Iuliia KOVALOVA - Fotolia
 

Si l’on met de côté les motivations spécifiques à chaque mouvement apocalyptique, il existe des caractéristiques communes qui peuvent rendre n’importe lequel de ces mouvements attrayant aux yeux de ses membres. « Il y a un fort sentiment d’intimité », explique Landes. « C’est un engagement tout à fait réel, fondé sur des idées fausses. Ce sentiment d’engagement incite les gens à convertir les autres. C’est l’idée de ‘convaincre les autres pour se convaincre soi-même’ ».

Le fait de croire en l’imminence d’une profonde transformation pourrait aussi être un moyen de gérer les sentiments d’impuissance face à un avenir incertain. Le professeur Landes décrit ses propres inquiétudes au tournant de l’an 2000. Il était assez préoccupé par le bug de l'an 2000, le bug informatique qui aurait pu dérégler les systèmes dans le monde entier. À l’époque, il avait fait un rêve dans lequel il se retrouvait devant un raz-de-marée qui approchait et se retrouvait face à un terrible dilemme : plonger tête la première dans la vague géante, ou lui tourner le dos et courir. Pour R. Landes, cette image est représentative de ce que toute personne croyant à l’Apolypse ressent : quelque chose de terrible est sur le point de se produire. Est-ce que je cours ? Ou est-ce que je me plonge dedans, j’accepte la situation et je fais de mon mieux pour survivre ?

La satisfaction des besoins psychologiques comme le besoin de certitude, de renouveau ou l’impression de maîtriser la situation, peut expliquer le succès initial de certaines croyances apocalyptiques ; mais lorsque les prédictions de ces mouvements se sont avérées fausses, et ce à de nombreuses reprises, pourquoi l’humanité en redemande-t-elle ?

Dans une étude bien connue, réalisée en 1956, le psychologue Leon Festinger et ses collègues ont examiné ce qu’il se passait dans un groupe dont la prédiction apocalyptique ne s’était jamais réalisée. The Seekers suivaient d’une femme appelée Dorothy Martin qui croyait fermement qu’elle communiquait avec des extraterrestres. Ils lui disaient qu’un déluge détruirait la côte ouest des États-Unis, mais qu’une soucoupe volante viendrait secourir les Seekers. L’engagement des membres pris des proportions démesurées, certains allant jusqu’à abandonner leur emploi, leur maison et leur famille. Les psychologues ont voulu comprendre comment ces croyants réagiraient en découvrant que la prophétie ne s’était finalement pas réalisée. L. Festinger appelle ce décalage entre la croyance et la réalité la dissonance cognitive. Et dans le cas des Seekers, il a trouvé que ceux-ci se libéraient de cette tension mentale inconfortable en modifiant leur prédiction (Dorothy Martin a reçu un nouveau message expliquant que le groupe avait été épargné par Dieu pour toute la lumière qu’il avait répandu dans le monde) et en partant à la recherche de nouveaux membres.

Richard Landes explique que cette réaction peut être due au fait qu’ils ont atteint un point de non-retour. Les membres du groupe avaient abandonné trop de choses, ils avaient coupé trop de liens avec leur passé pour pouvoir revenir vers leurs familles et admettre qu’ils ont « déconné ». Il est plus facile pour eux de surenchérir – de réaffirmer leur engagement, et même de le renforcer en diffusant le message du groupe.

Dans des études ultérieures sur les mouvements dont les prédictions apocalyptiques ne se sont pas réalisées, ce renforcement de la campagne de recrutement n'a pas été constaté. Pourtant, la prolongation de l’existence du monde ne semble pas être un obstacle pour les philosophies de ces groupes non plus. Le professeur Landes observe une réaction commune à tous les mouvements millénaristes qui consiste à considérer que « plus Dieu attend, plus nous devons être actifs ». Les membres de ces groupes ont la sensation de savoir quel est l’objectif poursuivi, et pensent donc qu’ils doivent saisir la chance qui leur est offerte pendant ce délai que leur accorde Dieu. Ce n’est pas vraiment un problème d’adapter une prédiction dans ce sens. Dieu n’a jamais dit une seule de ces choses, il n’y a pas de texte sacré mentionnant une seule de ces prophéties, souligne R. Landes. Ce sont des interprétations faites par l’homme, qui est donc libre de les mettre à jour.

Les gens sont habitués depuis toujours à ce genre d’adaptation de leurs prédictions apocalyptiques. Dans les années 970, 981 et 992, le Vendredi saint est tombé le 25 mars. Selon la croyance chrétienne de l’époque, le vendredi 25 mars correspondait aussi à la date à laquelle Dieu créa l’homme, au jour où les israéliens ont traversé la mer Rouge, au jour de l’Annonciation, et au jour où Jésus est mort. Une telle coïncidence dans les dates, s’est-on dit, doit aussi signaler l’arrivée de l’Apocalypse. Richard Landes explique qu’en 1250, le Vendredi saint est encore tombé le même jour. Matthew Paris, un moine bénédictin, chroniqueur et artiste, était certain que, cette fois-ci, le 25 mars marquerait également la fin du monde, parce que, cette fois-ci, il s’agissait aussi d’une Année sainte. « Je pense que l’on observe la même chose en 2012 », dit Landes. « Cela n’a pas fonctionné avec les dates des chrétiens, alors nous avons pris un nouveau calendrier – celui des Maya. Cette fois c’est différent ! L’échec pousse certaines personnes à suivre de nouveaux scénarios ».

 

rayonnements mortels
Schiller Renato - Fotolia
 

Étrangement (ou pas), Richard Landes soutient que nous sommes particulièrement sensibles aux croyances apocalyptiques dans le monde moderne. « Il y a tant de familles perturbées, les conditions d’aujourd’hui sont de plus en plus atomisées ». De nombreuses personnes pourraient ne pas résister à l’appel de tels groupes, qui se proposent en quelque sorte de rassurer, ou du moins d’agir face à une grande préoccupation. « Le monde moderne nous protège contre la douleur. Le cocon de la civilisation nous permet de nous moquer des gens qui croient en ce genre de choses. Carl Sagan a écrit un jour que nous nous prenions tous pour des êtres extrêmement sensés, alors qu’il s’agit d’une conviction fragile. Je suis persuadé que le « virus de l’apocalypse » ne cessera de muter pour survivre, et restera latent jusqu’à ce que se présente le moment propice à sa prolifération ».